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Article 12 : Réforme du régime des sociétés de personnes

La Commission est saisie de l’amendement CF 73 de M. Pierre-Alain Muet et CF 105 du rapporteur général.

M. Pierre-Alain Muet. Mon amendement tend à supprimer l’article 12. Le Gouvernement se moque du Parlement : un article de 18 pages, comportant 370 alinéas ! Il aurait dû se trouver dans le projet de loi de finances initial, ou un texte spécifique. Le rapporteur général a lui-même fait savoir ce qu’il en pensait. La suppression permettrait de réfléchir plus sereinement au sujet.

M. le rapporteur général. C’est un des dispositifs le plus compliqués que j’aie vus depuis que je suis rapporteur général ! Les services de l’État m’ont gentiment assuré qu’il était au point, parce qu’ils y travaillaient depuis quatre ans. Et nous n’aurions que quelques jours pour l’examiner…

Ce dispositif concerne les sociétés de personnes dites translucides d’un point de vue fiscal, telles que les sociétés civiles immobilières ou les sociétés en nom collectif. Ces sociétés sont des entités fiscales : le calcul de l’impôt est affecté à leur niveau, mais l’impôt est acquitté par les associés, au prorata de leur part de détention de la société. Il y a deux types d’associés : les personnes physiques qui relèvent de l’impôt sur le revenu, et les personnes morales qui relèvent de l’impôt sur les sociétés.

Pour ce qui est des personnes physiques, le Gouvernement propose d’améliorer la règle de « tunnellisation » des revenus, mise en place progressivement dans les années 1990. Selon cette règle, un déficit industriel et commercial ne peut pas être imputé sur un revenu constitué de salaires, et un déficit foncier ne peut être imputé sur le revenu global que dans la limite de 10 700 euros annuels. Bref, on a tunnellisé les catégories de revenus pour éviter une évaporation d’assiette. Or, les sociétés de personnes permettent une détunnellisation. Ainsi, si l’on fait un investissement immobilier qui crée du déficit parce qu’il est financé par un emprunt et qu’on le loge dans une société en nom collectif, on peut imputer ce déficit immobilier sur ses bénéfices industriels et commerciaux (BIC) ou encore sur ses bénéfices agricoles (BA), bien que le déficit ne soit pas de même nature. Le Gouvernement propose donc de n’accepter l’imputation sur la catégorie de revenus que pour autant que le bien qui produit le déficit relève de cette catégorie. Cela va dans le bon sens et je vous propose d’adopter ces dispositions.

Pour ce qui est des personnes morales, l’impôt sur les sociétés comprend trois dispositions favorables, qui sont nécessaires parce que les autres pays européens les pratiquent aussi. La première est le régime de groupe, ou intégration fiscale : lorsqu’on détient des filiales à plus de 95 %, on peut compenser les résultats déficitaires des unes avec les résultats bénéficiaires des autres et apprécier le résultat au niveau consolidé du groupe. Cette disposition apparaît dans le travail qu’a fait la Cour des comptes à notre demande sur les niches fiscales et sociales, même si ce n’est pas à proprement parler une niche. La deuxième disposition est le régime mère-fille : lorsque l’on détient une filiale à plus de 5 %, les dividendes perçus peuvent être remontés dans la société mère. Toutefois, ces dividendes ont déjà été fiscalisés, puisqu’ils ont été versés après paiement de l’impôt sur les sociétés par la filiale. Ils ne sont donc plus fiscalisés dans la société mère, sauf pour une quote-part de 5 %. Enfin, la troisième série de dispositions concerne les plus-values, sur cession de titres de participation ou cession immobilière par exemple.

Les sociétés de personnes qui ont pour associés des personnes morales ne sont pas complètement transparentes, mais translucides : le calcul de l’assiette de l’impôt se fait à leur niveau. Elles interdisent donc le bénéfice de ces trois régimes favorables. Le Gouvernement propose de les rendre transparentes, c’est-à-dire de permettre aux associés de bénéficier à la fois du montage en société de personnes et de ces dispositifs, ce qui rendrait possibles des montages aboutissant à une réduction supplémentaire de l’assiette de l’impôt. Or, aucune étude d’impact ne nous a été fournie.

M. le président Jérôme Cahuzac. Le Gouvernement dit simplement que ce n’est pas chiffrable !

M. le rapporteur général. D’expérience, je crains que le coût puisse être élevé…

On nous dit que ces mesures sont justifiées par des frottements à l’international. Ainsi, une foncière allemande, détenue par des associés allemands, qui achète un immeuble en France et crée une société de personnes, ne peut pas bénéficier du régime plus favorable de l’impôt sur le revenu… Je suis prêt à étudier tous les exemples au cas par cas, mais je ne suis pas sûr qu’on ait intérêt à faciliter des montages de ce type.

Je vous propose donc, par mon amendement CF 105, de ne pas voter la partie de l’article ayant trait aux sociétés dont les associés sont des personnes morales assujetties à l’impôt sur les sociétés, en attendant une analyse plus fine de ses conséquences. Nous n’adopterions donc que les dispositions relatives à l’impôt sur le revenu.

