Sur le cumul des sanctions pénales et fiscales : La position du conseil constitutionnel (22 avril 2021)

conseil constituinnnel.jpgLa règle « non bis in idem » (ou « ne bis in idem ») est un principe classique de la procédure pénale, déjà connu du droit romain, d'après lequel nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement (une seconde fois) à raison des mêmes faits. Cette expression désigne donc l'autorité de la chose jugée au pénal sur le pénal qui interdit toute nouvelle poursuite contre la même personne pour les mêmes faits. Cette règle qui interdit la double incrimination répond avant tout à un souci de protection des libertés individuelles de la personne poursuivie.

En droit français, le principe est nettement affirmé à l'article 368 du Code de procédure pénale qui dispose qu'« aucune personne acquittée légalement ne peut plus être reprise ou accusée à raison des mêmes faits, même sous une qualification différente »1. Le Code pénal prévoit également ce principe à l'article 113-9 qui dispose qu'« (...) aucune poursuite ne peut être exercée contre une personne justifiant qu'elle a été jugée définitivement à l'étranger pour les mêmes faits et, en cas de condamnation, que la peine a été subie ou prescrite. »2. Enfin, l'article 6 du Code de procédure pénale fait de la chose jugée une cause d'extinction de l'action publique3

En droit international, la règle est consacrée dans la Convention européenne des droits de l'homme à l'article 4, paragraphe 1 du Protocole additionnel n°7 qui énonce que « nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même État en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet État ». L'article 14, paragraphe 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques consacre également le principe en des termes plus larges4.

Enfin, l'article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne dispose que « Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l'Union par un jugement pénal définitif conformément à la loi »5. Ce texte emporte donc une application du principe qui dépasse le cadre du droit interne.

M ais ce principe est limité en droit fiscal

Les sanctions pénales sont applicables indépendamment des sanctions fiscales (majorations pour défaut de dépôt dans les délais, manquement délibéré ou manœuvres frauduleuses, amendes fiscales), sans que puisse être invoquée la règle non bis in idem qui interdit que les mêmes faits puissent être sanctionnés deux fois.

 

La Cour de cassation a affirmé à plusieurs reprises que l’interdiction d’une double condamnation à raison des mêmes faits, prévue par l’article 4 du Protocole n° 7 additionnel à la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales, ne trouve à s’appliquer, selon les réserves faites par la France en marge de ce protocole, que pour les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale et n’interdit pas le prononcé de sanctions fiscales parallèlement aux peines infligées par le juge répressif (Cass. crim., arrêt du 4 juin 1998, n° 97-80620 ; Cass. crim.,arrêt du 19 mai 1999, n° 98-80267 et Cass. crim., arrêt du 2 octobre 2002, n° 01-87996).

 

La Cour de cassation a également indiqué que l’interdiction d’une double condamnation à raison des mêmes faits prévue, notamment, par l’article 14-7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (Pacte de New-York) ne trouve à s’appliquer que dans le cas où une même infraction pénale, ayant déjà donné lieu à un jugement définitif de condamnation ou d’acquittement, ferait l’objet d’une nouvelle poursuite et, le cas échéant, d’une condamnation devant ou par une juridiction répressive.

La Cour a précisé que ni le principe ni le texte conventionnel susvisés n’interdisent le prononcé de sanctions fiscales parallèlement aux peines infligées par le juge répressif (Cass. crim., arrêt du 5 juin 2002, n° 01-85005).

 

Le Conseil constitutionnel a jugé le cumul des sanctions fiscales et pénales conforme à la Constitution  sous réserve que le montant global des sanctions éventuellement encourues ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues.

n° 2016-545 QPC du 24 juin 2016, aff WILDENSTEIN

n° 2016-546 QPC du 24 juin 2016,  aff CAHUZAC

 

n° 2016-556 QPC du 22 juillet 2016 Sur le verrou de Bercy et

n° 2018-745 QPC du 23 novembre 2018).

QPC Cahuzac et Wildenstein :cumul des poursuites

 

 

  Le Conseil constitutionnel a considéré que les procédures pénale et fiscale étaient complémentaires, énonçant :

« [...] les dispositions de l’article 1729 comme les dispositions contestées de l’article 1741 permettent d’assurer ensemble la protection des intérêts financiers de l’État ainsi que l’égalité devant l’impôt, en poursuivant des finalités communes, à la fois dissuasive et répressive. Le recouvrement de la nécessaire contribution publique et l’objectif de lutte contre la fraude fiscale justifient l’engagement de procédures complémentaires dans les cas de fraudes les plus graves. Aux contrôles à l’issue desquels l’administration fiscale applique des sanctions pécuniaires peuvent ainsi s’ajouter des poursuites pénales dans des conditions et selon des procédures organisées par la loi. »

  1. Cependant, le Conseil constitutionnel a émis trois réserves d’interprétation limitant ce cumul :

    - un contribuable qui a été déchargé de l’impôt par une décision juridictionnelle devenue définitive pour un motif de fond ne peut pas être condamné pénalement pour fraude fiscale (première réserve) ;
    - l’article 1741 du code général des impôts qui sanctionne la fraude fiscale ne s’applique qu’aux cas les plus graves de dissimulation frauduleuse de sommes soumises à l’impôt, ou d’omissions déclaratives, cette gravité pouvant résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention (deuxième réserve) ;
    - si l’éventualité que deux procédures soient engagées peut conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique qu’en tout état de cause le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues (troisième réserve).
  2. S’agissant de la deuxième réserve relative à la gravité des faits de nature à justifier la répression pénale s’ajoutant à la répression administrative, la Cour de cassation en a précisé les modalités d’application de la façon suivante :

« Lorsque le prévenu de fraude fiscale justifie avoir fait l’objet, à titre personnel, d’une sanction fiscale pour les mêmes faits, il appartient au juge pénal, après avoir caractérisé les éléments constitutifs de cette infraction au regard de l’article 1741 du code général des impôts, et préalablement au prononcé de sanctions pénales, de vérifier que les faits retenus présentent le degré de gravité de nature à justifier la répression pénale complémentaire. Le juge est tenu de motiver sa décision, la gravité pouvant résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention dont celles notamment constitutives de circonstances aggravantes. A défaut d’une telle gravité, le juge ne peut entrer en voie de condamnation » (Crim., 11 septembre 2019, pourvois n° 18-81.067, n°18-81.040 et n° 18-84.144).

  1. Ainsi, il appartient au prévenu de justifier qu’il a fait l’objet, à titre personnel, de pénalités fiscales, même non définitives, pour les mêmes faits que ceux visés par la poursuite pénale. Dans ce cas, la juridiction correctionnelle se prononce tout d’abord sur la caractérisation de l’infraction au regard des éléments constitutifs prévus par l’article 1741 du code général des impôts. Puis il lui incombe, même d’office lorsque la réserve d’interprétation n’est pas formellement invoquée par le prévenu, de vérifier que les faits retenus présentent le degré de gravité de nature à justifier la répression pénale, en complément de la répression fiscale. Les critères de gravité sont ceux fixés par le Conseil constitutionnel : montant des droits fraudés, nature des agissements ou circonstances de leur intervention. Il a été précisé, s’agissant de ces dernières, qu’il peut s’agir notamment de celles constitutives de circonstances aggravantes de la fraude fiscale. La décision du juge sur la gravité doit être motivée. Elle doit intervenir préalablement au choix et à la motivation des peines prononcées. A défaut de gravité suffisante, le juge, en l’absence de tout fondement légal par effet de la réserve d’interprétation, est tenu de relaxer le prévenu.

 

 

 

 

 

 

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