O FOUQUET Recentrage, déficit et identité (23 janvier 2008)

a9abe4484c6569afa42dcda229aaa353.jpgMAINTIEN DE L’IDENTITE DE L’ENTREPRISE
EN CAS DE RECENTRAGE DE SON ACTIVITE

Olivier FOUQUET
Président de Section au
Conseil d’Etat

 

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Les décisions de l'année  2007 seront disponibles très prochainement. Merci de votre compréhension.

 CE 30/11/2007 n°284621, Sté Le Marché actif,

conclusions L. Olléon 

  CE (na)18/12/2007 n°303817, min. c/ SA Fondoirs Romanais)  

La question du maintien de l’identité de l’entreprise en cas de modification de son activité est névralgique puisque la perte de l’identité entraîne fiscalement cessation de l’entreprise et son cortège de conséquences défavorables, notamment la perte du droit au report des déficits antérieurs.

Tirant partiellement les conséquences de l’évolution de la jurisprudence (CE 18/11/1985 n°43321, Sté Ets Beauvallet : RJF 1/86 n°31, conclusions O. Fouquet Dr. Fisc. 10/86 c.138),

 Le législateur a disposé à l’article 221 du CGI, dans sa rédaction issue de l’article 8 de la loi n°85-1403 du 30 décembre 1985 que
«  le changement de l’objet social ou de l’activité réelle d’une société emporte cessation d’entreprise ».

La jurisprudence a interprété ce texte comme exigeant dans tous les cas un changement de l’activité réelle, dès lors que le changement d’objet social ne pouvait avoir de conséquences que s’il correspondait à un changement d’activité réelle.

L’appréciation de l’existence d’un changement de l’activité réelle d’une société peut s’avérer délicate lorsque l’entreprise continue d’exercer tout ou partie de son activité antérieure. Ce cas de figure peut se présenter dans deux hypothèses :

- soit l’entreprise exerce une activité nouvelle tout en continuant à exercer tout ou partie de son activité antérieure,

- soit l’entreprise qui exerce plusieurs activités, abandonne certaines d’entre elles en se recentrant sur les autres.

On peut d’ailleurs imaginer un panachage de ces deux hypothèses.

La première hypothèse a été résolue par une décision CE 10/07/2007 n° 288484, SARL Final : RJF 11/07 n°1219.

Dans ce cas, la jurisprudence estime que l’activité initiale maintenue ne doit pas devenir marginale dans l’ensemble composé de l’activité nouvelle et de l’activité maintenue.

Le critère du caractère marginal de l’activité maintenue est-il symétriquement transposable à la seconde hypothèse où la société se recentre sur une partie seulement de son activité initiale ? La réponse à cette question est apportée par les deux décisions citées liminaire ment.

Dans l’affaire jugée le 30/11/2007, Sté le Marché Actif : RJF 2/08n° 123, il s’agissait de la filiale d’un groupe allemand de production et de commercialisation de produits de boucherie-charcuterie. Elle souhaitait acquérir ou implanter des rayons de boucherie-charcuterie dans des surfaces commerciales. Elle a eu l’occasion de racheter auprès d’une société en liquidation dix supermarchés. Elle les a exploités avec des pertes pendant un ou deux ans selon le cas puis les a revendus en conservant le rayon boucherie-charcuterie. Elle a alors modifié son objet social pour le limiter à l’exploitation de tout point de vente au détail de boucherie, charcuterie, volaille, traiteur et fromage à la coupe. Son chiffre d ‘affaires est passé de 136 MF à 20MF et son personnel de 105 membres à 33. Pour autant la société avait-elle changé d’activité au point de changer d’identité, comme le soutenait l’administration pour s’opposer au report des déficits ? Le Conseil d’Etat juge que non, dès lors que « l’activité poursuivie n’avait pas revêtu un caractère marginal dans l’ensemble de son activité initiale ».

