CARREZ L’ÉVALUATION DU POIDS DE L’IS

L’ÉVALUATION DU POIDS DE L’IMPÔT SUR LES SOCIÉTÉS
ET DE SA RÉPARTITION ENTRE LES ENTREPRISES


 
 
 
 
 
 

i.– certains indicateurs sont particulièrement fragiles. 2

a.– les indicateurs micro-économiques. 2

b.– les indicateurs macro-économiques. 3

c.– les indicateurs issus des comptes consolidés. 4

ii.– le rapport de l’impôt a l’excédent net d’exploitation. 4

iii.– la répartition de la charge de l’impôt entre les entreprises selon leur taille. 6

a.– les conclusions de l’étude du trésor pour les entreprises non-financières. 6

b.– les éléments complémentaires résultant de l’exploitation des données fiscales. 8

iv.– les facteurs expliquant le niveau de l’impôt12

a.– les modalités particulières de calcul de l’impôt exonérant certains produits. 12

1.– les mécanismes neutralisant la double imposition. 12

a) le régime fiscal des sociétés mères. 12

b) les plus-values sur les titres de participation. 13

2.– le régime de l’intégration fiscale. 14

b.– l’enjeu majeur des produits non perçus et des charges déduites. 16

1.– les charges financières. 17

3.– les redevances de brevet20

c.– les avantages fiscaux divers dont l’opportunité pourrait etre réévaluée. 22

1.– les amortissements fiscaux dérogatoires. 22

2.– les régimes de report23

 
 

La fiscalité bien plus faible pour les grands groupes les échos  

« Au titre de 2007, le taux implicite varie de 39 % pour les PME (de 10 à 249 salariés) à 19 % pour les grandes entreprises (de 5.000 salariés et plus) », indique l'étude. « Le taux implicite d'imposition des microentreprises (de moins de 10 salariés) s'établit à 37 % et celui des entreprises de taille intermédiaire (ETI) se situe, lui, dans la moyenne, à 28 %. » 

L’étude de la direction du trésor
 

« Le taux de taxation implicite des bénéfices en France ».  

En juin 2008, une mission d’information de la Commission des finances de l’Assemblée nationale (11) a étudié les avantages fiscaux en matière d’impôt sur le revenu.

Ce travail a pu établir l’impact considérable de l’utilisation de certains avantages fiscaux sur la progressivité de l’impôt grâce à l’analyse des taux moyens d’imposition des revenus au barème ou du revenu fiscal de référence.

En matière d’impôt sur les sociétés, il n’existe pas véritablement d’indicateur comparable permettant de mesurer de manière synthétique l’effet cumulé en « équivalent-taux » d’un ensemble de modalités de calcul de l’impôt ou de dépenses fiscales. L’élaboration d’un tel outil se heurte à deux difficultés majeures.

La première est que la construction d’un tel indicateur suppose évidemment la construction d’une assiette de référence « brute ». En pratique, cela nécessite, comme on le fait à l’impôt sur le revenu pour le revenu fiscal de référence, de partir d’une assiette nette et d’y ajouter des revenus exonérés ou des charges déduites qui sont les avantages fiscaux dont l’indicateur mesurera l’effet.

Or, comme le Conseil des prélèvements obligatoires l’a établi dans son rapport d’octobre 2010 sur les « niches » fiscales et sociales applicables aux revenus et bénéfices des entreprises, établi à la demande de la commission de Finances, l’un des traits dominants de la fiscalité des entreprises est le poids très important des mesures qualifiées de modalités particulières de calcul de l’impôt par rapport à celles considérées comme des dépenses fiscales (les premières représentant un coût cumulé de l’ordre du double de celui des secondes) et le caractère singulièrement fragile du rattachement d’une mesure à l’une ou l’autre des catégories.

Il en résulte une première difficulté fondamentale qui est que l’élaboration d’un indicateur auquel comparer le poids de l’impôt suppose mécaniquement de postuler, en amont, du caractère d’avantage fiscal ou non de telle ou telle mesure.

Une seconde difficulté, de plus grande ampleur encore, découle des différences fondamentales de nature entre l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés. Pour simplifier, l’impôt sur le revenu est un impôt dû par une personne physique sur son revenu mondial alors que l’impôt sur les sociétés est un impôt dû par une personne morale sur un revenu réalisé en France.

Il en découle que le périmètre d’imposition lui-même – ce qu’est le contribuable – est, à l’impôt sur les sociétés, non un donné mais un produit de décisions de gestion. Une même entité économique peut constituer un contribuable unique ou une pluralité de contribuables et un même groupe d’actionnaires peut aussi bien détenir une entreprise unique qu’une pluralité d’entreprises formellement indépendantes les unes des autres.

Combinée avec la règle de territorialité de l’impôt et les différences entre les systèmes fiscaux nationaux, cette caractéristique de l’impôt ouvre des possibilités très importantes d’optimisation fiscale dont la réalité ne peut être aisément appréhendée à partir de données fiscales qui, malgré des dispositifs anti-abus, ne permettent pas nécessairement de distinguer une « vraie charge » et une charge « payée à soi-même » et qui ne rendent a fortiori pas compte de produits qui ne sont pas perçus, par exemple parce qu’ils sont maintenus à l’étranger.

Compte tenu de ces difficultés, il convient d’être conscient que les outils synthétiques d’évaluation du poids de l’impôt sur les sociétés présentent tous des limites importantes. Le présent rapport comprend, tout d’abord, une présentation et un commentaire de ces outils.

Une question particulière, qui fait l’objet d’une attention renouvelée notamment depuis la publication par le Conseil des prélèvements obligatoires de son rapport d’octobre 2009 sur les prélèvements obligatoires des entreprises, est la répartition de la charge de l’impôt entre les entreprises, en particulier en fonction de leur taille. Cette question vient de faire l’objet d’un remarquable travail de synthèse de la Direction générale du Trésor (12) qui est également commenté ci-après.

En vue de contribuer à la clarification du débat public, le Rapporteur général a demandé au ministère du budget de procéder à l'exploitation des liasses fiscales des entreprises imposées à l’impôt sur les sociétés. Le présent rapport présente donc les premières conclusions qui lui paraissent pouvoir être tirées de l’exploitation de ces données.

Sur ce point, l’attention est attirée sur le fait que, malgré le délai important pris pour leur élaboration (les informations correspondantes ayant été demandées le 21 mars 2011 et fournies à partir du 10 juin 2011), la fiabilité de ces données n’est pas assurée, plusieurs erreurs matérielles manifestes ayant été identifiées et rien ne garantissant que d’autres n’ont pas échappé à l’attention.

I.– CERTAINS INDICATEURS SONT PARTICULIÈREMENT FRAGILES

Si les difficultés inhérentes à l’élaboration d’un indicateur synthétique du poids de l’impôt font largement obstacle, pour les raisons précédemment indiquées, à la construction d’un indicateur idéal, il n’en reste pas moins que certains outils sont manifestement plus pertinents que d’autres.

A.– LES INDICATEURS MICRO-ÉCONOMIQUES

Les indicateurs micro-économiques reposent sur une simulation de l’impôt. Il s’agit d’analyser la pression fiscale pesant soit sur un investissement fictif (méthode employée pour l’élaboration du taux effectif d’imposition, utilisé notamment par la Commission européenne et par l’OCDE) ou soit sur un cas-type d’entreprise (méthode utilisée, pour le compte de la Banque mondiale, par le cabinet PricewaterhouseCoopers).

Par construction, les résultats obtenus sont donc largement conditionnés par les hypothèses retenues. Compte tenu de la multiplicité des règles de calcul de l’IS, ces résultats n’apportent, en réalité, d’éclairage que sur l’imposition de la situation-type étudiée sans notamment rendre compte des mesures sectorielles ou des possibilités d’optimisation par des montages complexes. L’ampleur des divergences entre les résultats obtenus par ces méthodes éclaire d’ailleurs leurs limites.

