RESUME Les prélèvements fiscaux et sociaux en France et en Allemagne

Les prélèvements fiscaux et sociaux en France et en Allemagne

 

La Cour des comptes a engagé en septembre 2010 un travail visant à dresser un état des lieux comparé des systèmes fiscaux français et allemand, donnant ainsi suite à un souhait exprimé par le Président de la République.

 

La France et l’Allemagne ont des systèmes proches, qui révèlent toutefois des différences et des divergences.

Les prélèvements obligatoires se situent dans les deux pays à des niveaux sensiblement supérieurs à ceux de la zone euro ou de l’OCDE. La concurrence fiscale entre les deux pays ne joue guère.

L’attractivité économique des deux pays repose essentiellement sur des facteurs non fiscaux (infrastructures, niveau des services publics, qualification de la main d’oeuvre). La France et l’Allemagne partagent un niveau de protection sociale élevé dont le financement repose largement sur les cotisations sociales.

Les systèmes fiscaux français et allemand reposent sur des impôts souvent très proches, qu’il s’agisse de la TVA (dont le taux normal est de 19,6 % en France contre 19 % en Allemagne), de l’IR (le taux marginal supérieur est de 41 % en France, 45 % en Allemagne) ou même de l’IS (33,3 % en France, entre 30 % et 35 % en Allemagne une fois pris en compte l’impôt local sur les bénéfices.

L’état des lieux comparé a toutefois révélé l’existence de différences, souvent anciennes, et de divergences récentes en matière de politique fiscale :

- concernant les différences, on relève essentiellement les points suivants : un pilotage plus intégré en Allemagne des politiques de prélèvements, l’autonomie financière des Länder ne reposant pas sur la notion de ressources fiscales propres et l’Allemagne n’ayant pas de fiscalité affectée à la protection sociale ; l’existence en France de nombreux impôts et taxes grevant les coûts de production qui n’ont pas leur équivalent en Allemagne (dont 26,5 Md€ assis sur les salaires) ; le poids accru des cotisations sociales en France, où la politique familiale repose pour une part importante sur les salaires ; un écart substantiel en matière de taxation du patrimoine dû, en large part à une imposition plus forte du foncier ;

- concernant les divergences ayant caractérisé les politiques menées depuis une dizaine d’années, trois sont à relever : la moindre priorité donnée en France à la maîtrise des déficits, en particulier ceux des comptes sociaux ; le développement plus rapide des dépenses fiscales et sociales en France au cours des années 2000 ; la grande continuité de la politique fiscale allemande dans le sens de la réduction des déficits et la restauration de la compétitivité.

 

 

La France et l’Allemagne ont connu des tendances économiques divergentes.

 

 

Le partage de la valeur ajoutée a évolué différemment au cours des années 2000. La part des salaires est restée stable en France. Elle a reculé de 5 points en Allemagne, partant d’un niveau plus élevé. La compétitivité de la France et celle de l’Allemagne ont suivi des voies divergentes, cette dernière se distinguant dans l’Union européenne. Si les niveaux de coûts dans l’industrie peuvent être considérés comme proches, l’évolution des coûts salariaux horaires a été défavorable à la compétitivité de la France sur la période 2000-2008, l’avantage dont elle disposait en ce domaine au début des années 2000 a disparu.

L’Allemagne se distingue par une priorité plus forte donnée au respect de l’équilibre budgétaire. L’Allemagne a profité de la période de croissance relativement forte qui a précédé la récession pour réduire son déficit public. En 2008, la France abordait la crise avec un déficit de 3,3 % de PIB quand l’Allemagne présentait un excédent de 0,1 % du PIB. Le déficit structurel français est aujourd’hui supérieur de plus de trois points à celui estimé pour l’Allemagne. L’écart entre les situations budgétaires allemande et française s’explique en grande partie par la dynamique de la dépense publique. Entre 2000 et 2008, l’Allemagne a ralenti l’évolution de sa dépense publique (ramenée de 45,1 à 43,8 points de PIB), ce qui n’a pas été le cas de la France.

France et Allemagne se caractérisent par un système de protection sociale large et se comparent favorablement au regard du reste de l’Union européenne en matière d’inégalités. Une analyse plus fouillée fait toutefois apparaître que le système français de protection sociale obligatoire est plus large, cependant que, dans la période récente, certains indicateurs permettant de mesurer les inégalités et les taux de pauvreté ont eu tendance à se détériorer en Allemagne, à la différence de la France.

