Comment Washington tourne l'impôt mondial à son avantage Par Richard Hiault LES ECHOS (13 juillet 2021)

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patrickmichaud@orange.fr

C'est un leurre de croire que l'Amérique de Joe Biden est plus altruiste que l'Amérique de Donald Trump. Les négociations fiscales en cours entre 139 pays, réunis au sein de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en témoignent. Aujourd'hui, plus que jamais, les Etats-Unis tirent les ficelles en la matière. 

 L'accord conclu par 131 pays sur les 139 en début de mois, espéré de longue date, est salué à l'unanimité comme historique. 

 Une « plus grande justice fiscale », une « plus grande équité » internationale sont des termes régulièrement avancés. 

 Mais le texte élaboré s'inspire essentiellement des conditions américaines. Si la stratégie de Washington a changé, l'objectif reste le même : récupérer des recettes fiscales tout en protégeant au mieux les intérêts des grandes multinationales américaines.

Les Européens peuvent s'enorgueillir d'avoir déclenché l'impulsion politique. En créant une taxe de 3 % sur le chiffre d'affaires des Gafa, la France, suivie en Europe par le Royaume-Uni, l'Italie et l'Espagne, a forcé Washington à bouger ses lignes.

Dans un premier temps, ces taxes nationales ont provoqué l'ire de Donald Trump et déclenché des menaces de représailles sous forme de taxes douanières supplémentaires sur les produits européens importés aux Etats-Unis.

Avec Biden, le ton est plus courtois et plus policé. Mais l'épée de Damoclès des tarifs douaniers punitifs reste en suspens.

 Leur retrait est conditionné à un accord à l'OCDE. Aux conditions américaines avec peu de concessions à la communauté internationale.

Bénéfices américains

Les Etats-Unis ont les mêmes problèmes que la majeure partie des pays occidentaux. La crise pandémique a nécessité des plans de soutien publics conséquents. Elle les force à trouver de nouvelles ressources budgétaires. Outre-Atlantique, il va falloir aussi financer un vaste programme d'investissement dans les infrastructures. Les Etats-Unis souffrent aussi d'une situation où les multinationales échappent à l'impôt dans une grande largeur. Une preuve ? 

Une étude de Matthew Gardner et Steve Wamhoff, de l'Institute on Taxation and Economic Policy (Itep ), parue en avril dernier, estimait que l'an passé, 55 des plus grandes entreprises américaines, dont Nike et FedEx, n'avaient payé aucun impôt sur les sociétés, bien qu'elles aient réalisé collectivement environ 40 milliards de dollars de bénéfices. Les profits des multinationales américaines sont logés massivement dans des juridictions pratiquant une fiscalité faible, voire nulle.

En 2016, les multinationales avaient planqué 2.600 milliards de dollars à l'étranger,
évitant ainsi environ 750 milliards de dollars d'impôts américains.

Matt Gardnerchercheur associé à l'Itep

Le département du Trésor américain notait d'ailleurs au printemps dernier que, sur les dix principaux lieux de localisation des bénéfices des multinationales américaines en 2018, sept étaient des paradis fiscaux. « Il y a plus de bénéfices américains logés dans de minuscules paradis fiscaux que dans les grandes économies de Chine, d'Inde, du Japon, de France, du Canada et d'Allemagne réunies », soulignait-il.

Rien que les Bermudes, pays d'à peine 64.000 habitants, captaient 10 % de tous les bénéfices réalisés à l'étranger par les multinationales américaines. « En 2016, les multinationales avaient logé 2.600 milliards de dollars à l'étranger, évitant ainsi environ 750 milliards de dollars d'impôts américains », expliquait dans le magazine « Fortune » Matt Gardner, chercheur associé à l'Itep.

 

L'ombre de Gilti

Donald Trump était bien conscient du problème. Il avait tenté de le résoudre en créant, en 2017, le Global Intangible Low-Taxed Income (Gilti). Il instaurait un taux d'imposition minimum compris entre 10,5 % à 13 % sur les profits générés par les revenus des brevets, marques et droits d'auteur qui étaient rapatriés de l'étranger, et en particulier des paradis fiscaux. Las, la législation n'a pas eu l'effet escompté. Le département du Trésor américain observe que la part du revenu total à l'étranger des multinationales dans sept paradis fiscaux est restée quasi identique dans les deux années qui ont suivi la réforme fiscale de 2017, soit 61 % du revenu après impôt.

 

ANALYSE - Impôt minimum mondial : casse-tête en vue pour les grands groupes

A son arrivée à la Maison-Blanche, Joe Biden reprend le chantier en acceptant de discuter de manière plus large au niveau de l'OCDE pour résoudre un problème mondial. L'accord, signé le 1er juillet par les 131 pays, s'inspire largement des idées américaines dont l'administration conduit, parallèlement, une réforme fiscale sur le plan interne. Concernant le pilier 2 de la réforme, à savoir l'instauration d'un taux minimum d'au moins 15 % pour toutes les entreprises ayant plus de 750 millions de dollars de chiffre d'affaires, le chiffre a été mis sur la table par Washington. Les équipes de Joe Biden avaient initialement proposé 21 % avant d'abaisser leur ambition sachant que ce niveau n'obtiendrait pas l'aval du Congrès. Janet Yellen, la secrétaire au Trésor, a beau claironner qu'elle milite pour un taux supérieur, il est probable qu'on en restera là.

Montant des surprofits

Le pilier 1 de l'accord OCDE prévoit, lui, de répartir différemment les droits à taxer les surprofits des multinationales entre les pays dits « de consommation ». Là encore, Washington a imposé ses vues.

 D'abord, il concerne l'ensemble des multinationales, et pas seulement les Gafa.

Autre indice de l'influence américaine : le seuil de 10 % de rentabilité au-delà duquel l'accord s'applique s'inspire de Gilti. Sous ce régime, les bénéfices offshore jusqu'à un rendement de 10 % des investissements réalisés à l'étranger sont exonérés de l'impôt américain. Les bénéfices supérieurs à ce montant sont effectivement soumis à un impôt de 10,5 %.

 D'ici à octobre 2021, il reste un détail d'importance à régler pour ce pilier 1 : quel sera le pourcentage du montant des surprofits des 100 plus grands groupes mondiaux à répartir entre les différents pays où elles exercent une activité ?

L'accord de l'OCDE mentionne de 20 % à 30 %. La question n'est pas neutre, sachant que près des deux tiers des entreprises concernées sont américaines. Le chiffre qui sera arrêté donnera une bonne indication de l'altruisme américain.

Au G20 de Venise, le week-end dernier, le consensus s'orientait sur 20 %, selon les premières indications, la France militant pour 25 %.

En l'état, l'accord conclu à l'OCDE permettrait de générer, grâce au taux d'imposition minimum, 150 milliards de dollars de recettes fiscales annuelles supplémentaires, indique l'Organisation

. Et selon les calculs du Conseil d'analyse économique (CAE), la France récupérerait près de 6 milliards de dollars de recettes fiscales en plus. L'Allemagne obtiendrait un peu plus de 8 milliards.

Pour les Etats-Unis, le montant atteint… 15 milliards de dollars.

 

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