Mme Lagarde au sénat (28 novembre 2010)

lagarde.jpgMme Lagarde au sénat

Je vous diffuse le discours de politique fiscale de Mme Lagarde  au sénat le 18 novembre dernier

Ce discours ,clair et structuré, est plein de vision d’une  vraie politique fiscale et la sincérité des propos semble de mise  même si tous les problèmes ne sont pas abordés et solutionnés mais il nous permet de mieux  comprendre certains aspects politiques du PLF2011

 

Séance du 18 novembre 2010 (compte rendu intégral des débats) cliquer

 

Mme Christine Lagarde, ministre. Il est indispensable que notre pays ne se retrouve pas à la merci de tel ou tel financeur ou refinanceur, victime de ses desiderata, par l’effet d’une dette qui serait devenue trop lourde à porter et dont nous ne pourrions assurer convenablement le remboursement.

C’est aussi une question de justice à l’égard des générations futures, car nous ne pouvons pas éternellement vivre à crédit et faire porter à ces dernières le poids de la dette.

Enfin, sur le plan de la politique économique, il est évidemment nécessaire de rétablir la confiance, notamment celle des agents économiques, afin que ces derniers ne constituent pas une épargne de précaution au motif d’une mauvaise gestion des finances publiques.

J’évoquais dernièrement ce sujet avec mon homologue allemand, alors que nous débattions des politiques de réduction tendancielle des déficits et de la dette.

Alors que nous sortons de la crise, après avoir légitimement creusé les déficits et accru notre endettement, nous devons en revenir à des méthodes de fonctionnement beaucoup plus raisonnables qui nous permettent d’atteindre les trois objectifs que je viens de mentionner. Nous devons le faire par une maîtrise stricte et durable des dépenses budgétaires de l’État et – nous l’espérons – des collectivités locales, et un effort sans précédent de réduction des dépenses fiscales et des niches sociales, comme vient de l’indiquer François Baroin.

Mme Christine Lagarde, ministre. Pour y parvenir, nous proposons dans ce projet de loi de finances une série de mesures courageuses : des mesures de financement de la réforme des retraites, auxquelles prendront part l’ensemble des acteurs, y compris les patrimoines les plus taxés puisque nous avons relevé d’un point l’impôt sur les hauts revenus et sur les revenus du capital, nonobstant le bouclier fiscal et l’application de toute autre mesure d’exonération ; des mesures de financement de la dette sociale, qui mettent à contribution principalement le secteur de l’assurance ; des mesures de réduction du déficit de l’État.

Parmi ces dernières mesures, je n’en citerai que trois.

Premièrement, nous avons décidé de réduire les avantages fiscaux en faveur de l’énergie photovoltaïque. Cette décision, parfaitement légitime, ne trahit aucune hostilité de la part de Bercy à l’égard du Grenelle de l’environnement et de la nécessaire politique en faveur de l’environnement et de la croissance durable ; simplement, nous avons considéré que les objectifs en la matière ont été atteints et qu’il n’est pas nécessaire, dans ces conditions, de maintenir des avantages fiscaux pouvant conduire à des excès et à des abus.

Deuxièmement, nous supprimons le régime de faveur accordé, par dérogation, aux offres dites triple play en matière de TVA, dont le coût, du fait de l’évolution technologique, a été multiplié par trente en quatre ans, passant de 27 millions d’euros en 2006 à 835 millions d’euros en 2010. Il était indispensable de recadrer cet avantage, justifié à l’époque où il avait été mis en place.

Troisièmement, nous avons procédé à la réduction homothétique – le « rabot » – de 10 % d’un ensemble de niches fiscales. Cette mesure n’est pas assimilable à une augmentation d’impôt dans la mesure où ce sont les contribuables qui ont délibérément « choisi » de profiter de ces niches.

Nous avons donc fait le choix de privilégier la réduction des dépenses fiscales par rapport à l’augmentation générale des impôts, que nous refusons. C’est une question d’efficacité économique et de justice.

À cet égard, le Gouvernement est bien évidemment sensible à la nécessité d’équilibrer l’effort entre les ménages, d’une part, et les entreprises, d’autre part. Ainsi, ces dernières contribueront à hauteur de 60 % à cet effort en 2011, et à plus de 50 % en 2012.

Notre troisième priorité, sur laquelle je m’attarderai un peu plus longuement, est la compétitivité de notre économie.