Le taux effectif moyen d’imposition élaboré par un institut de recherche allemand pour le compte de la Commission européenne fait ainsi apparaître un taux effectif français de 34,6 % nettement supérieur à la moyenne européenne et supérieur de 6,6 points au taux allemand (13). En sens inverse, l’étude réalisée pour le compte de la Banque mondiale par le cabinet PricewaterhouseCoopers (14) évalue le taux réel d’imposition du bénéfice en France à 8,2 % soit 14,7 points de moins que le taux allemand.

À l’examen, on constate qu’il s’agit de résultats n’ayant à peu près rien en commun puisqu’ils portent sur des situations différentes (l’investissement marginal d’une grande entreprise dans le premier cas, l’imposition moyenne d’une PME dans le second cas) et comparent des impôts différents (l’IS, la contribution sociale et les impôts locaux dans le premier cas, l’IS seul dans le second) à des dénominateurs différents (le rendement économique de l’investissement dans le premier cas, un bénéfice comptable corrigé et brut des taxes déductibles dans le second).

B.– LES INDICATEURS MACRO-ÉCONOMIQUES

Les indicateurs macro-économiques, dont le plus courant est le poids de l’impôt sur les sociétés au regard du PIB, présentent probablement un intérêt supérieur mais sont également insatisfaisants.

Il s’agit, en premier lieu, d’un indicateur qui est, par construction, agrégé et qui ne peut donc rien apprendre sur la répartition entre contribuables de la charge de l’impôt.

En second lieu, il s’agit d’un indicateur rapportant le produit de l’impôt sur les sociétés à une donnée économique (le PIB) largement exogène, indépendamment de la structure de la fiscalité et de la situation économique des entreprises (et notamment de leur profitabilité et du partage de la valeur ajoutée).

Si l’on s’intéresse au caractère plus ou moins favorable aux contribuables de la norme fiscale, au titre des paramètres autres que le taux, donc à ce que l’on pourrait qualifier, en schématisant, à l’extensivité de l’assiette (étant entendu que peuvent jouer des mécanismes de calcul de l’impôt qui ne constituent pas à proprement parler des règles d’assiette), le poids de l’IS rapporté au PIB est donc peu pertinent.

Quand on constate ainsi (15) que le produit de l’IS représente, en 2008, 2,9 % du PIB en France, 2,8 % en Irlande et 1,9 % en Allemagne alors que le taux normal français est 2,6 fois supérieur au taux irlandais et comparable (en incluant la taxation locale) au taux allemand, cela ne signifie pas que l’assiette juridique française soit 2,6 fois plus étroite que l’assiette irlandaise et 60 % plus large que l’assiette allemande.

On peut intuitivement penser que ces écarts s’expliquent aussi notamment par le fait que les assiettes économiques diffèrent. Il est ainsi probable que le taux irlandais « attire » de la matière fiscale dans cet État et il est certain que le niveau des impôts sur la production et surtout des charges sociales pèse sur la profitabilité des entreprises françaises. En outre, les structures fiscales diffèrent.

La Cour des comptes a ainsi récemment rappelé la part élevée des entreprises imposées à l’impôt sur le revenu en Allemagne (16) et l’étude du Trésor sur le taux implicite d’imposition des bénéfices (17) indique qu’en Allemagne « l'impôt sur le revenu des sociétés de personnes ou des entrepreneurs individuels a représenté 33 Md€ en 2008, contre seulement 22 Md€ pour l'impôt sur les sociétés proprement dit ».

On notera, par comparaison, que le produit de l’impôt sur le revenu français afférent aux revenus professionnels (BA, BIC, BNC) est estimé, au titre de 2009, à 12 milliards d’euros (18).

La comparaison internationale ou inter-temporelle, même à ce niveau très agrégé, ne serait réellement pertinente qu’à la condition de pouvoir être établie « toutes choses égales par ailleurs », objectif probablement hors de portée.

C.– LES INDICATEURS ISSUS DES COMPTES CONSOLIDÉS

Une troisième méthode d’analyse repose sur l’exploitation de données comptables individuelles.

Le rapport particulier consacré aux pratiques d’optimisation fiscale, réalisé dans le cadre du rapport d’octobre 2010 du Conseil des prélèvements obligatoires, évoquait ainsi les taux effectifs d’impôt publiés par les entreprises du CAC 40, en application de la norme IAS12 organisant le traitement comptable des impôts sur le résultat.

Ces taux effectifs rapportent la charge d’impôt inclus dans la détermination du résultat (telle qu’elle apparaît donc dans les comptes) au résultat comptable. Comme le rapport le souligne à juste titre, « le maniement de la notion de taux effectif d’impôt, rapproché du taux d’impôt théorique ou facial français doit être manié avec prudence pour ne pas entraîner d’interprétations trop hâtives sur la fiscalité des groupes du CAC 40 ».

Il s’agit, en effet, de taux portant au numérateur une charge d’impôt comptable qui ne correspond pas à l’impôt acquitté (elle enregistre également les actifs et les passifs d’impôt différé et, par exemple, en minoration de l’impôt, l’actif correspondant aux déficits reportables en avant dont il est probable qu’ils pourront être imputés sur un bénéfice futur) et au dénominateur, un résultat comptable également indépendant de l’assiette fiscale.

La charge d’impôt et le résultat sont, au surplus, évidemment déterminés sur le périmètre de la consolidation comptable et incluent donc les impôts et résultats réalisés hors de France.

En d’autres termes, une entreprise réalisant en France un bénéfice comptable et fiscal de 100 taxé 33 1/3 et, en Autriche (où le taux de l’IS est de 25 %), une perte comptable et fiscale de 50, aura un résultat comptable de 100, une charge d’impôt de 20,83 (33 1/3 – 12,5) (19) et donc un taux effectif d’impôt de 20,83 % alors même que son résultat français aura été intégralement imposé au taux facial.

Les taux effectifs publiés dans les comptes individuels sont donc très largement dépourvus de sens pour l’analyse de la situation des entreprises concernées au regard du seul impôt français.

II.– LE RAPPORT DE L’IMPÔT A L’EXCÉDENT NET D’EXPLOITATION

Afin d’appréhender les pratiques d’optimisation des grandes entreprises, le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires d’octobre 2009 a fait appel à un indicateur financier, l’excédent net d’exploitation (ENE), pour construire, sur la base de calculs de la direction générale du Trésor et de la politique économique, un « taux implicite d’imposition » rapportant la recette d’IS à l’ENE.

La direction générale du Trésor, dont les calculs avaient été utilisés par le rapport du Conseil, vient d’actualiser et de prolonger son travail et a rendu publique une étude très complète sur le taux de taxation implicite des bénéfices en France (20). L’étude analyse, comme les calculs utilisés par le CPO, le poids de l’IS au regard de l’excédent net d’exploitation.

L’ENE est un agrégat d’analyse financière (qui ne fait pas partie des soldes intermédiaires de gestion prévus par le plan comptable général) visant à mesurer la rentabilité du capital employé en neutralisant la structure du financement. Il correspond à la part de la valeur ajoutée nette de l’amortissement du capital employé disponible pour rémunérer le capital investi après rémunération du travail et paiement des impôts de production (21).

Le propre de l’ENE est donc de ne pas tenir compte, en principe, du résultat financier, ni du résultat exceptionnel. Il en découle trois conséquences importantes.

La première est que cet indicateur interdit d’étudier utilement la situation des sociétés financières, puisque l’ENE est établi en « amont » du résultat financier, naturellement déterminant pour elles. Le Trésor les a donc logiquement exclues du champ de son analyse.

Une seconde conséquence qu’il convient de garder à l’esprit est que l’ENE est établi avant déduction des charges financières. Toutes choses égales par ailleurs, une entreprise aura un « taux implicite d’imposition » de son ENE d’autant plus faible qu’elle est endettée, les charges financières étant naturellement déductibles du résultat imposable et minorant donc l’IS numérateur du calcul, sans affecter l’ENE qui est son dénominateur.

Dès lors, et parce qu’il est normal qu’une entreprise se finance notamment par l’endettement, le « taux implicite d’imposition » établi par rapport à l’ENE ne peut qu’être structurellement inférieur au taux facial de l’impôt. L’ENE, ne peut, en effet, être assimilé à un bénéfice « brut » dont l’imposition « normale » devrait tangenter le taux facial en l’absence de « niches ». Dénoncer le fait que ce taux implicite ne corresponde pas au taux facial normal signifie que l’on n’a pas compris ce qu’il était.