M. Charles de Courson. L’État a mis quatre ans à sortir ce dispositif, sans aucun travail en commun avec notre Commission ! Cela aurait vraiment facilité les choses…

Il y a trois solutions. La première est la généralisation de l’impôt sur les sociétés, autrement dit le remplacement de la translucidité par l’opacité. On ne peut pas dire que cela va dans le bon sens. La seconde, qui a ma préférence, est la transparence totale. Et la troisième, la solution intermédiaire, est la « transparence rationalisée » : c’est ce que propose le Gouvernement. J’aurais préféré aller jusqu’au bout, et en profiter pour réunir BIC, BNC et BA dans le même tunnel, parce qu’on voit bien que la distinction pose problème. Cette fusion donnerait un système plus cohérent intellectuellement.

Je suivrai donc la proposition du rapporteur général. Il n’y a aucune urgence, puisque cet article n’est applicable qu’en 2012 ! Ne retenons que le dispositif concernant l’impôt sur le revenu – c’est techniquement possible. Pour le reste, il faut une évaluation. Et à ce propos, comment oser répondre que ce n’est pas chiffrable ? On peut tout de même donner des ordres de grandeur – et il ne s’agira certainement pas que de quelques dizaines de millions !

M. Louis Giscard d'Estaing. Je trouve cet article 12 étonnant et paradoxal. On nous dit vouloir renforcer l’attrait de notre territoire national : dans ce cas, je comprends la disposition proposée comme destinée à favoriser les investissements de résidents extérieurs, qui bénéficieront pour cela du nouveau régime. Mais pourquoi, en même temps, modifier l’organisation des sociétés civiles immobilières (SCI), des sociétés civiles agricoles (SCA), des groupements forestiers, et autres, pour le résident français ? Celui-ci ne bénéficie pas d’avantages fiscaux particuliers car la « tunnelisation », parfaitement cadrée, s’applique aux bénéfices non commerciaux (BNC), aux bénéfices agricoles (BA) et aux autres régimes fonciers. Pourquoi dès lors, et dans l’urgence, engager la refonte de ces régimes ?

M. le rapporteur général a évoqué le cas d’une société foncière allemande, détenue par des associés allemands, qui achète un immeuble en France et crée une société de personnes : eh bien, cela entre dans le champ de nos futurs travaux sur la convergence fiscale franco-allemande. Par ailleurs, se pose le problème de la refonte de la fiscalité du patrimoine. Essayons donc d’aborder ensemble tous les aspects d’un même sujet. Voilà pourquoi cet article me rend dubitatif.

M. Jean-Pierre Balligand. Jamais nous n’avons, sous aucune législature, travaillé ainsi. Un tel texte, qui aura un impact important à la fois sur l’impôt sur le revenu (IR) et sur l’impôt sur les sociétés (IS), aurait dû faire l’objet d’un examen spécifique.

Quant à la fusion des BA, des BNC et des BIC, que propose notre collègue M. Charles de Courson, elle représente une véritable révolution fiscale. Je n’y suis pas forcément opposé mais cela ne peut se faire sérieusement en quelques jours. C’est bien pourquoi la majorité devrait adopter l’amendement CF 73 afin de solliciter une réaction du Gouvernement à ce sujet.

M. François Goulard. Je m’interroge sur les motivations qui ont conduit le Gouvernement à présenter cet article 12. Dans notre pays, malgré un taux élevé, le rendement de l’impôt sur les sociétés est faible en raison de tous les dispositifs qui en réduisent l’assiette. Et ce qu’on nous propose ici va encore dans le sens de la diminution de celle-ci. Or, aujourd’hui, nous ne croulons pas sous les recettes fiscales et les ressources manquent pour répondre aux besoins comme pour combler les déficits. Pourquoi alors adopter cette mesure, en outre peu limpide ? À qui donc profite-t-elle ? Son incidence en matière de compétitivité fiscale semble marginale. On n’en comprend ni l’intérêt, ni pourquoi on la propose maintenant, ni pourquoi elle passe par le truchement d’un projet de loi de finances rectificative alors que son application est décalée dans le temps. Tout cela me rend perplexe.

M. le rapporteur général. Apparemment se télescopent un travail que conduit l’administration depuis plusieurs années, et ce en liaison avec les professionnels, et les annonces récentes faites par le Président de la République. Quand nous examinerons l’amendement en séance publique que je défends pour supprimer du dispositif tout le volet relatif à l’IS, j’utiliserai cet argument.

Le travail demandé à la Cour des Comptes sur la convergence fiscale, sujet sur lequel nous allons travailler au sein de la Commission, ne porte pas que sur la fiscalité du patrimoine : il traitera également de l’impôt sur les sociétés. Comment, en effet, regarnir l’assiette de l’IS et en diminuer le taux ? Telle est bien l’interrogation. Or, les dispositions qu’on nous propose ici vont exactement dans le sens inverse. Il existe donc une incohérence entre l’orientation donnée par le Président de la République et l’article dont nous discutons.

M. Hervé Mariton. Qui est demandeur de cette mesure ?

M. le rapporteur général. J’entends dire qu’il s’agirait de la place financière de Paris. Mais, contrairement aux habitudes, je n’ai reçu aucun courrier, ni aucun appel à ce sujet.

Défavorable à l’amendement CF 73, je souhaite que la Commission retienne l’amendement CF 105, qui reprend de fait les quatre cinquièmes du premier.

La Commission rejette l’amendement CF 73 et adopte l’amendement CF 105.

 

Commentaires

franchement l'année prochaine on aura les memes remarques de parlementaires qui ne sont pas en tout état d ecause équipés pour dicter une telle réforme trop technique pour eux.

Écrit par : rc | 10 décembre 2010

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