Dans un monde qui, comme je l’indiquais tout à l’heure, change fondamentalement avec l’apparition de multiples centres de gravité et l’émergence des nouveaux pôles de concurrence que sont les pays émergents, notre compétitivité dépend de la capacité de notre économie à se positionner en haut de la chaîne de valeur dans tous les secteurs d’activités et de notre aptitude à conserver sur le territoire français notamment des activités à haute valeur ajoutée, mais pas seulement : ainsi, les centres de recherche et développement peuvent nous permettre de nous maintenir en haut de cette chaîne, mais à condition qu’une base industrielle puisse nourrir leurs efforts dans ce domaine.

Vous le savez pour avoir beaucoup contribué à ces évolutions, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons pris, depuis 2007, un certain nombre de mesures dans le cadre de cette politique économique et fiscale destinée à améliorer notre compétitivité. Je me réfère là aux investissements d’avenir – le grand emprunt –, à la modification en profondeur de notre fiscalité locale, avec la suppression de la taxe professionnelle et son remplacement par la contribution économique territoriale, plus intelligente et ciblée sur l’encouragement du secteur industriel et des PME, et, évidemment, au crédit d’impôt recherche, sur lequel je reviendrai dans un instant.

Nous avons aussi intensifié notre politique de soutien à l’exportation. Les PME et les entreprises de taille intermédiaire doivent impérativement exporter plus. L’affirmer ne suffit pas, il faut aussi repositionner les acteurs publics soutenant l’exportation. Ainsi, nous avons profondément modifié Ubifrance pour en faire un acteur compétitif et efficace auprès des entreprises. Nous avons également modifié les instruments financiers d’aide à l’export, afin que nos entreprises soient en capacité d’affronter les marchés extérieurs et de s’y implanter.

Les mesures que nous vous proposons dans le cadre de ce projet de loi de finances pour 2011, centré sur la compétitivité des entreprises, visent à intensifier ces efforts de réforme structurelle, en agissant dans trois directions.

Le premier volet a trait aux mesures en faveur de l’investissement.

S’agissant de l’investissement immobilier des ménages, comme je l’indiquais tout à l’heure, les chiffres du troisième trimestre de 2010 démontrent que les ménages ont recommencé à investir dans la pierre.

Avec Benoist Apparu, nous avons refondu les trois régimes existants – le crédit d’impôt pour les intérêts d’emprunt, le dispositif du Pass-foncier prévoyant une taxe sur la valeur ajoutée à taux réduit pour la construction de certains logements, et le prêt à taux zéro – pour créer un nouveau prêt à taux zéro amélioré et simplifié, dont nous espérons qu’il sera moins coûteux budgétairement et plus efficace vis-à-vis des Français souhaitant continuer à investir dans l’immobilier.

S’agissant de l’investissement des entreprises et de sa dynamisation, nous avons engagé, d’abord avec Luc Chatel puis avec Christian Estrosi, un travail de concertation avec les entreprises dans le cadre des états généraux de l’industrie. Le but recherché est la détermination des dispositifs les plus efficaces pour soutenir l’investissement.

Nous avons parlé de la contribution économique territoriale, qui permet de mieux cibler les investissements que nous souhaitons solliciter.

Mais, bien évidemment, nous trouvons parmi ces dispositifs le crédit d’impôt recherche, qui, de l’avis de tous les investisseurs étrangers, est l’un des facteurs majeurs d’attractivité du territoire français.

Vous connaissez le diagnostic, mesdames, messieurs les sénateurs : la France souffre d’une insuffisance de la recherche privée ; c’est l’effort de recherche et développement qui conditionne notre croissance à long terme ; l’enjeu est donc absolument stratégique pour notre pays, eu égard à la concurrence mondiale que j’évoquais tout à l’heure.

À ce stade de mon intervention, je voudrais donc plaider en faveur du crédit d’impôt recherche, qui, tant dans son architecture que dans ses effets, est probablement l’un des outils fiscaux de politique économique les mieux calibrés, examinés et analysés.

À cet égard, je tiens à saluer la préparation d’un certain nombre de rapports sur la question, aussi bien à l’Assemblée nationale qu’au sein de l’Inspection générale des finances ou de votre commission des finances. Je pense notamment, monsieur le président Arthuis, à l’excellent rapport de M. Christian Gaudin.

Dans tous ces rapports, on trouve sensiblement les mêmes cinq conclusions, que je voudrais rappeler brièvement.

La question est la suivante : cette mesure rapporte-t-elle gros ?

Nous disposons d’éléments de réponse sur ce point. J’insiste une nouvelle fois sur le fait que le crédit d’impôt recherche est l’un des rares outils fiscaux dont on mesure avec un peu de sérieux les effets.

 Mais ce n’est pas parce qu’on en mesure les effets qu’il faut impérativement décapiter le dispositif !