En d’autres termes, le fait que le rapport de l’IS à l’ENE (dont la qualification de « taux implicite d’imposition » est, d’ailleurs, quelque peu trompeuse) soit, pour une entreprise donnée, inférieur ou très inférieur au taux normal ne dit directement rien de définitif ni sur le niveau de la pression fiscale qu’elle subit, ni sur son éventuelle utilisation d’avantages fiscaux.

Symétriquement, et c’est la troisième conséquence du choix de cet indicateur, l’ENE ne tient pas non plus compte des produits financiers. Il ne tient donc notamment pas compte des produits de participation (dividendes et plus-values) perçus.

Pour les produits issus des filiales françaises, cette exclusion évite les doubles comptes, le dividende perçu par la mère étant un emploi du résultat issu de l’ENE de la fille retenu dans le calcul. Au niveau agrégé de l’ensemble des entreprises et au titre de ces produits, il n’en résulte donc pas de difficulté.

En revanche, pour les produits de filiales étrangères, cette exclusion aboutit à majorer, toutes choses étant égales par ailleurs, le « taux implicite d’imposition » à la fois parce que le dénominateur du calcul (l’ENE) ne les intègre pas et parce que le numérateur (l’impôt) comprend, lui, l’impôt dû au titre de ces produits (22). Compte tenu de ce qu’on peut supposer être la distribution des participations internationales des entreprises, cette caractéristique de l’indicateur retenu apparaît intuitivement particulièrement favorable aux grandes entreprises.

On constate que l’étude du Trésor établit un « taux implicite d’imposition » moyen de 27,5 % qui apparaît, en première analyse et compte tenu des réserves précédemment faites, étonnamment proche du taux normal.

Il convient toutefois de noter que ce calcul porte sur l’impôt dû au titre des exercices clos en 2007 et qu’il retient au numérateur, l’IS à proprement parler, la contribution sociale sur les bénéfices (qui fait tendre le taux facial normal vers 34,43 % pour les entreprises qui y sont soumises) et l’imposition forfaitaire annuelle (IFA).

L’étude du Trésor précise que la charge de l’IFA majore le taux moyen de 1,2 point. Hors IFA, mais en incluant la CSB, le taux moyen est donc de 26,3 %.

Il convient également de noter que les taux implicites construits l’ont été à partir de la situation de l’ensemble des entreprises, y compris celles présentant un ENE négatif. Il en résulte évidemment un écart substantiel entre le taux moyen après cette consolidation et le taux constaté sur les seules entreprises présentant un ENE positif.

Avec trois entreprises imposées au taux normal, dont le résultat fiscal et l’ENE coïncident, dégageant respectivement des ENE de + 100, + 100 et – 100 et dont les deux premières acquittent donc un impôt cumulé de 66 2/3, le taux calculé sur la consolidation d’ensemble d’ENE s’établit ainsi 66 2/3 % et est manifestement sans rapport avec la pression fiscale effectivement supportée par celles des entreprises acquittant effectivement l’impôt.

L’étude du Trésor note, à juste titre, que la question est liée à celle des mécanismes d’imputation des déficits passés (reportés en avant ou en arrière), l’impôt dû au titre de l’exercice retenu pour le calcul tenant compte de ces mécanismes.

Le tableau ci-après, qui développe l’exemple précédemment évoqué sur deux exercices successifs, construit sur l’hypothèse simplificatrice d’une identité de l’ENE et du résultat fiscal et d’une imposition intégrale au taux normal, permet de le comprendre :

 

Exercice N

Exercice N + 1

 

ENE

IS

IS/ENE

ENE

IS

IS/ENE

Entreprise A

+ 100

33 1/3

-

+ 100

33 1/3

-

Entreprise B

+ 100

33 1/3

-

– 100

0

-

Entreprise C

– 100

0

-

+ 100

0 (report en avant du déficit de l’exercice N)

-

Toutes entreprises

+ 100

66 2/3

66 2/3 %

+ 100

33 1/3

33 1/3 %

Entreprises « bénéficiaires »

+ 200

66 2/3

33 1/3 %

+ 200

33 1/3

16 2/3 %

Dans la perspective principalement macroéconomique qui est celle du Trésor, la solution retenue par l’étude est indubitablement cohérente. Elle est toutefois structurellement minorante du taux calculé puisqu’une fraction des déficits n’est jamais imputée sur des bénéfices au stade du calcul de l’impôt (il n’est donc pas tenu de cette fraction pour réduire le numérateur) alors que la totalité des déficits est prise en compte pour le calcul du dénominateur, ce qui, comme l’étude le souligne à juste titre, augmente « en moyenne intertemporelle le taux implicite ».

Par ailleurs, cette option fait obstacle à l’analyse de l’effet sur l’impôt des mécanismes de report des déficits. Dès lors que l’on admet que ces mécanismes ne vont pas de soi (sans que cela signifie qu’ils soient, pour autant, inopportuns), qu’ils n’ont pas toujours existé, qu’ils n’existent pas partout et qu’ils sont, par exemple, plus strictement encadrés, dans certains États étrangers, donc dans une perspective plus strictement fiscale qui n’est légitimement pas celle du Trésor, il convient, au contraire, de retenir une analyse portant sur les entreprises « bénéficiaires » sur la base de l’impôt effectivement acquitté après effet des mécanismes de report.

L’étude précise que le « taux implicite d’imposition » est rehaussé de 6,4 points par la prise en compte des pertes des entreprises déficitaires dans l’ENE agrégé retenu pour le calcul. Au titre de l’IS et de la CSB, le « taux implicite d’imposition » moyen des entreprises bénéficiaires s’établit donc à environ 19,9 %.

III.– LA RÉPARTITION DE LA CHARGE DE L’IMPÔT ENTRE LES ENTREPRISES SELON LEUR TAILLE

Une analyse de la répartition de la charge de l’impôt selon leur taille a été réalisée par le Trésor dans l’étude précitée.

Le Rapporteur général s’est efforcé de la compléter sur un champ différent, incluant les sociétés financières, et d’analyser plus spécifiquement la situation des plus grandes entreprises appartenant à l’indice CAC 40.

A.– LES CONCLUSIONS DE L’ÉTUDE DU TRÉSOR POUR LES ENTREPRISES NON-FINANCIÈRES

S’agissant de la répartition de la charge de l’impôt, les conclusions de l’étude du Trésor s’inscrivent dans la continuité de celles du Conseil des prélèvements obligatoires qui avait constaté, en 2009, que « les grandes entreprises sont comparativement moins taxées que les PME, malgré l’existence du taux réduit d’IS, et que les entreprises de taille intermédiaires ».

L’étude du Trésor distingue les micro-entreprises, les PME, les entreprises de taille intermédiaire et les grandes entreprises(23), étant précisé que la taille est, pour les sociétés appartenant à un groupe, appréciée au niveau de celui-ci. Cette analyse fait apparaître un taux implicite « pivot » des PME à 39,5 %, avec un taux moindre, d’une part, pour les micro-entreprises (37,4 %) et, d’autre part et surtout, pour les ETI (28 %) et pour les grandes entreprises (18,6 %).

Les facteurs expliquant le niveau de ces taux et l’écart avec le taux facial normal sont présentés de manière synthétique dans le tableau ci-après, reproduit de l’étude du Trésor.