 

Des différences existent aussi dans la structure et au sein de chaque prélèvement

La France a réduit les prélèvements obligatoires assis sur la consommation. L’Allemagne a suivi une tendance inverse. Désormais, les recettes de TVA pèsent le même poids rapporté au PIB dans les deux pays (7%). Mais la part de la TVA dans le total des recettes fiscales est aujourd’hui plus élevée en Allemagne (18 % des recettes fiscales) qu’en France (16,4 % des recettes fiscales). La France fait un plus large recours que l’Allemagne aux taux réduits de TVA.

Les taux d’imposition des revenus du travail sont voisins dans les deux pays, à un niveau supérieur à celui de l’Union européenne. Le taux d’imposition est stable en France depuis 1995, autour de 42 %. L’Allemagne s’est, au contraire, engagée depuis 2004 dans une baisse des prélèvements assis sur le travail afin d’améliorer la compétitivité de ses entreprises.

Le taux d’imposition du capital en Allemagne, qui a fortement diminué depuis 2000, se situe aujourd’hui nettement en dessous de la moyenne de l’Union européenne à 25. La France se place significativement au-dessus. Le produit de l’imposition des revenus du capital est comparable dans les deux pays. L'essentiel de l'écart de taxation du stock de capital entre les deux pays tient d'une part aux prélèvements qui n'existent qu'en France (taxe professionnelle, ISF, mutations mobilières à titre onéreux, C3S, taxe d'habitation), d'autre part à des prélèvements sensiblement plus lourds côté français (taxe foncière, mutations à titre gratuit).

Les recettes de la fiscalité environnementales sont plus faibles en France.

Le poids de l’impôt sur le revenu est plus de trois fois plus élevé en Allemagne qu’en France (9,6 % du PIB allemand en 2008 contre 2,6 % du PIB en France). Le taux marginal supérieur de cet impôt est plus élevé en Allemagne qu’en France.

Les cotisations sociales s’établissent à un niveau significativement supérieur en France : 15 % du PIB en France, contre 12,6 % du PIB en Allemagne. Les dispositifs d’exonérations de cotisations sociales sont beaucoup plus importants en France.

En Allemagne comme en France, les sociétés sont soumises à une imposition à deux niveaux. A l’impôt sur les sociétés s’ajoute ainsi une imposition locale sur les entreprises, plus lourde en Allemagne. En 2008, les recettes de taxe professionnelle représentaient 1,01 % du PIB en France contre 1,65 % pour la taxe commerciale en Allemagne. Depuis la fin des années 1990, le taux de l’impôt sur les sociétés en Allemagne a fortement diminué pour atteindre 15 % en 2008. Au cours de la même période, l’impôt sur les sociétés français a moins évolué. De ce fait, le poids des recettes d’impôt sur les sociétés est devenu très différent dans les deux pays : 0,64 % du PIB en Allemagne et 2,53 % du PIB en France.

 

La part exceptionnellement faible des recettes d’IS en Allemagne s’explique aussi par le fait que 83 % des entreprises allemandes sont des sociétés de personnes assujetties à l’impôt sur le revenu.

La fiscalité française prévoit un certain nombre de taxes sur les entreprises dont les principales sont la taxe sur les salaires, acquittée essentiellement par les banques et les assurances en contrepartie de leur non assujettissement à la TVA et le versement transports. Ces taxes représentent, pour celles qui sont assises sur la masse salariale un prélèvement qui a représenté 1,2 point de PIB en 2008 et qui n’a pas d’équivalent en Allemagne.

 

 

 

Les principaux enseignements de cette comparaison

Ce qui rassemble les deux pays est bien plus important que ce qui les sépare. Néanmoins, la Cour a identifié des divergences préoccupantes.

La principale est l’écart de déficit structurel, supérieur à trois points de PIB. L’impératif absolu de redressement des finances publiques implique une maîtrise stricte et durable des dépenses publiques, sans exclure l’utilisation du levier de la recette. Toute réflexion sur l’évolution de notre fiscalité doit donc s’opérer à rendements constants immédiats.

