Commissions occultes : l’aff Alcatel Cit CE 04/02/2015 (11 février 2015)

 alcatel.jpgCet arrêt didactique est intéressant car il montre que la « faiblesse » d’une motivation d’une proposition de rectification peut être complétée âpres la fin du contrôle par de nouveaux éléments de preuve

Sur le fond, le conseil d’état fait une application de la convention OCDE sur la corruption internationale tout ménageant une éventuelle porte de sortie en rappelant 

9….. qu'elle (la CAA de Versailles)  a, par ailleurs, constaté que, pour sa part, la société Alcatel Lucent France ne justifiait pas que ces commissions correspondraient à la réalisation de prestations immatérielles que lui auraient effectivement rendues les sociétés de consultants établies au Costa Rica 

A la suite d’une vérification de comptabilité, l’administration a notamment réintégré aux résultats déclarés par la société Alcatel CIT, devenue Alcatel Lucent France, au titre des exercices clos en 2002 et 2003, des commissions versées à trois sociétés établies au Costa-Rica ;

 

L’administration avait remis en cause la déduction des commissions versées par la société requérante à trois sociétés de consultants établies au Costa Rica au motif que les sommes versées à ces sociétés avaient été transférées à des agents de l’entreprise publique dénommée Institut Costaricain d’Electricité en charge de l’attribution de marchés publics et que ces versements étaient en rapport direct avec les marchés obtenus par la société Alcatel Lucent France au Costa Rica,

pour établir le bien fondé des redressements en litige, l’administration se prévalait notamment d’une déclaration faite, sous serment, le 1er décembre 2006 par un agent du Federal Bureau of Investigation (FBI) dans le cadre d’une procédure judiciaire ouverte aux Etats-Unis à l’encontre d’un ancien dirigeant de la société Alcatel Lucent France au Costa Rica, ainsi que d’un accord de “ plaider coupable “ de ce même dirigeant indiquant que l’intéressé avait “ effectué ou fait effectuer des paiements illicites à un agent public étranger du Costa Rica et (...) autorisé des virements internationaux pour verser les dessous-de-table, afin d’obtenir des contrats de télécommunications au Costa-Rica “ ; ces éléments étaient corroborés par les résultats de l’enquête interne diligentée par la société Alcatel Lucent France à l’encontre de certains de ses responsables en poste au Costa Rica ainsi que par l’engagement d’une procédure pénale à l’encontre de la société par les autorités costaricaines ; 

Par un jugement du 1er avril 2010, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande de la société Alcatel Lucent et la cour administrative d’appel de Versailles a confirmé ce jugement  par arrêt du 16 octobre 2012; 

Le conseil confirme 

Conseil d'État, 9ème et 10ème sous-sections réunies, 04/02/2015, 364708 ALCATEL CIT 8 

Mme Séverine Larere, rapporteur  M. Frédéric Aladjidi, rapporteur public 
les conclusions ne sont pas LIBRES 

Sur la régularité de la procédure d’imposition : 

la société soutenait que les propositions de rectification adressées à la société Alcatel Lucent France le 22 décembre 2005 et le 10 mai 2006,  étaient insuffisamment motivées au sens de l’article L57 du LPF car fondées sur des coupures de presse et des allégations non démontrées qui ne pouvaient constituer des preuves ;et que ce n’est qu’après la procédure de redressement que l’administration a apporté  la preuve de la matérialité des faits reprochés

L’article L 57 du LPF 

En droit, la société demandait l’application de l’arrêt JOYEUX 

Conseil d'État 21 mai 2007 N° 284719    société Sylvain Joyeux

"Il incombe au service, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive  

 

la réponse du CE a été la suivante 

si l’article L. 57 du livre des procédures fiscales impose à l’administration de faire connaître au contribuable, dans la proposition de rectification, les éléments de droit et de fait sur lesquels elle entend fonder les redressements, les dispositions de cet article ne sauraient faire obstacle à ce qu’elle réunisse, postérieurement à l’achèvement de la procédure de redressement, des renseignements complémentaires corroborant ceux qui ont été déjà portés à la connaissance du contribuable ; 

par ailleurs, la société Alcatel Lucent France ne justifiait pas que ces commissions correspondraient à la réalisation de prestations immatérielles que lui auraient effectivement rendues les sociétés de consultants établies au Costa Rica ; 

la cour n’a donc  pas méconnu les dispositions de l’ article L57 LPF en jugeant que l’administration avait pu, postérieurement à la procédure de redressement, obtenir, par l’exercice de son droit de communication, des éléments de fait complémentaires, non mentionnés dans la proposition de rectification, dès lors que, ce faisant, l’administration n’a pas, contrairement à ce que soutient le pourvoi, procédé à une substitution de motifs ; 

sur le bien-fondé des impositions contestées : 

6. aux termes du 2 bis de l’article 39 du code général des impôts : 

 “ A compter de l’entrée en vigueur sur le territoire de la République de la convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, les sommes versées ou les avantages octroyés, directement ou par des intermédiaires, au profit d’un agent public au sens du 4 de l’article 1er de ladite convention ou d’un tiers pour que cet agent agisse ou s’abstienne d’agir dans l’exécution de fonctions officielles, en vue d’obtenir ou conserver un marché ou un autre avantage indu dans des transactions commerciales internationales, ne sont pas admis en déduction des bénéfices soumis à l’impôt “ ; 

il résulte de ces dispositions que la règle de non-déductibilité qu’elles prévoient s’applique dès lors que l’administration établit que les sommes dont le contribuable demande la déduction ont été versées pour son compte, directement ou indirectement, à des agents publics dans le but de les corrompre ; 

par ailleurs, la société Alcatel Lucent France ne justifiait pas que ces commissions correspondraient à la réalisation de prestations immatérielles que lui auraient effectivement rendues les sociétés de consultants établies au Costa Rica ;

 

EN CONCLUSION c’est donc sans méconnaître les règles relatives à la charge de la preuve, que la cour a pu déduire de l’ensemble de ces circonstances que l’administration fiscale établissait que les sommes en litige avaient été versées à des agents publics étrangers en vue de l’obtention de marchés et que l’administration était, dès lors, fondée à réintégrer ces sommes dans le bénéfice imposable de la société Alcatel Lucent France ;

 

 

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