FACTEURS EXPLICATIFS DE L’ÉCART ENTRE LE TAUX IMPLICITE ET LE TAUX NORMAL ET DES DIFFÉRENCES ENTRE ENTREPRISES AU TITRE DE 2007

Par écart au taux normal (34,4 % a)

MICRO

PME

ETI

GE

Toutes sociétés non financières (SNF)

Déductibilité des intérêts

– 2,7

– 3,7

– 8,8

– 13,9

– 9,3

Taux réduit PME

– 11,5

– 2,0

– 1,2

Imposition forfaitaire annuelle

+ 3,1

+ 2,7

+ 0,8

+ 0,3

+ 1,2

Participation

– 0,1

– 1,1

– 2,4

– 2,0

– 1,7

Crédit impôt recherche

– 1,5

– 1,2

– 1,4

– 1,2

– 1,3

Autres facteurs

+ 5,5

+ 3,0

+ 2,5

+ 4,6

+ 4,0

Règles d’assiette et de taux

– 7,2

– 2,3

– 9,3

– 12,2

– 8,3

Part des entreprises déficitaires

+ 14,9

+ 10,4

+ 5,6

+ 3,8

+ 6,4

Report en avant et en arrière

– 4,7

– 3,0

– 2,7

– 7,4

– 4,7

Démographie

+ 10,2

+ 7,4

+ 2,9

– 3,6

+ 1,7

Taux implicite

37,4

39,5

28,0

18,6

27,5

a. Taux normal de 331/3 % auquel on ajoute la contribution sociale sur les bénéfices pour les entreprises les plus grandes.

Source : Trésor-Eco n° 88, p. 5.

D’un point de vue d’analyse fiscale, pour les mêmes raisons que pour le taux moyen, il apparaît nécessaire de corriger ces taux, d’une part, pour neutraliser l’IFA et, d’autre part, pour ne pas tenir compte des entreprises déficitaires. Outre que cela aboutit à minorer l’ensemble des taux, il en résulte également un resserrement des écarts entre les différentes populations d’entreprises.

La prise en compte de l’IFA et des entreprises déficitaires est, en effet, nettement favorable aux petites entreprises, d’une part, parce que le barème de l’IFA est peu progressif et que cette imposition pèse donc relativement moins sur les grandes entreprises et, d’autre part, parce que l’impact des entreprises déficitaires pèse également moins pour les grandes entreprises, probablement en raison de la part des entreprises en intégration fiscale (la « consolidation statistique » opérée pour l’ensemble des entreprises qui minore l’ENE mais pas l’impôt joue moins pour les grandes entreprises pour lesquelles la vraie consolidation fiscale qui réduit, elle, l’impôt joue davantage).

 

MICRO

PME

ETI

GE

Toutes sociétés non financières (SNF)

Taux implicite calculé par le Trésor

37,4

39,5

28,0

18,6

27,5

Écart par rapport aux grandes entreprises

+ 18,8

+ 20,9

+ 9,4

_

+ 8,9

Taux implicite, hors IFA, calculé sur les seules entreprises bénéficiaires

19,4

26,4

21,6

14,5

19,9

Écart par rapport aux grandes entreprises

+ 4,9

+ 11,9

+ 7,1

_

+ 5,4

En sens inverse, on rappellera que, parce que ces résultats sont construits sur la base de l’ENE et hors produits financiers, y compris lorsque ceux-ci sont taxés, ils majorent le taux calculé pour les entreprises percevant des produits financiers, ce qui est intuitivement davantage le cas des grandes entreprises notamment au titre des bénéfices tirés de leurs activités internationales.

Il s’agit, en outre, de résultats qui tiennent évidemment compte de l’effet des règles de taux (taux réduit PME, d’un côté, contribution sociale sur les bénéfices qui équivaut à un taux majoré pour les grandes entreprises, de l’autre). Or, si l’on s’intéresse plus particulièrement à l’effet des règles d’assiette entendues au sens large et à leur utilisation, compte tenu de leur situation économique, par les entreprises selon leur taille, il convient de neutraliser ces règles de taux.

Les données disponibles ne permettent pas de chiffrer précisément l’effet des deux phénomènes (prise en compte des produits financiers et règles de taux), mais on peut estimer à environ 18 points l’écart entre les taux implicites ainsi corrigés (24) des PME, d’une part, et des grandes entreprises, de l’autre. Il s’agit donc d’un ordre de grandeur tout à fait comparable à celui affiché par l’étude de Trésor (écart de 20,9 points) sur la base de taux non corrigés.

L’étude identifie deux facteurs déterminants à cette différence :

– l’impact de la déductibilité des intérêts d’emprunt qui est près de quatre fois supérieur pour les grandes entreprises que pour les PME et qui explique à hauteur de 10 points l’écart des taux implicites,

– l’impact des mécanismes de report des déficits, qui est près de deux fois et demie supérieur pour les grandes entreprises que pour les PME et qui explique pour près de 5 points l’écart des taux implicites.

B.– LES ÉLÉMENTS COMPLÉMENTAIRES RÉSULTANT DE L’EXPLOITATION DES DONNÉES FISCALES

Le Rapporteur général a demandé au ministère du budget d’exploiter les liasses fiscales télédéclarées des entreprises relevant du régime réel normal, d’une part, en ventilant ces entreprises par tranche de chiffres d’affaires et, d’autre part, en les ventilant au regard de leur situation fiscale.

Pour la répartition en fonction du chiffre d’affaires, cinq tranches de chiffres d’affaires (moins de 5 millions, 5 à 50 millions, 50 à 500 millions, 500 à 2 500 millions, plus de 2 500 millions) ont été étudiées. Ce chiffre d’affaires est un CA hors taxes incluant les produits financiers pour les entreprises financières et les holdings (25).

Pour les entreprises appartenant à un groupe fiscal (au sens de l’intégration fiscale), les données ont été rattachées à la tranche de chiffre d’affaires correspondant à la somme des chiffres des sociétés du groupe.

Il convient de noter que ces données, parce qu’elles ne couvrent que les entreprises imposées au régime réel normal et télédéclarantes, ne rendent que partiellement compte de la situation de l’ensemble des entreprises imposées à l’IS et qu’elles sous-représentent mécaniquement les plus petites entreprises (26).

Néanmoins, et malgré ce biais statistique, les résultats de leur exploitation confirment de manière particulièrement nette le constat dressé en 2009 par le Conseil des prélèvements obligatoires et que vient confirmer l’étude du Trésor, d’une répartition inégale de la charge de l’impôt selon la taille des entreprises.

L’IS brut dû (avant imputation des crédits d’impôts) se répartit, en effet, comme suit selon les tranches de chiffre d’affaires :

Tranches de CA (1)

Exercices clos en 2008

Exercices clos en 2009

IS brut (en millions d’euros)

Part du total

IS brut (en millions d’euros)

Part du total

5 m€ et -

6 252,7

19,02 %

6 735,5

20,09 %

5 m€ à 50 m€

6 800

20,69 %

6 324,3

18,86 %

50 m€ à 500 m€

7 184,1

21,86 %

6 440,3

19,21 %

500 m€ à 2 500 m€

5 832,9

17,75 %

6 433,1

19,19 %

plus de 2 500 m€

6 800,1

20,69 %

7 591,9

22,65 %

Toutes entreprises

32 868,8

100,00 %

33 525,1

100,00 %

(1) Il est rappelé que le CA inclus les produits financiers pour les entreprises financières et les holdings.

On constate donc une distribution de l’IS brut relativement homogène, à raison d’environ un cinquième du total dans chacune des tranches de CA.

L’IS brut diffère de l’IS dû au titre de l’exercice à raison des crédits d’impôt et des créances de report en arrière de déficits imputés. L’administration n’a pas été en mesure de fournir une ventilation de l’IS dû, les données de l’imprimé correspondant n’étant « pas exploitées à des fins statistiques ».

En revanche, le Rapporteur général a obtenu une ventilation des montants des crédits d’impôt déclarés au titre des exercices étudiés. Bien que ces montants n’aient pas nécessairement été imputés au titre de ces exercices, il apparaît possible d’exploiter cette information pour approximer l’IS dû.

Or, ces montants sont concentrés au bénéfice des plus grandes entreprises, les entreprises et groupes de plus de 500 millions d’euros de chiffre d’affaires déclarant environ 60 % du montant total déclaré des crédits d’impôt (et la même proportion du principal d’entre eux, le crédit d’impôt recherche) et les entreprises et groupes de plus de 2,5 milliards d’euros de CA déclarant 40 à 45 % des montants totaux. Il en résulte donc une déformation de la distribution de la charge de l’IS net des crédits d’impôt déclarés par rapport à celle de l’IS brut.

