LES CENTRES LECLERC ET PWC : UNE MEME NATURE DE RESEAU ?

 

 

LES CENTRES LECLERC ET PWC : UNE MEME NATURE DE RESEAU ?

L’analyse d’Olivier Fouquet

Président de Section (h) au Conseil d’Etat

Conseil d'État, 21/11/2012, 348864, HTLM

 

 

Le texte de l’arrêt se trouve page 7

 

1. La jurisprudence relative aux Centres Leclerc avait paru, pour l’ensemble des commentateurs, spécifique à ce réseau aux particularités très marquées. Cette jurisprudence a été bâtie par trois décisions.

Par la première (CE 26 septembre 2001 n°219825, SA Rocadis :[i] RJF 12/01 n°1491, concl. G. Bachelier BDCF 12/01 n°145, obs. J.L. Pierre BGFE 6/01 p.3), le Conseil d’Etat a jugé qu’un membre de l’association des centres distributeurs Leclerc, en venant en aide à d’autres membres qu’il avait parrainés, conformément à l’engagement qu’il avait pris, était réputé agir dans son propre intérêt financier. Le commentateur avisé de la RJF observait : « En l’espèce, était clairement posée la question de la spécificité du système Leclerc et des obligations, en particulier de parrainage, qui pèsent sur les adhérents. L’inspiration du fondateur du réseau, la solidarité qu’il a prévue entre ses membres et qui est traduite dans le règlement intérieur de l’association, ont certainement influencé la solution ».

 Par sa  deuxième décision (CE 6 mars 2006 n°281034,Société Disvalor :[ii] RJF 5/06 n°503), le Conseil d’Etat a jugé que le membre français de l’association, en versant une cotisation à une association chargée de la formation des personnels du réseau affectés hors de France, devait être réputé agir ainsi dans son propre intérêt financier  dès lors que le versement de cette cotisation, même s’il n’était pas prévu par un écrit, était la contrepartie de son engagement au sein du réseau Leclerc qui lui procurait de nombreux avantages (avantages de clientèle et de prix de revient liés au renom de l’enseigne, économies ou ristournes réalisées sur les approvisionnements grâce à un référencement national des fournisseurs et à l’utilisation de centrales d’achat en forme de coopératives).

Par deux autres décisions ultérieures (CE 29 août 2008 n°309083, SAS Chambry et n°309330, min. c/ SA Auxerdis[iii] :  RJF 12/08 n°147, concl. L. Olléon BDCF 12/08 n°147), le Conseil d‘Etat a étendu sa jurisprudence Disvalor à la déductibilité de la TVA grevant la cotisation . Le commentateur de la RJF observait :  « Le Conseil d’Etat se borne à constater que le versement d’une cotisation par le


membre du réseau à une association qui œuvre pour l’expansion du réseau mais non dans l’intérêt direct de chacun de ses membres, est une des conditions nécessaires de l’adhésion au réseau et qu’elle rémunère donc partiellement les services rendus par le réseau à l’adhérent ».

Dans l’analyse que nous avons faite des deux premières décisions dans un article paru dans cette revue (Revue administrative 5/2006 n°351, p.271), partageant l’avis du commentateur de la RJF, nous observions : « Ces solutions n’allaient pas de soi, comme le montrent d’ailleurs les jugements et arrêts en sens contraire. La Haute juridiction a dû s’évader des schémas juridiques classiques pour donner la priorité à l’analyse économique des situations qui lui étaient soumises. Une extension éventuelle de cette jurisprudence à d’autres cas de figure est difficile à prévoir a priori ».

2- Il était difficile, en effet, d’imaginer à l’avance que le Conseil d’Etat pourrait un jour étendre sa jurisprudence relative à un réseau très particulier, fondé sur la coopération, la solidarité et le partage de valeurs éthiques, à un réseau mondial anglo-saxon tel que « Price Waterhouse ».