Première conclusion, un euro de crédit d’impôt recherche génère de un à trois euros de dépenses de recherche supplémentaires. À ceux qui dénoncent un effet d’aubaine, je réponds donc que ce n’est pas du tout le cas : les entreprises qui utilisent le crédit d’impôt recherche multiplient leurs investissements personnels.

. Deuxième conclusion, un euro investi dans le crédit d'impôt recherche se traduit par une augmentation du produit intérieur brut de deux euros à l’horizon de quinze ans. Voilà pour le retour sur investissement !

Troisième conclusion, en 2008, première année d’application de la réforme du crédit d’impôt recherche, on a pu constater que les entreprises ont accru de 1,5 milliard d’euros leur effort de recherche et développement.

Quatrième conclusion, la même année, c’est-à-dire en 2008, 3 000 entreprises supplémentaires sont entrées dans le dispositif ; 60 % d’entre elles n’avaient jamais mené de programme de recherche et développement auparavant.

Cinquième conclusion, pas moins de deux tiers de ces nouveaux bénéficiaires du crédit d'impôt recherche sont des petites et moyennes entreprises.

Je sais par avance, mesdames, messieurs les sénateurs, quels arguments vont m’être opposés : certains chiffres grandiloquents vont être évoqués. J’attire votre attention sur le fait qu’un certain nombre d’entre eux – les plus élevés, ceux que vous allez probablement utiliser dans vos argumentations – incluent le remboursement anticipé du crédit d'impôt recherche au titre du plan de relance.

Je crois donc qu’il faut raison garder : la juste appréciation de la qualité et de la valeur d’un outil exige de bien mesurer et de bien comprendre quel est le risque, quel est le coût, quel est le retour sur investissement, et ce sans se focaliser sur une année de « dégorgement des tuyaux », si vous me permettez cette expression.

Nous avons eu, à l’Assemblée nationale, des débats nourris sur le sujet. Si je comprends la logique suivie par l’Assemblée nationale, qui a souhaité raboter quelque peu le crédit d'impôt recherche, je crois que nous devons être extrêmement vigilants à cet égard et ne pas considérer cet outil comme n’importe quel autre outil. Ce dispositif est très particulier et, de mon point de vue, extrêmement stratégique.

Mais je sais pouvoir faire confiance à la sagacité de la commission des finances et de la Haute Assemblée dans ce processus d’appréciation des effets du crédit d'impôt recherche et de l’utilité qu’il représente pour notre économie.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Il y a eu un peu trop de lobbying sur le sujet !

Mme Christine Lagarde, ministre. Je l’ai subi aussi !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Nous avons l’habitude !

Mme Christine Lagarde, ministre.

Le deuxième volet en matière de réforme structurelle concerne la taxe systémique sur les établissements financiers, la « taxe sur les banques » pour faire simple.

Ajoutée à la contribution au financement de la supervision du secteur bancaire, que nous avons mise en œuvre au début de l’année, et à la contribution exceptionnelle au Fonds de garantie des dépôts instaurée à la fin de l’année 2009, cette taxe portera la contribution des banques à un milliard d’euros en 2013.

Ce dispositif conforte très clairement la position de la France, à un moment où elle prend la présidence du G20 pour toute l’année 2011, pour inciter et encourager, dans une démarche quasi-kantienne, l’ensemble de ses partenaires à adopter le même type de pratiques. Aujourd’hui, ce n’est évidemment pas le cas, mais c’est un combat que nous mènerons aussi.

Enfin, j’en viens au troisième volet de l’effort de réforme structurelle.

J’honorerai bien entendu, au côté de François Baroin, l’engagement que nous avons pris dans l’article 76 de la loi de finances pour 2010, consistant à revenir devant la Haute Assemblée pour évoquer la réforme de la taxe professionnelle : ses effets ; les questions sensibles qu’elle soulève, notamment en matière de péréquation ; le volume, l’assiette et le taux de l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux, ou l’IFER. Ce rendez-vous me permettra de donner suite à l’excellente initiative qu’a prise votre président de la commission des finances d’organiser, à la fin du mois de septembre, un débat sur les conséquences et les effets de la réforme de la taxe professionnelle.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, telles sont les observations que je souhaitais faire, à titre liminaire, à l’aube de l’examen de ce budget.

 

 

Je tiens à remercier tout particulièrement la commission des finances, son président, son rapporteur général et tous ses membres, qui ont examiné avec beaucoup de patience et d’intelligence ce projet auquel nous allons consacrer tant de temps. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)

18:40 | Tags : christine lagarde | Lien permanent | Commentaires (0) |  Imprimer | |  Facebook | | | | |