Cameron prêt à tout contre Juncker

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Par Olivier Perrin DU TEMPS

Le premier ministre britannique pourrait aller au clash avec ses collègues du Conseil européen, tout en étant sûr de perdre la bataille. Il faut dire qu’il est sous forte pression de son opinion publique, eurosceptique. Ce dimanche encore, le «Daily Mail» parlait du Luxembourgeois comme d’un «ivrogne qui prend du cognac au petit-déjeuner»

Ce sont les bruits qui ont agité le milieu politique britannique ce week-end: le premier ministre, David Cameron, est prêt à contraindre ses collègues de l’Union européenne à se prononcer par un vote sur le nom du futur président de la Commission européenne, si ces derniers persistent à imposer Jean-Claude Juncker. On le sait: l’actuel locataire du 10 Downing Street considère l’ancien premier ministre luxembourgeois comme trop fédéraliste. Pire: pour lui, c’est un homme du passé, peu enclin à mettre en œuvre les réformes qu’il juge nécessaires.

Bref, Cameron a promis de se battre jusqu’au bout pour barrer la route à Juncker. D’abord lors du prochain sommet européen, jeudi et vendredi à Bruxelles, en demandant un report de la décision sur le futur président de la Commission. Le temps de trouver un autre candidat, plus consensuel. Mais si ses collègues au sein du Conseil européen refusent, il exigera alors rien de moins qu’un vote des dirigeants des 28 Etats membres, procédure qui va résolument à l’encontre du consensus habituellement recherché.

Une manœuvre désespérée

Alors que David Cameron doit recevoir ce lundi le président du Conseil, Herman Van Rompuy, cette ultime tentative de blocage ressemble à une manœuvre désespérée, selon plusieurs médias britanniques. Qui intervient alors que les neuf dirigeants sociaux-démocrates de l’UE ont accordé leur soutien au Luxembourgeois samedi à Paris, nouveau signe de l’isolement croissant du premier ministre britannique. Gag: un de ses proches a même confié au Sunday Times que «nos chances de stopper Juncker sont désormais les mêmes que de voir l’Angleterre remporter la Coupe du monde»… Faut-il préciser ici que l’Angleterre est déjà éliminée de la compétition?

Juncker a également le soutien de dirigeants conservateurs, à commencer par la plus influente, Angela Merkel. Et dimanche, la Pologne, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Radoslaw Sikorski, a estimé qu’il était le candidat légitime en tant que chef de file du Parti populaire européen de centre droit (PPE), vainqueur des élections du mois de mai: «C’est ça, la démocratie», a-t-il déclaré à Sky News. Dans ce bras de fer, la chancelière allemande, pour tenter de calmer le jeu, a indiqué la semaine dernière qu’elle était prête à un compromis, explique Eurotopics dans sa revue de presse consacrée au sujet: «La Grande-Bretagne pourrait obtenir des contreparties si elle accepte le candidat du PPE […]. Certains commentateurs voudraient un commissaire britannique au Marché intérieur», comme le précise le Times de Londres.

Comme Viktor Orban

Alors, «Hastings ou Trafalgar?» C’est la formule du Figaro pour dire que «s’il faut en venir aux voix, le chef tory risque de se retrouver politiquement isolé, à la notable exception du premier ministre hongrois, Viktor Orban, lui-même parfois jugé infréquentable. […] David Cameron n’entend pourtant ni déposer les armes, ni même s’abstenir. […] Il a déjà brûlé les ponts derrière lui. «Si le choix est entre Jean-Claude Juncker et la défaite en rase campagne, le premier ministre préfère cent fois la défaite», lâche-t-on dans son entourage.» Résultat: «Le sommet de Bruxelles s’annonce comme un cauchemar européen de relations publiques.»

Déjà que Van Rompuy a dû «déminer un autre parallèle malheureux»: ce jeudi, «les Vingt-Huit lanceront la commémoration du Centenaire à Ypres, scène de la première bataille des Flandres, à l’automne 1914. A l’époque, cette confrontation germano-franco-britannique avait marqué le vrai début de la guerre de tranchées…»

Un malin plaisir

Dans ce contexte plein d’ambiance, «la France et l’Italie, Etats européens fortement endettés, réclament un assouplissement du pacte de stabilité. Il est regrettable pour Merkel qu’elle ne puisse pas compter sur la Grande-Bretagne dans la lutte contre la dévalorisation des plafonds d’endettement», commente pour sa part la radio publique Deutschlandfunk. Ainsi, Cameron pourrait retourner à Londres «avec rien de plus que l’affirmation d’avoir tenté d’empêcher jusqu’à la dernière minute – en vain – la nomination de Juncker». Mais «le malin plaisir avec lequel certains attendent» cette défaite «n’est pas partagé par la chancelière. Celle-ci a plus que jamais besoin des Britanniques comme alliés pour s’opposer à l’assouplissement du pacte.»