Ce réseau est présent dans 150 pays et les sociétés qui le composent exercent leurs activités dans quatre principaux secteurs : premièrement l’audit, l’expertise comptable et le commissariat aux comptes (activité dite « ABS ») ; deuxièmement le conseil juridique et fiscal ; troisièmement le conseil en management et stratégie ; enfin le conseil en financement d’entreprise. Les sociétés du réseau sont, pour la plupart, financièrement indépendantes les unes des autres : il ne s’agit pas d’un groupe au sens capitalistique, mais d’un ensemble de sociétés liées par des accords et par l’existence de structures communes de coordination et de services. La principale de ces structures de coordination, la société Price Waterhouse World Firm Ltd, est immatriculée aux Bermudes.

L’adhésion à ce réseau offre un certain nombre d’avantages : celui de pouvoir utiliser à titre gratuit le nom PWC ;  celui de bénéficier, à l’égard de tous les autres membres du réseau, de la qualité de correspondant local exclusif, pour les missions relevant de sa compétence sur le territoire considéré. Inversement, cette adhésion permet d’accéder, pour les besoins de sa propre clientèle, à un réseau mondial. L’appartenance au réseau permet encore de bénéficier d'un soutien financier en cas de besoin. 

La totalité des frais inhérents à la gestion ainsi qu’au développement du réseau est répartie par les structures de coordination entre tous les membres du réseau, à proportion de la part de leurs chiffres d’affaires respectifs dans l'ensemble du chiffre d’affaires du réseau.

3- La société Befec Price Waterhouse qui est devenue en 2002 la société Pricewaterhouscoopers Audit SA avait, au titre de ses exercices clos de 1995 à 1997, déduit la totalité de sa quote-part de frais, résultant de son appartenance au réseau, de son assiette de l’impôt sur les sociétés. L’administration, après vérification, n’a pas contesté le principe de l’appartenance de la société au réseau, ni l’existence de contreparties à cette appartenance. Mais, pour le calcul de la quote-part, elle n’avait retenu que certains des frais parmi l’ensemble des frais de fonctionnement et de développement du réseau mondial. D’une part, les  frais se rattachant directement ou indirectement (car une partie des frais de réseau est constituée de frais généraux) à une seule des quatre activités exercées par le réseau, à savoir celle, exercée par la société d’audit, d’expertise comptable et de commissariat aux comptes. D’autre part les frais se rapportant à des services supports identifiés comme tels (communication, marketing, ressources humaines, etc.). L’administration a donc réalisé un prorata, fondé sur le rapport entre le chiffre d’affaires mondial de l’activité « ABS »et l’ensemble du chiffre d’affaires mondial du réseau PWC. Elle a également refusé de tenir compte des  frais correspondant au financement des subventions versées par le réseau à des entités étrangères pour aider au développement mondial du réseau.

 

La cour administrative d’appel, saisie du litige, a jugé déductibles pour l’essentiel  charges en litige, à la seule exclusion de certains frais dont elle a estimé que la SA Befec Waterhouse n’avait pas justifié.

A ce stade, on pourrait penser que le service vérificateur avait fait à l’avance une application plutôt fidèle  de la jurisprudence relative aux Centres Leclerc dans la mesure où il n’avait admis que la quote-part de frais relatifs à l’activité ABS. En effet, on ne peut manquer d’être frappé par les différences entre les caractéristiques des deux réseaux. PWC est un réseau mondial. PWC, à la différence notable des Centres Leclerc, exerce plusieurs activités qui ne sont pas liées entre elles. On ne retrouve pas dans PWC la solidarité horizontale qui existe dans les Centres Leclerc. En bref, il manque à l’évidence à PWC l’inspiration très particulière des Centres Leclerc, fondée sur une sorte de messianisme de la distribution, qui avait justifié sans nul doute la jurisprudence, ressentie à l’époque comme très particulière, du Conseil d’Etat.

4- Le Conseil d’Etat a néanmoins passé outre ces différences et rejeté le pourvoi du ministre contre l’arrêt de la cour pour les motifs suivants :

1° La société Befec Price Waterhouse a profité des avantages liés à l’adhésion au réseau « Price Waterhouse » en termes de renom et de développement commercial .  Elle a également bénéficié des synergies offertes par ce réseau ainsi que des actions de formation et d’assistance technique ou financière proposées par celui-ci ;

2° Même si le contrat de fusion signé par la société Befec avec PW France , le 26 mai 1989, ne posait pas expressément, pour condition à la participation au réseau et au maintien en son sein, le financement des frais généraux du réseau et de ses activités internationales, il résultait de l’économie générale de cet accord et notamment du chapitre XIII du protocole qui y est annexé, que l’appartenance au réseau entraînait des avantages et des obligations résultant de l’économie générale de son fonctionnement et impliquait la participation au financement de telles dépenses .

