17 décembre 2017
La taxe à 3 % était-elle un « scandale d’État » ?G Carrez et V Rabault
Aujourd’hui simples membres de la commission des finances de l’Assemblée nationale, Gilles Carrez (Les Républicains) a été rapporteur général du Budget de 2002 à 2012 et Valérie Rabault (Nouvelle Gauche) de 2012 à 2017. Gilles Carrez a aussi présidé la commission des finances de 2012 à 2017.
Ces deux parlementaires à compétence reconnue donnent leur position sur la suppression rétroactive de la taxe de 3%, dont le remboursement est évalué à 10 MM€
DECAPANT
La taxe à 3 % était-elle un « scandale d’État » ?
Gilles Carrez : Non, cette affaire résulte d’un enchaînement imprévisible de décisions de justice européennes et nationales, qui pose un vrai problème vis-à-vis de la fonction première de l’impôt qui, selon l’article 13 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, est de couvrir les dépenses publiques. L’annulation d’un trait de plume de 9 milliards d’euros de recettes pose la question de la hiérarchie des priorités entre la notion de couverture des dépenses communes et celle de liberté d’établissement ou de liberté de circulation des capitaux, qui a servi de justification à la décision de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE).
Valérie Rabault : Il y aurait eu scandale d’État s’il y avait eu intention délibérée de fausser des comptes publics ou si nous avions inventé une taxe tout en sachant qu’elle ne fonctionnerait pas. Ce n’est pas le cas. En revanche, la décision du Conseil constitutionnel et l’importance de la somme à rembourser nous poussent à nous interroger sur la manière dont nous votons les lois fiscales. Il faut réduire cette insécurité juridique, qui n’a fait qu’augmenter au fil du temps.
L’immixtion croissante du pouvoir judiciaire dans la fabrique de l’impôt pose-elle problème ?
- C. :L’affaire de la taxe à 3 % illustre bien les aléas auxquels nous, législateurs, sommes soumis face au vote de l’impôt, qui selon l’article 34 de la Constitution, relève pleinement de l’autorité du parlement national. Créer une taxe sur les dividendes après l’avoir annoncée pendant la campagne présidentielle, même si, pour ma part, je ne partageais pas cette idée, n’aurait pas dû poser de problème juridique. D’autant plus qu’aucune alerte n’a été émise au moment du vote de cette taxe, y compris du côté de Bruxelles.
Valérie Rabault : « Cette incertitude juridique est comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête du législateur. Il serait intéressant que le Conseil constitutionnel y réfléchisse aussi »
- R. :Le Conseil constitutionnel n’a en effet soulevé aucun problème en 2012. Cinq ans plus tard, il change d’avis et cela nous coûte 10 milliards d’euros. Cette incertitude juridique est comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête du législateur. Il serait intéressant que le Conseil constitutionnel y réfléchisse aussi.
- C. :On arrive à ce paradoxe que, par sa décision, la CJUE avantage les entreprises européennes au détriment des entreprises françaises. C’est une rupture d’égalité, qui, en droit fiscal français, est une base de l’appréciation à la fois du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel. Par le biais d’une QPC, puis l’utilisation de la notion de discrimination à rebours retenue par le Conseil constitutionnel lors de la décision Metro Holding de 2016, la taxe se trouve entièrement et immédiatement annulée.
- R. :Le peuple a le droit souverain de décider de taxer davantage les résultats distribués que ceux restant dans l’entreprise. Ce n’est pas à la justice de l’interdire. Le juge européen s’appuie sur le principe de libre circulation des capitaux pour soumettre le législateur national. C’est inadmissible. Il faut que les 27 chefs d’État et de gouvernement de l’UE se mettent autour de la table pour redéfinir la hiérarchie des valeurs que nous souhaitons dans notre espace économique : aujourd’hui, la libre circulation des capitaux l’emporte sur tout le reste, y compris sur le droit du législateur en matière de fiscalité. Du coup, ceci conduit à un véritable paradoxe : en faisant la loi, nous sommes rattrapés par la justice.
Les députés sont-ils « équipés » pour juger de la constitutionnalité de certaines mesures ? Le Conseil constitutionnel ne joue-t-il pas un rôle de garde-fous ?
- C. :J’ai participé de près à la rédaction des recours sur les lois de finances auprès du Conseil constitutionnel lors du précédent quinquennat. Que l’on ait été suivi ou pas, les constructions du Conseil m’ont toujours paru cohérentes, en ligne avec la jurisprudence fondée notamment sur la notion de rupture d’égalité devant l’impôt. Dans le cas de la taxe à 3 %, la déclinaison par le Conseil constitutionnel d’une décision de la CJUEdans laquelle on ne retient pas la notion de rendement de l’impôt pour un montant aussi important tout en retenant la notion de discrimination à rebours me paraît constituer une nouveauté qui me laisse perplexe.
- R. :Il va aussi falloir que nous fassions notre aggiornamento au sein de l’Assemblée nationale. Aujourd’hui, les conventions fiscales sont examinées au Sénat par la commission des finances, qui en mesure les impacts financiers et budgétaires. À l’Assemblée, ces conventions sont examinées par la commission des affaires étrangères. Personne n’examine leurs impacts fiscaux et financiers.
Gilles Carrez : « J’observe que dès qu’au niveau européen, le principe de libre circulation est retenu, il bénéficie dans toute sa radicalité aux pays tiers dès lors qu’ils ont signé des conventions fiscales»
- C. :Il s’agit là d’une incongruité qui dure depuis des années. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir demandé à ce que les conventions fiscales soient réintégrées dans la compétence de la commission des finances. En effet, j’observe que dès qu’au niveau européen, le principe de libre circulation est retenu, il bénéficie dans toute sa radicalité aux pays tiers dès lors qu’ils ont signé des conventions fiscales. Il ne faudrait pas que, faute de réciprocité en particulier en matière de fiscalité des entreprises, l’Europe se comporte en cheval de Troie de la mondialisation.
Quelles mesures de la loi de finances feront l’objet de recours devant le Conseil constitutionnel en fin d’année ?
- C. :Nous argumenterons sur la suppression partielle de la taxe d’habitation et sur l’IFI. Par exemple, il n’est pas normal qu’un propriétaire de terres agricoles les mettant en bail paye l’IFI, alors que s’il garde ses liquidités à la banque, il en sera exonéré. Les terres agricoles confiées à un fermier ne sont-elles pas l’investissement le plus productif de l’histoire de l’humanité ?
- R. :Avec des arguments différents, nous déposerons également un recours contre la suppression de l’ISF, ainsi que sur « l’amendement Collomb » qui crée une disposition sur mesure pour la seule ville de Lyon.
Comment jugez-vous les débats de la première loi de finances de l’ère Macron ?
- C. :Ternes et atones. Il n’y a pas de débat de fond. Je suis favorable à la suppression de l’ISF et à la mise en place du prélèvement forfaitaire unique sur les revenus du capital, mais j’aurais aimé qu’il y ait un débat de fond avec différentes estimations de ce que cela va coûter et/ou rapporter aux finances publiques. J’ai l’impression que le parlement a voté à l’aveugle.
- R. :Je ne partage pas ces mesures. Mais pour les évaluer, il faut comprendre leur impact sur la croissance et sur la création ou la destruction d’emplois. Ces études existent mais nous ne les avons pas eues. Je regrette que le rapporteur général ou même le président de la commission des finances ne soient pas allés les chercher à Bercy.
15:35 Publié dans Rétroactivité fiscale | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | Facebook | | |
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