Alors, «qu’est-ce qui titille David Cameron» dans cette bataille? demande Alex Taylor dans sa revue de presse pour France Inter, relayant le titre de la Tageszeitung: «Als die Sonne nie unterging». «Le premier ministre britannique semble persuadé que l’Union européenne va sombrer dès lors que la Grande-Bretagne s’en va, et que le soleil, of course!, ne s’est pas encore couché sur l’Empire britannique. Le journal allemand se permet de donner un conseil aux Ecossais: séparez-vous des Anglais vite fait, votez pour l’indépendance en septembre!»

«Une influence crépusculaire»

Et l’incorrigible Taylor de poursuivre: «The Daily Telegraph apporte des preuves à ces suppositions, titrant ce matin que la Grande-Bretagne peut très bien survivre sans l’Europe qui, de toute façon, a une influence crépusculaire dans le monde. Ceux qui cherchent des preuves selon lesquelles mes compatriotes sont spéciaux n’ont qu’à ouvrir The Daily Mail qui fait un reportage sur ces Anglaises qui ont recours à des interventions chirurgicales pour raccourcir leurs doigts de pied, afin de rentrer plus confortablement dans les dernières chaussures à la mode.»

Mais pour d’autres médias, cette querelle ne laisse surtout que des perdants et nuit considérablement à l’UE. C’est en tout cas l’avis du NRC Handelsblad néerlandais qui donne la parole au politologue Matthijs Rooduijn, de l’Université d’Amsterdam. Si Juncker est choisi, dit-il, «les eurosceptiques y verront une confirmation de leurs critiques: l’élite bruxelloise n’est pas à l’écoute des priorités des citoyens. Et ils ont raison sur ce point. […] Ceux qui se sont donné le mal d’aller voter n’ont pas pu choisir Juncker parce qu’il n’était candidat nulle part. […] Sa nomination […] [aurait] probablement un effet délétère sur la confiance en la démocratie européenne. Mais si Juncker n’est pas désigné, beaucoup d’électeurs se sentiront sur la touche.» Dilemme.

Une Europe dans l’impasse

Même approche dans Il Sole 24 Ore, en Italie: «Dans une Union qui manque de consensus et de légitimité démocratique, Merkel pas plus que les autres chefs de gouvernement européens ne peuvent se permettre d’ignorer le résultat des élections […]. Avec la nomination de chefs de file des différents partis pour le poste de président de la Commission, l’Europe s’est retrouvée paradoxalement dans l’impasse, au lieu, comment on l’espérait, de raviver le processus d’intégration et de renforcer la démocratie. On se retrouve désormais pris au piège de l’exception britannique. Le premier ministre a joué avec le feu et s’est brûlé les doigts. L’actuelle épreuve de force est absurde et nuit à tout le monde. Mais cette constatation semble ne pas suffire pour mettre fin aux atermoiements.»

D’ailleurs, les dirigeants européens ont jusqu’à présent toujours nommé entre eux le président de la Commission, mais les nouvelles règles leur imposent de «prendre en compte» le résultat des élections. Opposé au processus, David Cameron est en fait sous forte pression en Royaume-Uni, où il doit composer avec une opinion publique eurosceptique et une presse tabloïd agressive à l’encontre de M.Juncker, encore dépeint dimanche par le Daily Mail – encore lui! – comme «l’ivrogne qui prend du cognac au petit-déjeuner». Personnellement favorable à un maintien du Royaume-Uni dans une UE réformée, le premier ministre britannique s’est toutefois engagé à renégocier les termes de la relation entre Londres et Bruxelles. Avant d’organiser ensuite, s’il est réélu en 2015, un référendum d’ici fin 2017 sur une sortie de l’Europe – le fameux «Brexit».

Un sondage commandé par l’Observer, l’édition dominicale du Guardian, indique qu’en l’état actuel, 48% des Britanniques voteraient pour une sortie de l’Europe, et 37% contre. Si en revanche David Cameron parvenait à imposer des réformes, ils ne seraient plus que 36% à voter pour une sortie, et 42% contre.

 

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