Tranches de CA (1)

Exercices clos en 2008

Exercices clos en 2009

Part de l’IS brut total minoré du montant des crédits d’impôt

Part de l’IS brut total minoré du montant des crédits d’impôt

5 m€ et -

21,33 %

22,12 %

5 m€ à 50 m€

22,83 %

20,56 %

50 m€ à 500 m€

23,76 %

20,35 %

500 m€ à 2 500 m€

17,60 %

19,59 %

plus de 2 500 m€

14,47 %

17,37 %

(1) Il est rappelé que le CA inclus les produits financiers pour les entreprises financières et les holdings.

Ce premier constat relatif à la distribution de la charge de l’impôt nécessite naturellement d’être éclairé par la prise en compte d’un indicateur du volume d’activité des différentes populations d’entreprise.

L’étude du Trésor ayant souligné l’ampleur de l’effet de la déductibilité des charges financières sur le calcul de l’assiette taxable des grandes entreprises, il est nécessaire de retenir un indicateur d’activité situé, dans la construction du résultat imposable, en amont de la déduction de ces charges.

À part le résultat d’exploitation, qui, comme l’ENE utilisé par le Trésor, ne permet pas de rendre compte de la situation des entreprises financières et qui présente le même biais a priori favorable aux grandes entreprises en ne tenant pas compte des produits de participation, seul le chiffre d’affaires peut être employé.

Le tableau ci-après présente donc une répartition du CA total de l’ensemble des entreprises étudiées par tranche de CA :

Tranches de CA (1)

Exercices clos en 2008

Exercices clos en 2009

Part du CA réalisé dans le CA total des entreprises étudiées

Part du CA réalisé dans le CA total des entreprises étudiées

5 m€ et -

4,32 %

7,00 %

5 m€ à 50 m€

6,73 %

9,79 %

50 m€ à 500 m€

8,93 %

12,56 %

500 m€ à 2 500 m€

8,54 %

11,36 %

plus de 2 500 m€

71,47 %

59,29 %

(1) Il est rappelé que le CA inclus les produits financiers pour les entreprises financières et les holdings.

Il convient toutefois d’être conscient des limites de l’indicateur retenu.

À l’inverse d’un indicateur d’exploitation (comme l’ENE), le chiffre d’affaires retenu, qui inclue les produits financiers des entreprises financières et des holdings, présente très clairement un fort biais défavorable aux grandes entreprises. La part des plus grandes entreprises y est, en effet, clairement majorée : les filiales sont ainsi prises en compte à la fois au stade de leur chiffre d’affaires propre et à celui du dividende remontant qui en est issu, tandis qu’une organisation filialisée verticalement aboutit à un chiffre d’affaires total fortement majoré par rapport à une structure intégrée (27).

L’ampleur de ces distorsions ne doit toutefois pas être exagérée. La somme du montant total des dividendes distribués par les entreprises étudiées (y compris à d’autres actionnaires que des entreprises françaises) et des produits réalisés avec des entreprises liées (y compris des entreprises étrangères ou françaises et n’appartenant pas au périmètre d’intégration fiscale) représente, en effet, moins de 15 % du chiffre d’affaires total.

Un autre biais dont il convient d’être conscient est que le chiffre d’affaires n’est évidemment pas un indicateur du profit. Rapporter l’impôt au CA pour un cabinet de conseil et pour un supermarché ne produit évidemment pas le même résultat.

Même si le chiffre d’affaires constitue, en l’état du droit, une assiette taxable de substitution du bénéfice dans le cadre de régimes simplifiés à l’impôt sur le revenu, il ne serait donc pas sérieux d’afficher des pourcentages ayant vocation à être assimilés à des taux d’imposition sur la base de cette assiette.

On peut, en revanche, comparer, tout en étant conscient des biais du calcul, l’intensité du prélèvement par rapport aux chiffres d’affaires selon la taille de l’entreprise. C’est l’objet du tableau ci-après qui se lit comme suit : un ratio de 1 signifie que la population concernée supporte un taux moyen de prélèvement sur le chiffre d’affaires (28) égale à la moyenne égale à la moyenne de l’ensemble des entreprises.

Tranches de CA (1)

Exercices clos en 2008

Exercices clos en 2009

Intensité de prélèvement au regard du CA par rapport à la moyenne

Intensité de prélèvement au regard du CA par rapport à la moyenne

5 m€ et -

4,94

3,16

5 m€ à 50 m€

3,39

2,10

50 m€ à 500 m€

2,66

1,62

500 m€ à 2 500 m€

2,06

1,72

plus de 2 500 m€

0,20

0,29

Ensemble des entreprises

1,00

1,00

(1) Il est rappelé que le CA inclus les produits financiers pour les entreprises financières et les holdings.

Au titre des exercices clos en 2008, l’impôt brut net des crédits d’impôt déclarés par les plus petites entreprises a donc représenté une proportion de leur chiffre d’affaires près de cinq fois supérieure à la moyenne de l’ensemble des entreprises quand, au titre des mêmes exercices, le même indicateur était, pour les plus grandes entreprises, cinq fois inférieur à la moyenne. L’impôt brut net des crédits d’impôt déclarés par les plus petites entreprises a donc représenté une proportion de leur chiffre d’affaires vingt-cinq fois supérieure à celle constatée pour les plus grandes entreprises.

Même ce résultat est fragile, il atteste d’une tendance claire et pleinement convergente avec les résultats de l’étude du Trésor : l’imposition des plus grandes entreprises est incontestablement substantiellement plus faible au regard de leur niveau d’activité ou de profit économique que celle des entreprises petites et moyennes, même si l’on ne peut affirmer avec précision dans quelle proportion.

Afin d’approfondir cette question, le Rapporteur général a également demandé communication des données fiscales afférentes aux entreprises et groupes appartenant à l’indice CAC 40.

Les données qui lui ont été transmises sont partielles : l’IS net acquitté par ces entreprises ne lui a pas été communiqué, non plus que le montant qu’elles déclarent au titre du principal crédit d’impôt, le crédit d’impôt recherche.

Au titre des exercices clos en 2007, 2008 et 2009, ces 40 groupes ont été redevables d’un IS brut cumulé de 13,5 milliards d’euros.

En minorant ce chiffre du montant des crédits d’impôt déclarés communiqué au Rapporteur général (donc hors CIR), le total s’élève à 10,3 milliards d’euros, soit un montant moyen par exercice de 3,5 milliards d’euros (29) et un montant moyen par groupe et par exercice de 86 millions d’euros.

Par comparaison, on rappellera qu’au titre des mêmes exercices, ces groupes ont distribué un montant cumulé de dividendes de 112,6 milliards d’euros (30), soit 37,5 milliards d’euros en moyenne par exercice, tout en précisant que les résultats correspondants ont été réalisés pour une part significative hors de France (en 2009, celles de ces entreprises déclarant la répartition de leur chiffre d’affaires ont réalisé près de 70 % de celui-ci hors de France (31)) et qu’ils ont donc également été imposés hors de France.

On peut également noter que ces entreprises (hors établissements de crédit (32)) ont déclaré, sur les mêmes exercices, un chiffre d’affaires annuel moyen en France (au sens fiscal) de 750 milliards d’euros. L’impôt brut minoré des crédits d’impôt (hors CIR) des entreprises du CAC 40 autres que les établissements de crédit a donc représenté, en moyenne, 0,4 % de leur chiffre d’affaires réalisé en France.

La situation fiscale moyenne traduit des situations individuelles très contrastées.

Vingt-trois groupes (33) ont été redevables d’un impôt brut inférieur à 50 millions d’euros sur chacune des trois années, quatre d’entre eux étant redevables d’un impôt brut nul sur chacun des trois exercices.

Sur les trois années, les quarante groupes ont été redevables au titre de 120 exercices.

Au titre de 23 de ces exercices (19 % du total), l’IS brut dû était nul et il était inférieur à 5 millions d’euros au titre de 40 d’entre eux (soit le tiers), ces exercices produisant un très faible niveau d’imposition étant répartis de manière presque régulière sur les trois années concernées.

Au titre de près de la moitié de ces exercices (plus précisément, de 52 de ces 120 exercices), l’IS brut minoré des crédits d’impôt déclarés autres que le CIR est nul ou négatif.