Dans l’affaire non admise le 18/12/2007, ministre c/ SA Fondoirs Romanais : RJF 3/08 , il s’agissait d’une société qui avait à la fois une activité productrice (déficitaire) consistant dans la transformation de sous-produits d’abattoir, une activité de négoce (bénéficiaire) portant sur l’achat et la revente de ces mêmes sous-produits, ainsi qu’une activité accessoire de négoce de confiserie. La société a arrêté son activité productrice en vendant son matériel et en licenciant les personnels qui y étaient affectés ainsi que son activité de négoce de confiserie, et n’a conservé que son activité de négoce de sous-produits d’abattoir.  Son chiffre d’affaires est passé de 14 MF à 6,3 MF. Ce changement d’activité était-il suffisamment important pour faire perdre à l’entreprise son identité comme le soutenait l’administration qui s’opposait là encore au report des déficits ? Le Conseil d’Etat approuve la cour administrative d’avoir jugé que non. Comme le relève le commissaire du gouvernement L. Olléon dans ses conclusions (BDCF 3/08), l’activité conservée, même si elle était minoritaire au sein de l’ensemble des activités initiales, n’en était pas pour autant marginale.

Le Conseil d’Etat adopte donc une position favorable à la restructuration des entreprises en leur permettant, sans perdre leur identité, d’abandonner certaines de leurs activités, par exemple celles qui sont déficitaires, pour se recentrer sur leurs autres activités, par exemple celles qui sont bénéficiaires. Pour autant, les activités abandonnées peuvent constituer le cœur du métier exercé jusqu’alors, comme dans l’affaire de SA Fondoirs Romanais. Elles peuvent, en termes de chiffre d’affaires, occuper une place prépondérante dans l’ensemble des activités initiales, comme dans l’affaire Sté Marché Actif (80% du chiffre d’affaires).

Le Conseil d’Etat considère qu’en cas de pluralité d’activités, la poursuite d’une seule d’entre elles suffit à maintenir l’identité de l’entreprise. Comme par ailleurs, la jurisprudence apprécie avec souplesse si une société poursuit la même activité

(CE 8/07/1992 n°80583, SA Elima : RJF 11/92 n°1480 :
l’activité de vente au détail de textiles d’ameublement est identique à celle qui la remplace, de vente au détail, demi-gros et gros de textiles d’importation ),

(CE 18/05/2005 n°259275, SARL Sophie B : RJF 8-9/05 n°834 : l’activité consistant dans l’exploitation d’un commerce de vêtements de prêt-à-porter est identique à celle qui la remplace et qui consiste à vendre, sous une autre enseigne, des vêtements, chaussures et articles de sport), on peut en déduire que la poursuite d’une seule des activités initiales, elle même ajustée sans pour autant cesser de relever de la même nature d’activité, suffit à maintenir l’identité de l’entreprise.

Le juge va donc très loin dans la souplesse aujourd’hui nécessaire à la restructuration des entreprise qui doivent sans cesse s‘adapter à la concurrence mondiale.

Toutefois, pour mettre une limite à la tentation d’une optimisation qui verserait dans l’abus, le Conseil d’Etat exige que l’activité maintenue n’ai pas eu un caractère marginal dans l’ensemble des activités initiales. Il peut s’avérer délicat de distinguer ce qui est marginal de ce qui ne l’est pas. Dans le qualificatif de marginal, il y a une dimension quantitative mais aussi qualitative. Le juge sera d’autant plus indulgent sur la dimension quantitative que la dimension qualitative de l’activité maintenue sera forte. Autrement dit, si au sein des activités initiales, l’activité maintenue est une activité comportant un fort potentiel de développement et de bénéfices, le juge acceptera sans doute d’apprécier le caractère marginal ou non de l’activité maintenue plus en fonction de son potentiel que de son chiffre d’affaires à la date du recentrage. Il en va de même à notre avis dans l’hypothèse précédemment évoquée d’une activité nouvelle importante par le chiffre d’affaires s’ajoutant à une activité initiale plus modeste.

En définitive, le juge se veut réaliste. Il sait que pour survivre une entreprise doit parfois se couper un bras. Il n’ignore pas que l’existence de déficits reportables qui permettent de neutraliser fiscalement les bénéfices à venir, sont fréquemment un facteur essentiel du développement d’une activité recentrée ou nouvelle.

Pour autant, il n’entend pas encourager un marché des déficits.

 Restons en deça de la ligne jaune pour dormir tranquille


                                               Olivier FOUQUET                                                 Président de Section au  Conseil d’Etat

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