3° La cour n’a pas commis d’erreur de droit ni de qualification juridique des faits, en jugeant, après avoir relevé que le contrat de fusion signé par la société Befec et Price Watherhouse France, le 26 mai 1989, prévoyait une facturation de l’ensemble des frais généraux du réseau au prorata du chiffre d’affaires de chacun des membres, que l’administration fiscale n’était pas fondée à ne regarder comme déductible que la seule quote-part des frais généraux afférents à l’activité dite « ABS », à l’exclusion de celle des frais relatifs aux trois autres disciplines du réseau non exercées par la société Befec Price Waterhouse.

4° L’appartenance au réseau mondial impliquait que la société Befec Price Waterhouse prenne en charge, dans les mêmes conditions que celles énoncées ci-dessus, sa quote-part des dépenses de développement géographique du réseau, y compris celles correspondant à des aides accordées à de nouvelles entreprises participant au réseau.

Sur les points 1°,2° et 4°, on ne peut qu’être frappé par la similitude du raisonnement suivi et du vocabulaire employé avec ceux des précédents relatifs aux Centres Leclerc.  Il s’agit donc clairement d’une extension de cette jurisprudence au réseau PWC.

5- Comment, en définitive, le Conseil d’Etat a-t-il pu se rallier, conformément aux conclusions de son rapporteur public, à une extension à un réseau très différent d’une jurisprudence qui avait toujours été présentée jusqu’à présent, comme une solution d’espèce ?

Le seul point commun entre ces deux réseaux est l’existence d’un « ticket d’entrée », en contrepartie duquel l’adhérent bénéficie de tous les avantages liés à son appartenance au réseau. Mais nous ne sommes pas certains que l’existence d’un tel ticket justifie la transposition intégrale  la jurisprudence relative aux Centres Leclerc. Car, à ce compte, tous les tickets d’entrée de n’importe quel réseau seraient déductibles. Or, le montant du ticket d’entrée est fixé contractuellement, ce qui ne garantit pas le respect de la territorialité de l’impôt lorsque les structures de coordination sont situées dans un paradis fiscal. Il est vrai, comme le relève le rapporteur public, que le juge peut contrôler si le montant de ce ticket d’entrée est en rapport avec celui des avantages retirés de l’appartenance au réseau. Mais ne nous cachons pas que ce contrôle est difficile à exercer. L’administration qui avait cru pouvoir exercer un tel contrôle en limitant la quote-part des frais généraux déductibles  aux seuls frais qui relevaient de l’activité ABS, a vu sa méthode rejetée par le juge.

En définitive, le principal enseignement à retirer de cette affaire réside dans  les incertitudes suscitées par les décisions dites d’espèce. Le juge ne se borne pas à édicter des règles générales. Il doit se prononcer sur des cas particuliers et l’équité qui l’habite, peut le conduire à moduler la règle générale pour l’adapter à la spécificité du cas d’espèce. Mais la jurisprudence est vivante et elle échappe souvent à ses créateurs. Comme nous l’avons observé dans les commentaires que nous avons consacrés à la jurisprudence sur le risque anormal pris par le chef d’entreprise en raison de son caractère manifestement excessif (Revue administrative 1/08 n°362 p.38 ; Dr. fisc. 25/11 c.399 ; FR Lefebvre31/12 p.24), cette jurisprudence est issue d’une décision d’espèce prononçant un jugement de Salomon  (CE 17 octobre 1990 n°83310, Loiseau : RJF 11/90 n°1317, chron. J. Turot p.735) dont nous avions juré, dans nos conclusions prononcées sur cette affaire (Dr. fisc. 48/91 c.2281), qu’elle n’était pas susceptible d’extension.

Toutefois, nous remarquons également que l’expérience a montré que l’extension d’une jurisprudence d’espèce n’est pas illimitée et que le juge, au nom du bon sens, finit par la borner (cf. nos observations précitées FR Lefebvre 31/12 p.24). Il n’en demeure pas moins une incertitude pénalisante pour les praticiens, comme pour l’administration. Quel est le prochain barrage qui arrêtera l’extension de la jurisprudence relative aux Centres Leclerc ?  

