Paquet fiscal : le prix de la confiance par Françoise FRESSOZ (31 juillet 2007)

6d7d70cae3f6e584ead4f3c9b677a280.jpg Je blogue l'éditorial de Françoise FRESSOZ publié dans Les Echos  31/07/07    ffressoz@lesechos.fr

Dans ses discours, Nicolas Sarkozy se réfère souvent au général de Gaulle, mais il ressemble en réalité beaucoup à François Mitterrand. Avec l'ancien président socialiste, le nouvel hôte de l'Elysée partage la même passion du politique qui le fait raisonner d'abord en politique. « Le programme, tout le programme », a-t-il lancé à ses troupes au lendemain de son élection, alors même que les administrations avaient déjà entrepris leur travail de rabot. Et c'est ainsi que le Parlement, avant de prendre ses congés d'été, s'apprête à adopter définitivement un paquet fiscal dont la facture annuelle trouble les économistes, enflamme l'hémicycle et jette un sérieux froid sur les difficiles relations que la France entretient avec ses partenaires européens. Un vrai pied de nez à la « pensée unique », qui n'est pas sans rappeler le précédent de 1981.

Pour marquer la rupture et « changer la vie », François Mitterrand avait, après son élection, fait voter un coûteux plan de relance, dont la facture pour les finances publiques s'était élevée à 42 milliards de francs (1), soit environ 12 milliards de nos euros actuels. Le pays n'allait pas bien, mais le président pensait que la conjoncture internationale était en train de se retourner et que la France prenait six mois d'avance sur le calendrier planétaire. On connaît la suite.

Pour « rompre avec les idées, les valeurs, les comportements du passé », Nicolas Sarkozy fait, après son élection, adopter un plan de baisse d'impôts et charges, dont le coût budgétaire est très proche du plan de relance de 1981, puisqu'il est compris dans une fourchette de 10 à 14 milliards d'euros. Le pays ne va pas bien, mais le président pense qu'il peut créer le point de croissance qui manque à la France. On ne connaît pas encore la suite...

Sur le fond, les mesures n'ont absolument rien à voir entre elles. Homme de gauche, François Mitterrand avait logiquement pratiqué une relance socialiste à coups de 39 heures payées 40, de cinquième semaine de congés payés, de relèvement du SMIC, de hausse des prestations familiales et de stimulation de l'emploi public. Il avait, en outre, mis à contribution les plus riches en créant un impôt sur les grandes fortunes et en majorant l'impôt sur les plus hauts revenus. Homme de droite, Nicolas Sarkozy fait exactement l'inverse : il pratique une relance de type libéral à coups de défiscalisation des heures supplémentaires, de bouclier fiscal, d'allègement de l'impôt sur la fortune et de quasi-suppression des droits de succession. Les deux plans ne sont absolument pas comparables entre eux, à ceci près qu'ils reposent sur un même pari : la politique a ses lois que l'économie ignore.

Car si l'on interroge les économistes sur la pertinence du « paquet fiscal » présidentiel, leur réaction est unanime : tous font grise mine. Le rapport coût/efficacité du plan ? « Pas optimal », répondent les plus polis. Façon de dire que ce n'est pas avec de telles mesures que la France trouvera le point de croissance qui lui manque. Le pays risque plus sûrement de creuser ses déficits. Les plus critiques s'alarment d'une « erreur de diagnostic » qui pousse le gouvernement à relancer la demande là où il faudrait, au contraire, muscler l'offre pour combler le fossé de compétitivité qui se creuse avec l'Allemagne.

Entendus du côté de nos partenaires européens, les commentaires ne sont guère plus amènes et se résument ainsi : « Incorrigibles Français, qui veulent toujours façonner l'Europe à leur convenance ! » Il faut dire... A peine nommé, le gouvernement Fillon cherche à repousser le redressement à 2012 pour distribuer des cadeaux fiscaux. Alors qu'en octobre dernier les ministres des Finances des treize pays membres de la zone euro s'entendaient pour ramener leurs comptes publics à l'équilibre en 2010, en profitant de l'amélioration de la conjoncture qui gonfle les recettes fiscales et rend l'effort moins douloureux. Incorrigibles Français !

Nicolas Sarkozy n'est pas sourd. Il a entendu toutes ces critiques, mais il n'en démord pas : « Le programme, tout le programme. » Question de crédibilité. Non pas économique, mais politique. Autrement dit, supérieure. L'enjeu est triple. D'abord, rompre avec la pratique chiraquienne, qui consistait, à peine élu, à faire tout le contraire de ce qui avait été promis (séquence 1995-1996). L'inconséquence étant la meilleure façon de tuer la confiance, mieux faire ce qu'on a dit. C'est le leitmotiv du nouveau président.

Deuxième enjeu : clore l'épisode post-référendaire sur lequel Nicolas Sarkozy a surfé pendant toute la campagne. Le « non » au référendum européen a porté la déprime française à son paroxysme et fait sortir comme une poussée d'urticaire les rancoeurs accumulées depuis vingt ans : panne de l'ascenseur social, panne de l'intégration. Les économistes ont beau affirmer qu'il n'y a pas en France de problème de pouvoir d'achat, puisque les Français ressentent ce problème, c'est eux qui ont raison. Le plan fiscal solde la facture d'une campagne qui fut d'abord compassionnelle.

Troisième enjeu, de loin le plus important : changer l'état d'esprit du pays, restaurer la confiance, mener une révolution culturelle comme avait su le faire en son temps le charismatique Ronald Reagan. Economiquement, les mesures du paquet fiscal ne sont pas optimales, mais, politiquement, elles « font sens ». Elles sont populaires, ce qui gêne la gauche dans son combat contre les inégalités. Et chacune d'entre elles a une portée symbolique très forte. La défiscalisation des heures supplémentaires ? Une ode à la valeur travail. La quasi-suppression des droits de succession ? La reconnaissance de la famille. La déduction des intérêts d'emprunt ? La promesse d'un toit, autrement dit la sécurité. Le bouclier fiscal ? La réussite décomplexée. On croirait entendre le « Enrichissez-vous par le travail et par l'épargne » que lançait le duc de Guizot sous la révolution de Juillet ! cliquer

Chaque période porte sa révolution. En 1981, François Mitterrand rêvait d'exporter dans le monde sa relance socialiste. En 2007, Nicolas Sarkozy rêve d'importer en France le dynamisme anglo-saxon. Cela vaut bien quelques milliards d'euros dépensés... A condition que les esprits soient effectivement mûrs pour la révolution et que la confiance perdure au-delà des cent jours. Dans le cas contraire, le retour au réel risque d'être particulièrement douloureux. La relance Mitterrand comme la relance Reagan s'étaient soldées par de lourds déficits.

 

 

FRANÇOISE FRESSOZ est éditorialiste aux Echos ffressoz@lesechos.fr http://blogs.lesechos.fr/rubrique.php?id_rubrique=5

06:55 | Tags : françoise fressoz | Lien permanent | Commentaires (0) |  Imprimer | |  Facebook | | | | |