O FOUQUET peut-on provisionner en comptabilité sans provisionner en fiscalité? (30 décembre 2011)

janus.jpg PROVISION  COMPTABLE ET PROVISION FISCALE :

 VRAIS OU FAUX JUMEAUX ? 

les tribunes d'O Fouquet

 

CAA de Paris du 18 novembre 2010 n° 09-4821,

 Sté Foncière du Rond-Point : RJF 6/11 n°684

 

La CAA de Paris dissocie, pour la première fois, la règle fiscale de la règle comptable dans le domaine particulièrement sensible des provisions. Selon la cour : « la déduction d’une provision pour la détermination de son résultat fiscal constitue pour l’entreprise une faculté qu’elle peut décider ne pas exercer ». 

 Autrement dit, l’entreprise qui a constitué une provision comptable, ne serait pas obligée de constituer la même  provision sur le plan fiscal. Cette jurisprudence  a donc pour effet de permettre au contribuable français qui y trouve son compte, de ne pas tirer de conséquences fiscales de ses écritures comptables de provision.

C.A.A.de Paris, 18/11/2010, 09PA04821, Sté Foncière du Rond-Point  

Quelle peut être chez la cour la source de  son inspiration ?

 

Dans cet article diffusé avec l'aimable autorisation de la revue administrative, Olivier FOUQUET  critique la dissociation de la provision fiscale et de la provision comptable, admise par la CAA de Paris; 

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  PROVISION COMPTABLE ET PROVISION FISCALE :
VRAIS OU FAUX JUMEAUX ?

   Par  Olivier Fouquet  Président de Section (h) au Conseil d’Etat

 

 

1- Il est des hirondelles qui ne font pas le printemps. L’arrêt de la CAA de Paris du 18 novembre 2010 n° 09-4821, Sté Foncière du Rond-Point : RJF 6/11 n°684 nous parait faire partie de ces jurisprudences fragiles  qui néanmoins convainquent d’autant plus facilement les contribuables qu’elles comblent leurs espérances. Il est vrai que la Professeur Gautier Blanluet, l’un des meilleurs fiscalistes français, a , comme Merlin l’enchanteur, tracé, dans les FR  F. Lefebvre 16/11, une formule magique autour de cet arrêt pour le préserver de la cassation. Nous ne sommes cependant pas certain que ce charme résistera longtemps aux lutins du Palais Royal.

L’arrêt de la CAA de Paris transgresse en effet l’un des plus importants principes divins qui figure à l’article 38 quater de l’annexe III au CGI selon lequel « les entreprises doivent respecter les définitions édictées par le plan comptable général, sous réserve que celles-ci ne soient pas incompatibles avec les règles applicables pour l’assiette de l’impôt ». La modeste annexe dans laquelle figure cette règle de parallélisme entre comptabilité et fiscalité, ne doit pas faire illusion. Le Conseil d’Etat  a érigé cette règle en principe général du droit, car elle constitue encore en France le fondement essentiel de la fiscalité applicable aux comptes sociaux.

Or la CAA de Paris dissocie, pour la première fois, la règle fiscale de la règle comptable dans le domaine particulièrement sensible des provisions. Selon la cour : « la déduction d’une provision pour la détermination de son résultat fiscal constitue pour l’entreprise une faculté qu’elle peut décider ne pas exercer ».  Autrement dit, l’entreprise qui a constitué une provision comptable, ne serait pas obligée de constituer la même  provision sur le plan fiscal. Cette jurisprudence  a donc pour effet de permettre au contribuable français qui y trouve son compte, de ne pas tirer de conséquences fiscales de ses écritures comptables de provision.

Quelle peut être chez la cour la source de  son inspiration ? A l’évidence la cour a cru pouvoir transposer une jurisprudence ancienne selon laquelle la constitution d’une provision n’était qu’une faculté. Cette jurisprudence résultant de deux décisions CE 18 décembre 1963 n°56852 : Dupont 1964 p. 172 ; CE 12 février 1965 n°60409 : Dupont p. 229, a été réaffirmée par une décision plus récente, CE 10 décembre 2004 n°236706, Sté Roissy Films : RJF 2/05 n°118 avec chronique Bereyziat p.63, concl. L. Vallée BDCF 2/05 n°12, obs. J. Guilmoto BGFE 1/05 p. 12 ; « s’agissant d’une faculté que l’entreprise peut ne pas exercer, et qu’il lui est dès lors loisible de n’exercer que partiellement, il y a lieu d’admettre qu’après avoir calculé avec une approximation suffisante le montant de la provision qui serait justifiée, l’entreprise peut constituer une  provision d’un montant moindre ».

2) Mais si cette jurisprudence a été la source de l’inspiration de la cour, celle-ci a commis un contresens en l’interprétant. Que dit en effet le Conseil d’Etat ? Dans une situation où l’entreprise n’a pas constitué de provision en comptabilité alors que celle-ci aurait été justifiée, ou a constitué une provision d’un montant inférieur à celui qu’aurait justifié le risque identifié de perte ou de charge, l’administration ne peut pas obliger le contribuable à constituer au seul plan fiscal une provision correspondant au risque identifié de perte ou de charge. Autrement dit le Conseil d’Etat affirme le parallélisme de la règle comptable et de la règle fiscale en matière de provision en interdisant à l’administration fiscale de les dissocier, alors qu’à l’inverse la CAA de Paris autorise le contribuable à les dissocier en lui permettant de ne pas tirer de conséquences fiscales de la constitution d’une provision en comptabilité.