O FOUQUET Décembre 2012

 



[i]Conseil d'Etat, 8 / 3 SSR, du 26 septembre 2001, 219825, publié au recueil Lebon


L'octroi de prêts sans intérêts ou l'abandon de créances consentis par une entreprise au profit d'un tiers, de même d'ailleurs que le fait pour celle-ci de fournir gratuitement sa caution, ne relèvent pas en règle générale d'une gestion commerciale normale, sauf s'il apparaît qu'en consentant de tels avantages, l'entreprise a agi dans son propre intérêt. Il en va ainsi notamment lorsque les avantages consentis peuvent être regardés comme la conséquence d'engagements constituant la contrepartie des avantages que l'entreprise retire elle-même directement de son adhésion à une association ou à un groupement et du respect des conditions auxquelles l'appartenance à ce groupement est subordonnée. Application au cas d'une société venue en aide à deux autres sociétés sous forme d'engagements de caution portant sur des emprunts souscrits par ces dernières, de prêts sans intérêts et d'abandons de créances, en conséquence du parrainage qu'avec d'autres centres de distribution préexistants de la même enseigne commerciale, elle avait assumé au profit desdites sociétés.

 

[ii]  (CE 6 mars 2006 n°281034,Société Disvalor :

a) Dès lors, d'une part, qu'il résulte de l'instruction qu'en contrepartie des avantages de clientèle et de prix de revient liés au renom de l'enseigne et aux économies ou ristournes réalisées sur les approvisionnements grâce à un référencement national des fournisseurs et à l'utilisation de centrales d'achats à forme coopérative que lui procure l'appartenance au réseau des centres de distribution E. Leclerc, la société requérante est tenue de respecter diverses obligations contractuelles, notamment de participer à des associations ayant pour but des actions de développement du réseau auquel elle a adhéré, et d'autre part, que cette société établit qu'en versant les cotisations à l'une de ces associations, elle a assumé les conséquences de son engagement au sein du Mouvement Leclerc, elle doit être regardée comme ayant agi dans son propre intérêt financier. Dans ces conditions, l'administration n'apporte pas la preuve, qui lui incombe en raison de la procédure d'imposition suivie, que le versement de ces cotisations constituerait un acte anormal de gestion.,,b) 1) Il en va ainsi alors même que la société requérante n'établit pas, pour l'exploitation de son centre commercial, l'existence d'une quelconque contrepartie directe aux actions menées à bien par l'association bénéficiaire des versements.,,2) Une cour administrative d'appel commet une erreur de droit en se fondant, pour estimer que la société requérante n'établit pas que le non-versement des cotisations entraînerait l'exclusion du groupement, sur la seule circonstance qu'une telle exclusion n'est pas explicitement prévue par les documents écrits produits devant elle.

 

[iii]CE 29 août 2008 n°309083, SAS Chambry et n°309330, min. c/ SA Auxerdis :

Cotisations acquittées par une société membre du réseau E. Leclerc à l'association Cefilec ayant pour but des actions de développement du réseau. La circonstance que la société était susceptible de bénéficier des prestations de formation qui sont l'objet statutaire de l'association Cefilec n'est pas de nature à permettre la déduction de la taxe ayant grevé ces cotisations. En revanche, la société était tenue, en contrepartie des avantages de clientèle et de prix de revient liés au renom de l'enseigne et aux économies ou ristournes réalisées sur les approvisionnements grâce à un référencement national des fournisseurs et à l'utilisation de centrales d'achats à forme coopérative que lui procure l'appartenance au réseau des centres de distribution E. Leclerc, de respecter diverses obligations contractuelles, notamment de participer aux associations, telle que celle en cause en l'espèce, ayant pour but des actions de développement du réseau auquel elle a adhéré, le manquement à ces obligations pouvant être une cause d'exclusion du réseau et de résiliation par voie de conséquence du contrat de panonceau. Il résulte de ces circonstances que les facturations effectuées par l'association Cefilec permettaient à la société adhérente du mouvement E. Leclerc de bénéficier des avantages du réseau dont l'association était l'un des organes et qu'ainsi la société a pu légalement déduire la taxe qui a grevé la prestation ainsi reçue.

