Je suis la transparence, cette nouvelle vertu par JD Bredin

 page 10 et 11

Alors se produisit l'événement dont ce premier siècle du troisième millénaire gardera le souvenir car toutes les télévisions du monde en rendirent compte, et cinquante essais furent publiés, dans les dix jours qui suivirent, soucieux d'informer tous ceux qui savaient lire.

 

Une femme, très jeune, très belle, seulement vêtue d'un long voile s'avança. Elle avait le regard limpide, ses mains semblaient de cristal, sa démarche était si claire, si évidente, son allure tant rayonnante que la Compagnie tout entière se leva.

Superbement dressée, cette femme prit la parole, et sa voix fut aussi pure que ses mots. "Je suis la Transparence, dit-elle, la seule Vertu de ce temps et de ceux qui viendront.

 

Je prie la Discrétion, la Réserve, la Pudeur, le Respect, de vouloir bien se retirer car leur temps est passé... Je suis la Transparence, la nouvelle Trinité, je suis la Vérité, et l'Innocence, et la Beauté. Je ressemble à l'image, je suis l'image, je ressemble au jour, à la lumière, au soleil, je lève les voiles, je chasse les mystères, je traque les mensonges,  je mets bas les masques".

Le Courage s'avança et, encouragées par lui, la Justice, la Charité, la Solidarité firent de même. Ensemble ils s'inclinèrent devant la plus radieuse des Vertus. La Transparence les traversa d'un regard foudroyant et elle poursuivit son lumineux discours.

 

"Regardez-moi tous, et ressemblez-moi. Je veux que vos corps, que vos coeurs, que vos amours, que vos patrimoines soient merveilleusement transparents.

 

Je veux que vous appreniez à tout dire, à ne supporter aucun secret, à travailler la porte ouverte, à ressembler au verre, à la glace, aux étoiles. Je veux que vous appreniez tous à vous méfier de vos rêves, de vos rêves amis de la poésie, amis de l'art, amis de l'imagination, amis de tout ce qui porte au mensonge.

Regardez-moi ! Je suis la Vérité, terrible et merveilleuse, qui ne tolère aucune ombre. Je suis l'Innocence parfaite et qui désigne tous les coupables. Je suis la vraie Beauté, celle qui a retiré tous les voiles et qui se confond à la lumière". La Transparence leva alors le doigt, ce doigt de vérité qu'elle porta jusqu'à ses yeux brûlants.

Elle dit à nos Confrères : "Ne vous y trompez pas, Mesdames, Messieurs, je suis le plus beau mot de votre Dictionnaire, l'ultime Vertu d'un temps qui aura enterré toutes les autres..."

Et la Transparence se retira. Toutes les télévisions l'attendaient dehors pour transmettre au monde le plus beau des visages, la plus vraie des paroles. L'Académie délibéra. Sans doute lui parut-il que le temps n'était pas encore venu, pas tout à fait venu, de la dictature glacée de cette sublime Vertu. Le 24 mai de l'an 2033 l'Académie française décida, à l'unanimité de ses quarante fauteuils, que les discours sur les prix de Vertu continueraient, comme il s'était fait à la fin du second millénaire, à traiter de n'importe quoi, sous le prétexte de la Vertu.

 POUR LIRE  EN ENTIER LE DISCOURS  de Me BREDIN

Les commentaires sont fermés.