La politique fiscale allemande identifie mieux un objectif prioritaire pour chaque catégorie d’imposition. La politique fiscale allemande privilégie plus clairement pour chaque impôt la neutralité économique. Ainsi, la hausse de 3 points de la TVA a-t-elle été essentiellement justifiée par la nécessité de redressement des comptes publics. Les réformes de l’impôt sur les sociétés de 2000 et de 2008 ont visé un objectif général d’amélioration de la compétitivité des entreprises et d’attractivité du territoire allemand, et l’impôt sur le revenu a un rôle de redistribution clairement réaffirmé par la création en 2008 d’une tranche supplémentaire au taux marginal de 45 % pour les revenus supérieurs à 250 000 € annuels (47,5% après surtaxe de solidarité).

Les évolutions divergentes des coûts salariaux unitaires dans les deux pays au cours des dix dernières années obligent à considérer comme prioritaire la question de l’allègement relatif de la taxation portant sur le travail.

En ce qui concerne la taxation du patrimoine, l’Allemagne se situe à un niveau très faible parmi les pays de l’OCDE en termes de niveau global de taxation. Elle ne peut constituer une référence à privilégier pour la France. La suspension de l’imposition globale de la fortune, en Allemagne et dans d’autres pays, tient pour une part à la fragilité juridique et politique des bases cadastrales utilisées pour le calcul de la partie immobilière de l’assiette. A cet égard, l’ISF français, qui repose sur les valeurs vénales, apparaît plus robuste. Il souffre, en revanche, de deux faiblesses intrinsèques : une assiette étroite et des taux progressifs élevés eu égard aux taux actuels d’inflation et de rendement des placements financiers.

Concernant l’imposition des sociétés, si le niveau global d’imposition entre les deux pays est comparable, l’Allemagne a, au cours des années 2000, fait évoluer ses règles dans le sens d’un élargissement de l’assiette et d’une baisse des taux.

La comparaison a permis d’identifier trois marges de manoeuvre : le réexamen des niches, la taxation de la consommation, avec le périmètre et le niveau du taux réduit de TVA, enfin la fiscalité environnementale (taxation des produits énergétiques et des véhicules particuliers). Les deux utilisations possibles des marges de manoeuvre sont la réduction des déficits publics ou l’amélioration de la compétitivité par l’allègement de la taxation du travail et des coûts de production des entreprises.

 

La Cour suggère plusieurs orientations

 

Les travaux de la Cour ont mis en évidence quatre orientations générales portant sur la politique fiscale, tendant à :

- procéder à un réexamen systématique du bien-fondé de chacun des prélèvements grevant, au-delà des cotisations légales de sécurité sociale, les coûts de production des entreprises, en portant une attention particulière aux prélèvements assis sur les salaires ;

- amplifier la réduction des niches fiscales et sociales comme la Cour et le Conseil des prélèvements obligatoires l’ont recommandé notamment dans leurs récents rapports publics ;

- élaborer une stratégie fiscale de moyen terme, et ce faisant fournir à l’ensemble des acteurs un cadre prévisible et suffisamment stable ;

- dans le cadre de cette stratégie de moyen terme qui doit nécessairement viser à réduire les déficits et à améliorer la compétitivité :

• engager un processus de substitution progressive d’un financement à caractère universel à un financement professionnel, assis sur les salaires, pour des politiques publiques sans rapport direct avec l’entreprise ;

• mobiliser à cette fin, en particulier, les marges de manoeuvre tirées de la réduction des niches fiscales et sociales, ainsi que de celles mises en évidence en matière de taxation de la consommation et de fiscalité environnementale ;

• analyser leurs conséquences redistributives et envisager, le cas échéant, les dispositifs d’accompagnement nécessaires, en particulier par l’aménagement de prestations sociales ou la progressivité des impositions.

La comparaison a conduit également à formuler deux orientations sur les travaux entre la France et l’Allemagne :

- achever, entre les administrations, l’approfondissement technique en matière d’assiette de l’impôt sur les sociétés, dans la perspective d’une harmonisation progressive ;

- intégrer les orientations de politique fiscale dans la coordination des politiques économiques française et allemande, dont le Conseil économique franco-allemand est le pivot naturel.

La comparaison réalisée a enfin confirmé le bien fondé d’orientations précédemment énoncées par la Cour et visant à assurer un pilotage plus cohérent des finances publiques.

Ce pilotage exige que la stratégie d’ensemble qui aura été définie soit inscrite dans une loi de programmation des finances publiques juridiquement contraignante à l’égard des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale et intégrant, s’agissant des comptes sociaux, le refus de principe de tout déficit.

 

 

Contacts presse : Denis GETTLIFFE – Responsable des relations presse

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