 

L’arrêt in extenso

Conseil d’État   N° 348864

Inédit au recueil Lebon

3ème et 8ème sous-sections réunies

fffffffffff

 

M. Gilles Bachelier, président

 Mme Anne Egerszegi, rapporteur

M. Vincent Daumas, rapporteur public

SCP LESOURD, avocat(s)

 

lecture du mercredi 21 novembre 2012

 

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 

Vu, 1°), sous le n° 346864, le pourvoi du ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’Etat, porte-parole du Gouvernement, enregistré le 29 avril 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat ; il demande au Conseil d’Etat :

 

1°) d’annuler l’arrêt n° 09PA04248 du 8 février 2011 par lequel la cour administrative d’appel de Paris, faisant partiellement droit à la requête de la SA Befec Price Waterhouse tendant à l’annulation du jugement n° 0410762 du 13 mai 2009 du tribunal administratif de Paris, a réduit la base imposable à l’impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 1995, 1996 et 1997 et a prononcé, dans la mesure de cette réduction, la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles auxquelles elle a été assujettie ;

2°) de rétablir la société Pricewaterhousecoopers Audit, venant aux droits de la société Befec Price Waterhouse, aux rôles d’impôt sur les sociétés, de contribution sur cet impôt et de contribution temporaire au titre des exercices clos en 1995, 1996 et 1997, en droits et pénalités, à hauteur des montants dont la décharge a été prononcée par le juge d’appel ;

 

 

Vu, 2°), sous le n° 348865, le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 29 avril et 27 juillet 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la société Pricewaterhousecoopers Audit, dont le siège est au 63 rue de Villiers à Neuilly-sur-Seine (92200) ; la société Pricewaterhousecoopers Audit, venant aux droits de la société Befec Price Waterhouse, demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’article 5 de l’arrêt n° 09PA04248 du 8 février 2011 par lequel la cour administrative d’appel de Paris a rejeté le surplus des conclusions de sa requête tendant à l’annulation du jugement n° 0410762 du 13 mai 2009 du tribunal administratif de Paris rejetant sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 1995, 1996 et 1997, ainsi que des pénalités correspondantes,;

2°) de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Anne Egerszegi, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Lesourd avocat de la société Befec Price Waterhouse et de la Société Pricewaterhousecoopers Audit Sa,

- les conclusions de M. Vincent Daumas, rapporteur public ;

 

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Lesourd avocat de la société Befec Price Waterhouse et de la Société Pricewaterhousecoopers Audit Sa ;

 

1. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Befec Price Waterhouse, absorbée en 2002 par la société Pricewaterhousecoopers Audit, exploitait un cabinet d’audit et de commissariat aux comptes sous l’appellation “ Price Waterhouse “ ; qu’à l’issue d’une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos en 1995, 1996 et 1997, l’administration fiscale a remis en cause la déduction de certaines dépenses exposées par la société au titre de son appartenance au réseau international Pricewaterhousecoopers ; que, par un arrêt du 8 février 2011, la cour administrative d’appel de Paris, réformant le jugement du 13 mai 2009 du tribunal administratif de Paris rejetant la demande de la société tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 1995, 1996 et 1997 à la suite de ce redressement, a fait partiellement droit à l’appel de la société ; que, sous le n°348864, le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’Etat, porte-parole du Gouvernement et, sous le n° 348865, la société Pricewaterhousecoopers Audit se pourvoient respectivement en cassation contre cet arrêt en tant qu’il leur fait respectivement grief ; qu’il y a lieu de joindre ces pourvois dirigés contre le même arrêt pour statuer par une seule décision ;

 

2. Considérant qu’en vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l’impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l’entreprise, à l’exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion commerciale normale ;

3. Considérant que la prise en charge par une entreprise de frais ne lui incombant pas directement ne relève d’une gestion commerciale normale que s’il apparaît qu’en consentant de tels avantages, l’entreprise a agi dans son propre intérêt ; qu’il en va ainsi notamment lorsque les avantages consentis peuvent être regardés comme la conséquence d’engagements constituant la contrepartie des avantages que l’entreprise retire elle-même directement de son adhésion à un réseau et du respect des conditions auxquelles l’appartenance à ce réseau est subordonnée ;