Enfin, on peut noter que les quatre groupes au sein desquels l’État détient une participation ont été redevables de près de 40 % de l’IS brut minoré du total des crédits d’impôt (étant précisé qu’il s’agit d’un solde net entre, d’une part, l’impôt de celles des entreprises qui en payent et, d’autre part, le solde des crédits d’impôt obtenus et des créances acquises de celles des entreprises qui n’en payent pas).

Après prise en compte de la créance de CIR acquise, le solde net de l’IS brut minoré des crédits d’impôt pour les autres groupes est donc probablement inférieur à deux milliards d’euros par exercice, soit un montant représentant moins de la moitié de celui de l’impôt sur le revenu des artisans et autres entrepreneurs individuels imposés aux bénéfices industriels et commerciaux.

IV.– LES FACTEURS EXPLIQUANT LE NIVEAU DE L’IMPÔT

Le débat public sur la fiscalité des grandes entreprises est dominé par une dénonciation de principe d’une poignée de dispositifs (régime fiscal des sociétés mères, régime de l’intégration et exonération des plus-values sur titres de participation) constituant des dépenses fiscales ou des modalités particulières de calcul de l’impôt au sens du fascicule Voies et moyens annexé au projet de loi de finances et chiffrées par lui.

Le Rapporteur général estime nécessaire, en préalable, de rappeler quelques éléments simples sur ces dispositifs avant de revenir sur d’autres facteurs qui lui semblent devoir appeler davantage l’attention.

A.– LES MODALITÉS PARTICULIÈRES DE CALCUL DE L’IMPÔT EXONÉRANT CERTAINS PRODUITS

Les trois grands dispositifs de portée générale de la fiscalité des entreprises faisant l’objet d’une attention soutenue dans le débat public peuvent être rassemblés en deux blocs. O n distingue, d’une part, les mécanismes neutralisant la double imposition (régime fiscal des sociétés mères et plus-values sur titres de participation) et, d’autre part, le régime de l’intégration fiscale.

1.– Les mécanismes neutralisant la double imposition

a) Le régime fiscal des sociétés mères

Le régime fiscal des sociétés mères exonère les distributions reçues d’une entreprise détenue au moins à 5 %, sous réserve de l’imposition d’une quote-part de 5 %.

Malgré sa dénomination, le régime fiscal des sociétés mères n’est donc pas un régime de groupe. La distributrice « fille » au sens du régime fiscal des sociétés mères n’est, a priori, pas sous le contrôle de la « mère » bénéficiant de la distribution. Le régime fiscal des sociétés mères est, en réalité, un dispositif de neutralisation de la double imposition.

Le résultat distribué est, en effet, issu d’un résultat qui a, lui-même, été imposable. La vraie question que l’on peut se poser à propos de ce dispositif, et du dispositif équivalent mutatis mutandis à l’impôt sur le revenu, à savoir l’abattement de 40 % sur les distributions imposées au barème, est qu’il s’applique que le résultat distribué ait effectivement été imposé ou pas et indépendamment du taux auquel il l’a été.

En pratique, la question posée est celle du rapatriement en France de dividendes perçus de filiales sises dans un État dont le taux d’imposition est inférieur au nôtre.

Il convient de noter que la question ne se pose théoriquement pas s’agissant des résultats des filiales soumises à un régime fiscal privilégié dont l’article 209 B prévoit, en principe, l’imposition « en transparence » en France. D’après les données transmises au Rapporteur général par l’administration, le montant des bénéfices ainsi intégrés aux résultats d’entreprises françaises s’est élevé, au titre des exercices 2009 et sur la population des entreprises télé-déclarantes au régime réel, à 759 millions d’euros. C’est un montant modeste qui pourrait justifier d’étudier de manière approfondie les conditions d’application de ce dispositif.

La question est donc celle des bénéfices réalisés par des filiales d’entreprises françaises dans des États qui ne sont pas à fiscalité privilégiée mais dont le taux d’imposition sur les bénéfices est néanmoins substantiellement inférieur au taux français.

Il serait techniquement possible (34) de réformer le régime mère-fille pour organiser un « rattrapage » de l’écart de taux en organisant la neutralisation de la double imposition par l’imputation sur l’impôt dû par la mère d’une quote-part de l’impôt payé par la fille.

Outre la complexité de gestion qu’elle supposerait, il convient d’être conscient qu’en pratique, il s’agirait, certes indirectement, de taxer davantage une entreprise exploitée à l’étranger et détenue par une entreprise française qu’une autre entreprise exploitée dans le même État et détenue par un autre actionnaire. Qu’on le veuille ou non, on désavantagerait les filiales étrangères d’entreprises françaises par rapport à leurs concurrents.

Au surplus, il convient de rappeler que les résultats des filiales étrangères ne sont, en tout état de cause, imposés que lorsqu’ils remontent en France, donc par décision des contribuables.

Dans les liasses fiscales des entreprises, les produits des participations étrangères ne sont pas isolés des autres produits de participation. En revanche, les liasses fiscales permettent d’identifier une fraction de dividendes de source française qui sont les dividendes reçus en régime mère-fille à l’intérieur d’un groupe intégré fiscalement (grâce à la déclaration de la mère opérant la déduction de la quote-part de 5 % lorsque le dividende provient d’une société d’un groupe qui est, par construction, une société française).

Toujours sur la même population d’entreprises, le montant de la quote-part ainsi déduite s’élève à 4,45 milliards d’euros et correspond donc à un produit de dividendes d’au moins (35) 89 milliards d’euros. Le montant total des dividendes perçus en régime mère-fille au sein des groupes intégrés s’élevant à 151 milliards d’euros, il en résulte que la somme des dividendes perçus par ces groupes en régime mère-fille et versés par des entreprises n’appartenant pas au groupe s’élève à 62 milliards d’euros.

Les dividendes reçus de filiales étrangères par les groupes ne représentent qu’une fraction de ce montant, qui inclut également les dividendes de filiales françaises n’appartenant pas au périmètre d’intégration. Il conviendrait, par exemple par sondages, d’identifier plus précisément cette part.

On peut toutefois craindre que ce résultat reflète d’ores et déjà une faible propension des groupes à faire « revenir » en France des résultats étrangers et il est clair qu’un alourdissement de la fiscalité sur ces produits pèserait directement sur l’assiette (36).

b) Les plus-values sur les titres de participation

Sans doute parce qu’elle a été adoptée sans discussion suffisante et qu’elle est apparue dans le débat public à l’occasion de la publication, dépourvue de tout commentaire, d’estimations du Gouvernement en chiffrant le coût à un niveau très élévé (37), l’exonération, sous réserve d’une quote-part, des plus-values sur les titres de participation a suscité, au cours des dernières années, une passion politique très excessive.

En effet, cette mesure relève, en réalité, presque de la simple coordination avec le régime fiscal des sociétés mères précédemment évoqué. Une cohérence est nécessaire entre le régime d’imposition des dividendes et celui des plus-values. Une plus-value sur une entreprise est acquise au titre d’un dividende passé qui n’a pas été perçu ou au titre d’une espérance de dividende futur. D’un point de vue économique, il n’y a donc aucune raison de traiter plus favorablement le dividende (lequel est exonéré en mère-fille) que la plus-value.

Imaginons, par exemple, une société mère détenant une filiale dont la valeur actuelle nette des flux de trésorerie futurs est de 1 000. Si la mère conserve la propriété de cette société, ces flux alimenteront un dividende qui sera exonéré en régime mère-fille. Imposer la plus-value en cas de cession plus substantiellement que les dividendes revient donc à créer une incitation à ne pas céder les titres pour des raisons strictement fiscales et indépendamment de toute rationalité économique.

L’exonération des plus-values sur titres de participation, dont il faut rappeler qu’elle est, comme l’exonération en mère-fille des distributions, partielle puisqu’une quote-part de 5 % est imposée, est donc parfaitement logique.

On pourrait, en revanche, s’interroger sur les conditions de calcul de la quote-part pour frais et charges de 5 %. Celle-ci a, en effet, pour pendant l’autorisation de la déductibilité des charges supportées au titre des participations concernées, dont on verra ci-après qu’elle représente un enjeu budgétaire très significatif.