Il est vrai que la jurisprudence du Conseil d’Etat peut se réclamer des dispositions du 5° de l’article 39,1 du CGI selon lesquelles sont déduites du bénéfice « les provisions … à condition qu’elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l’exercice ». Mais ces dispositions ne comportent aucun a contrario impliquant que l’entreprise pourrait s’abstenir de de déduire fiscalement en charges les provisions qu’elle a effectivement constatées en comptabilité.

La CAA de Paris, croyant respecter l’inspiration de la jurisprudence du Conseil d’Etat  fondée sur le principe général rappelé ci-dessus selon lequel  les règles comptables sont applicables pour l’assiette de l’impôt sauf disposition fiscale en sens contraire, viole allègrement ce principe en autorisant le contribuable, à sa seule initiative et de façon discrétionnaire, à ne pas appliquer fiscalement la règle comptable en matière de provision.

Il est néanmoins exact que les règles comptables et les règles fiscales en matière de provision ne sont  pas totalement identiques. La condition fiscale « d’évènements en cours » à la clôture de l’exercice n’a pas son équivalent en droit comptable. Le juge fiscal et sans doute plus exigeant quant aux  méthodes de calcul statistiques des provisions que le droit comptable. Mais en déduire que le droit fiscal déroge globalement au droit comptable en matière de provisions nous paraîtrait excessif.

A notre sens, les règles comptables et fiscales en matière de provisions sont suffisamment proches pour que le principe général du parallélisme s’applique, sous réserve d’exceptions sur des points bien identifiés. Autrement dit, s’il peut exister des différences justifiées  entre les provisions constituées en comptabilité et celles constatées au « bilan fiscal » en raison de divergences sur des points  spécifiques, cette circonstance n’autorise pas le contribuable à s’affranchir de façon générale des écritures qu’il a passées en comptabilité.

3) Il est vrai que le resserrement des règles d’imputation des créances de carry-back et de règles de report des déficits donnait un intérêt tout particulier à la jurisprudence de la CAA de Paris. Mais il faut savoir ce que l’on veut. On ne peut pas gagner sur tous les tableaux et invoquer le parallélisme fiscalo-comptable quand cela vous arrange, pour le contester quand on y perd.

Si le Conseil d’Etat ne confirme pas la jurisprudence de la cour, que vont devenir les contribuables qui ont constitué des provisions comptables sans constituer de provisions fiscales, lors de la reprise ultérieure des provisions comptables ?

L’administration fiscale lorsqu’une entreprise reprend  une provision comptable, en tire les conséquences fiscales en réintégrant la provision reprise dans le résultat fiscal. Si la provision comptable, sans provision fiscale, a été constituée au cours d‘une période fiscalement non prescrite, la question des conséquences fiscales de la reprise peut en pratique être réglée. Mais  que se passe-t-il lorsque la provision comptable reprise a été constituée, sans en tirer de conséquences fiscales, au cours d’une période prescrite fiscalement ? Certains contribuables redressés ont imaginé d’invoquer à leur bénéfice la théorie de la correction symétrique des bilans. En effet le bilan auquel s’applique cette théorie est le « bilan fiscal » : CE 30 juin 2008 n°288314, Lemoine : RJF 10/08 n°1100, conclusions E. Glaser BDCF 10/08 n°125.  Dès lors si au bilan d’ouverture du premier exercice non prescrit ne figure pas de provision fiscale, comment pourrait-elle être reprise à la clôture de cet exercice en cas de reprise de la provision comptable ?

Ce raisonnement a incontestablement une logique, sous une réserve toutefois. Le Conseil d’Etat a en effet jugé que l’intangibilité de l’actif net du bilan d’ouverture du premier exercice non prescrit ne peut pas bénéficier au contribuable lorsque la surestimation de l’actif net procède d’initiatives délibérément irrégulières : CE 27 juillet 1979 n°11717, plénière : RJF 11/79 n°639. Or comment analyser la décision qu’aura prise le contribuable en période prescrite de ne pas tirer les conséquences fiscales de la constitution d’une provision en comptabilité ? Ce n’est pas une erreur comptable. C’est en quelque sorte l’exercice d’une option dont nous pensons, contrairement à la CAA de Paris, qu’elle n’est pas légalement ouverte. Il s’agit donc d’une décision délibérée.

Il est vrai que la jurisprudence de 1979 se rattache plutôt à un courant jurisprudentiel, celui de la décision de gestion irrégulière, dont certains, au Conseil d’Etat notamment, pensent qu’il est abandonné. Mais l’idée selon laquelle il est difficile de laisser au contribuable qui a régulièrement constitué une provision en comptabilité, le choix de l’exercice fiscal où il imputera le cas échéant cette provision, demeure, en tout état de cause, d’actualité.

Provision comptable et provision fiscale : vrais ou faux jumeaux ? Le Conseil d’Etat tranchera.

 

                                                                                                                 O. F.

 

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