Sur le pourvoi du ministre :

4. Considérant en premier lieu qu’il ressort des énonciations non contestées de l’arrêt attaqué que la société Befec Price Waterhouse a profité des avantages liés à l’adhésion au réseau “ Price Waterhouse “ en termes de renom et de développement commercial et qu’elle a également bénéficié des synergies offertes par ce réseau ainsi que des actions de formation et d’assistance technique ou financière proposées par celui-ci ; que, par ailleurs, après avoir relevé que le contrat de fusion signé par la société Befec, le 26 mai 1989, ne posait pas expressément pour condition à la participation au réseau et au maintien en son sein le financement des frais généraux du réseau et de ses activités internationales, la cour a estimé, sans que cette appréciation soit arguée de dénaturation, qu’il résultait de l’économie générale de cet accord et notamment du chapitre XIII du protocole qui y est annexé, que l’appartenance au réseau entraînait des avantages et des obligations résultant de l’économie générale de son fonctionnement et impliquait la participation au financement de telles dépenses ; que, par suite, en jugeant, après avoir relevé que le contrat de fusion signé par la société Befec et Price Watherhouse France, le 26 mai 1989, prévoyait une facturation de l’ensemble des frais généraux du réseau au prorata du chiffre d’affaires de chacun des membres, que l’administration fiscale n’était pas fondée à ne regarder comme déductible que la quote-part des frais généraux afférents à l’activité dite “ ABS “, à savoir l’audit, l’expertise comptable et le commissariat aux comptes, à l’exclusion de celle des frais relatifs aux trois autres disciplines du réseau non exercées par la société Befec, à savoir le conseil juridique et fiscal, le conseil en management et stratégie et le conseil en financement d’entreprises, la cour n’a pas commis d’erreur de droit et a exactement qualifié les faits de l’espèce ;

 

5. Considérant, en second lieu, qu’en jugeant, pour les mêmes motifs, que l’appartenance au réseau mondial impliquait que la société requérante prenne en charge, dans les mêmes conditions que celles énoncées ci-dessus, sa quote-part des dépenses de développement géographique du réseau, y compris celles correspondant à des aides accordées à de nouvelles entreprises participant au réseau, et que c’était à tort que l’administration avait refusé d’admettre la déduction de ces dépenses, la cour n’a pas commis d’erreur de droit et a exactement qualifié les faits de l’espèce ;

 

6. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le ministre n’est pas fondé à demander l’annulation des articles 1 à 4 de l’arrêt qu’il attaque ;

Sur le pourvoi de la société Pricewaterhousecoopers Audit :

Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi ;

 

7. Considérant qu’en se bornant à refuser la déduction d’” autres dépenses (...) afférentes aux sociétés européennes “, au motif que la société requérante n’apportait aucun élément justifiant leur déduction, sans définir la nature des dépenses ainsi réputées non déductibles, la cour a insuffisamment motivé son arrêt ;

8. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la société Pricewaterhousecoopers Audit est fondée à demander l’annulation de l’article 5 de l’arrêt qu’elle attaque ;

Sur les conclusions présentées par la société Pricewaterhousecoopers Audit au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

 9. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat le versement à la société Pricewaterhousecoopers Audit de la somme globale de 4 500 euros pour ces deux instances au titre de ces dispositions ;

D E C I D E :

Article 1er : Le pourvoi du ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’Etat, porte-parole du Gouvernement est rejeté.

Article 2 : L’article 5 de l’arrêt du 8 février 2011 de la cour administrative d’appel de Paris est annulé.

 Article 3 : L’affaire est renvoyée, dans la limite de la cassation définie à l’article 2, à la cour administrative d’appel de Paris.

Article 4 : L’Etat versera à la société Pricewaterhousecoopers Audit la somme de 4 500 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

 Article 5 : La présente décision sera notifiée au ministre de l’économie et des finances et à la société Pricewaterhousecoopers Audit.

 

ECLI:FR:CESSR:2012:348864.20121121

 

 

 

 

 

 

Les commentaires sont fermés.