En l’état du droit, la quote-part est calculée sur la base du résultat net, entendu comme la somme algébrique des plus-values et moins-values à long terme. Or, cette assiette n’est pas nécessairement la plus fidèle pour approximer forfaitairement (ce qui est l’objet de la quote-part) le montant des charges déductibles.

Rien ne permet, en effet, de penser que l’acquisition et la gestion d’une participation soit plus onéreuse lorsque celle-ci donne lieu, à la cession, à une plus-value que lorsqu’elle est cédée en moins-value. A fortiori, on ne voit pas non plus de lien clair entre l’existence d’une moins-value sur une ligne et le niveau des charges déduites sur un ensemble de participations cédées.

Un exemple peut permettre d’illustrer l’état du droit.

Imaginons ainsi une entreprise acquérant, le 1er janvier 2007, deux participations A et B, l’une et l’autre pour un prix de 100. Les frais financiers annuels correspondants, l’acquisition étant supposée financée par endettement, sont de 10 par an (5 %). Les autres frais de gestion sont supposés de 2 (1 %).

L’entreprise vend ces participations le 1er janvier 2012. La participation A est cédée 220 et la participation B, 80. À cette date, le montant cumulé des charges déduites au titre des cinq exercices sur ces participations est de 60.

Le résultat net des plus-values correspondantes est de 100 (+ 120 – 20) et la quote-part imposable est donc, en l’état du droit, de 5. Le résultat ainsi réintégré à l’assiette taxable est donc douze fois inférieur à la somme des charges qui en ont été déduites antérieurement.

Le Rapporteur général estime que la priorité doit être de s’interroger sur les conditions de la déductibilité des charges (cf. ci-après). À défaut, ou dans l’attente d’une évolution sur cette question, on peut toutefois estimer qu’il y aurait une certaine logique à ce que la quote-part soit calculée sur le prix de cession et non sur le montant de la plus-value (mais il pourrait en résulter une taxation de moins-values) et, à tout le moins, qu’elle soit calculée sur le montant (brut) des plus-values, sans compensation avec les éventuelles moins-values.

Dans l’exemple précédent, le calcul de la quote-part sur le montant des cessions (220 + 80) conduirait à fixer celle-ci à 15 et le calcul de la quote-part sur le montant brut de la plus-value (120) conduirait à fixer celle-ci à 6.

2.– Le régime de l’intégration fiscale

Le régime d’intégration fiscale permet à une société mère de se constituer seule redevable de l’impôt dû sur l’ensemble des résultats du groupe qu’elle forme avec les filiales dont elle détient au moins 95 % du capital. Le résultat d’ensemble est la somme algébrique des résultats individuels des sociétés du groupe retraitée pour neutraliser des transactions, distributions et aides intra-groupe.

L’avantage essentiel de l’intégration est donc de permettre la compensation des déficits et des bénéfices des différentes sociétés du groupe et, plus généralement, de neutraliser fiscalement des opérations intragroupe (notamment les distributions, au titre desquelles la quote-part de 5 % n’est pas due).

Si le régime de l’intégration constitue, au sens du fascicule Voies et moyens, une modalité de calcul de l’impôt dont le coût a été chiffré en dernier lieu, au titre de 2009, à 18,4 milliards d’euros par le projet de loi de finances pour 2011, le Rapporteur général estime que ce coût est totalement virtuel.

Compte tenu du niveau très élevé du seuil de participation exigé (il est rappelé que le régime allemand comparable, mutatis mutandis, n’exige qu’une détention majoritaire), l’intégration fiscale ne peut être considérée comme un avantage fiscal et sa suppression, qui serait une aberration économique, n’est nullement susceptible de produire une majoration de recettes d’un ordre de grandeur comparable à ce chiffrage.

La compensation des déficits et des bénéfices est, en effet, mécanique au sein d’une même société et il est bien évident qu’une remise en cause d’un régime d’intégration aboutirait à des restructurations juridiques visant à consolider des sociétés actuellement autonomes. Au surplus, il convient de noter que l’avantage lié à la compensation des résultats est, pour une part significative, un avantage de pure trésorerie puisque le déficit qui ne serait pas imputable sur un bénéfice en l’absence de consolidation serait reportable sur les bénéfices futurs (et passés, dans le cadre du report en arrière).

Il n’en résulte pas, pour autant, qu’aucune évolution de ce régime ne puisse être envisagée. Une attention particulière mérite notamment d’être apportée à trois questions, dont les deux premières ont d’ailleurs été soulevées par la Cour des comptes dans son rapport public annuel de 2011 (38).

La première est celle du caractère totalement optionnel du périmètre d’intégration. S’il est vrai que deux activités exercées au sein d’une même société feraient l’objet d’une compensation mécanique de leurs résultats respectifs, cette compensation serait, de fait, imposée à la société. En intégration fiscale, la compensation est, au contraire, facultative, une société pouvant entrer et sortir du groupe librement et quasiment sans contrainte fiscale sous réserve de la « déneutralisation » de certaines opérations intra-groupe.

De ce point de vue, le dispositif français est donc substantiellement plus souple que le régime allemand comparable qui impose un transfert des résultats vers la société mère pendant une période minimale de cinq ans (39).

Il faut toutefois noter que cette caractéristique doit être rapprochée du niveau de détention exigée. Au surplus, et comme la réponse du Gouvernement à la Cour des comptes (40) le souligne à juste titre, il serait peu opératoire d’imposer un maintien dans le périmètre alors même que celui-ci est conditionné par un taux de détention très élevé que les contribuables seront libres de faire évoluer.

En revanche, on pourrait envisager, à la sortie du groupe, une remise en cause des avantages précédemment obtenus en prolongeant le droit existant qui prévoit notamment la réintégration des avantages obtenus à raison des abandons de créances et des subventions intragroupe des cinq exercices précédant la sortie.

Une seconde question, également soulevée par la Cour, est celle de la neutralisation de la quote-part pour frais et charges sur les dividendes distribués au sein du groupe dont la Cour estime le coût budgétaire à environ 1,6 milliard d’euros au titre de 2007 et de 2008.

En réponse à la Cour, le Gouvernement (41) estime que « la neutralisation de la quote-part pour frais et charges sur les dividendes distribués au sein du groupe ne peut s’analyser comme une dépense fiscale, dans la mesure où elle est destinée à éviter les doubles impositions ». Sur ce point, on peut estimer que c’est le Gouvernement, qui juge globalement que « l’analyse de la Cour sur le caractère supposé optimisant des dispositifs de neutralisation méconnaît à la fois les finalités et la nature » du régime de l’intégration fiscale, qui méconnaît, dans sa réponse, les finalités et la nature de la quote-part pour frais et charges.

C’est, en effet, l’exonération du dividende lui-même qui constitue un mécanisme évitant la double imposition tandis que la quote-part pour frais et charges a, comme son nom l’indique, pour objet de compenser la déductibilité, autorisée par ailleurs, des frais et charges supportés au titre de la participation dont est issu le dividende. Ces frais et charges sont tout autant déductibles au titre d’une participation intragroupe qu’au titre d’une participation dans une société n’appartenant pas au groupe et l’on ne voit donc pas, s’agissant de cette quote-part, la justification d’un traitement différent des dividendes selon qu’ils sont internes au groupe ou qu’ils ne le sont pas.

La neutralisation de la quote-part sur les distributions intragroupe constitue donc bien un avantage propre au régime d’intégration dont la légitimité mérite d’être établie.

Il convient de noter que le même raisonnement conduit à considérer également comme un avantage, pour les mêmes raisons, la neutralisation de la quote-part pour frais et charges sur les plus-values intragroupe sur titres de participation.

Au titre des exercices clos en 2009 – qui sont probablement minorants du niveau des plus-values en régime de croisière –, les groupes télédéclarants imposés au régime réel normal ont déduit de leur résultat d’ensemble environ 270 millions d’euros au titre de la neutralisation de la quote-part sur les plus-values sur titres de participation intragroupe (contre un peu moins de 4,5 milliards au titre de la neutralisation de la quote-part sur les dividendes relevant du régime mère-fille intragroupe).

Enfin, un troisième thème méritant l’attention est celui des modalités de traitement des déficits antérieurs à l’intégration. En principe, ces déficits ne sont pas imputables sur le résultat d’ensemble du groupe (sans quoi le groupe pourrait, en quelque sorte, « acheter » du déficit) ou, plus précisément, ne le sont que sur le résultat propre de la société intégrée, tel qu’il se serait établi en l’absence d’intégration. En d’autres termes, l’intégration n’est, en principe, pas rétroactive.

Pour mettre en œuvre ce principe, il est calculé, au niveau de chaque entité du groupe, un plafonnement du bénéfice sur lequel les pertes antérieures à l’intégration peuvent être imputées. Plusieurs ajustements techniques (42) pourraient probablement permettre de renforcer l’effectivité de ce plafonnement. Les conditions d’utilisation de créances de report en arrière afférentes à des bénéfices antérieurs à l’intégration méritent également l’attention et seront évoquées ci-après, au titre de l’analyse d’ensemble des mécanismes de report.

B.– L’ENJEU MAJEUR DES PRODUITS NON PERÇUS ET DES CHARGES DÉDUITES

Probablement parce qu’ils ont fait l’objet de chiffrages rendus publics et parce qu’ils recourent principalement à la technique fiscale simple et apparemment très dérogatoire de l’exonération, le débat public en matière d’impôt sur les sociétés s’est largement focalisé sur les grands dispositifs précédemment évoqués.

Cela a probablement aussi été le cas parce que chacun a l’intuition logique que les entreprises sont, de manière générale, gérées en vue de maximiser leur résultat net, donc d’accroître leurs produits et de maîtriser, autant que faire se peut, leurs charges.

Or, si cela est très clairement la réalité de la gestion quotidienne de l’immense majorité des entreprises françaises et, en particulier, des PME, il n’est pas exclu que certaines entreprises, notamment grâce à une organisation filialisée et internationale, puissent optimiser leur impôt en renonçant à percevoir des produits et/ou en majorant des charges déduites.

La question des produits, que l’on pourrait dire abandonnés, relève, pour l’essentiel, de la question des prix de transfert. Dans l’exemple le plus simple, il s’agit de vendre à un prix artificiellement bas à une entité du groupe située à l’étranger un bien qui sera ensuite revendu par elle au prix de marché, ce qui conduit à « délocaliser » le profit (et l’assiette taxable) correspondant. Par construction, les éventuels produits non perçus n’apparaissent pas dans les liasses fiscales françaises et l’on peut donc difficilement évaluer le phénomène.

Il convient toutefois de rappeler que le Conseil des prélèvements obligatoires estimait, dans son rapport d’octobre 2010, que « la gestion des prix de transferts constitue l’élément déterminant des politiques d’optimisation actuelles pour les groupes de sociétés » en soulignant que « les résultats des contrôles diligentés par la DGFIP témoignent du dynamisme des rectifications fiscales opérées en ce domaine, les sujets liés aux prix de transfert concentrant l’essentiel des enjeux des contrôles internationaux (2,6 Md€ en 2008) et du nombre des rectifications opérées (80 %) » (43).

En la matière, il convient de noter les avancées législatives opérées à l’occasion de la troisième loi de finances rectificative pour 2009 qui instaure une obligation spécifique de documentation des prix de transfert pour les grandes entreprises et une obligation de documentation complémentaire pour les transactions réalisées dans les États et territoires non coopératifs.

S’il est donc difficile de se prononcer sur des pertes de produits, on peut, en revanche, disposer de données fiscales exploitables s’agissant des charges. Or, le résultat imposé étant un résultat net, la déduction d’une charge est fiscalement équivalente à l’exonération d’un produit de même montant.

Au titre des exercices clos en 2009, la somme des charges déclarées par les entreprises télédéclarantes imposées au régime réel normal s’est élevée à 5 808 milliards d’euros. L’imputation de ces charges sur des produits imposables représente donc un enjeu budgétaire très supérieur à celui de tout régime d’exonération.

Or, si la déduction de certaines charges, par exemple les salaires bruts (qui représentent environ 15 % des charges d’exploitation) ou les impôts sur la production (qui en représentent 2,2 %), n’appelle aucun commentaire, il convient d’être conscient que des possibilités importantes de minoration de l’assiette fiscale sont ouvertes par d’autres et, en particulier, par les charges financières.

1.– Les charges financières

Les produits et charges financiers représentent, agrégés sur la totalité de la population étudiée (44), des volumes très élevés et dont le niveau, qui s’explique peut-être par des opérations interbancaires, peut même surprendre. La somme des produits financiers représente ainsi 1 656 milliards d’euros et la somme des charges financières, 1 787 milliards d’euros.

Au sein de ces produits et charges, les intérêts perçus ou versés tiennent une place prépondérante. Le montant déclaré, en charges, au titre des intérêts versés et des charges assimilées atteint, en effet, 1 560 milliards d’euros. En vis-à-vis, les produits rattachés à la ligne « autres intérêts et produits assimilés » s’élèvent à 1 130 milliards d’euros sachant, d’une part, que des intérêts peuvent être enregistrés parmi les produits financiers des titres de participation (dont le montant déclaré est de 196 milliards d’euros) et des autres valeurs mobilières et créances de l’actif immobilisé (dont le montant déclaré est de 150 milliards d’euros) et, d’autre part, que certains produits financiers seraient déclarés en produits d’exploitation par des établissements de crédit.

Il convient de noter que les charges d’intérêts sont concentrées au sein des groupes qui, bien qu’ils ne déclarent qu’environ 70 % du total des charges et des produits, déclarent 90 % des charges d’intérêt (1 500 milliards) contre 72 % des produits correspondants. Ces données sont convergentes avec les conclusions du Trésor qui établissent, comme cela a été rappelé, le rôle déterminant des charges financières dans l’écart du taux implicite constaté entre les PME et les grandes entreprises.

Il conviendrait d’analyser individuellement des liasses fiscales de groupes pour lesquels les intérêts versés sont d’un niveau particulièrement élevé pour porter un jugement sur les éléments expliquant cette situation.

En tout état de cause, les situations individuelles sont naturellement très diverses et aucune explication univoque ne peut prétendre rendre totalement compte de cette diversité.

Intuitivement, on peut toutefois estimer que trois phénomènes peuvent contribuer à expliquer ce niveau des charges financières et la concentration de ces charges au sein des groupes.

Une première explication, que l’on pourrait qualifier d’économique, serait une plus forte intensité capitalistique des grandes entreprises. C’est une explication qui est avancée à juste titre par la direction du Trésor. S’agissant des groupes (donc sur un critère fiscal qui ne recoupe pas véritablement un découpage par taille d’entreprise), il n’apparaît toutefois pas de spécificité par rapport aux entreprises indépendantes en matière de dotations aux amortissements (45).

Une seconde explication est le fait que les montages de LBO sont généralement organisés en groupe. Comme on le sait, il s’agit de montages dans lesquels c’est, en pratique, la cible acquise qui finance sa propre acquisition par une holding de contrôle avec laquelle elle forme un groupe au sens fiscal.

Les résultats de la société acquise sont donc, pour l’établissement de l’impôt du groupe, minorés des charges financières supportées par la holding pour l’acquisition de la société opérationnelle. L’État supporte donc, de fait, une part du coût d’acquisition de la société opérationnelle à raison de l’impôt perdu sur ses résultats.

Il convient de noter qu’il s’agit de montages très répandus qui représentent un enjeu fiscal majeur. La seule limitation réelle à leur développement est le dispositif dit de l’amendement « Charasse » organisant la réintégration au résultat de charges financières en cas de rachat à soi-même. Aucune limitation n’intervient, en revanche, en cas de changement de contrôle, ni lorsque les opérations ne sont pas réalisées à l’intérieur d’un groupe.

Enfin, une troisième explication, également fiscale, au poids des charges des financières pourrait être l’existence de pratiques d’optimisation tendant à minorer le bénéfice imposable en France notamment en rattachant aux résultats d’exploitations françaises des charges financières afférentes à des opérations étrangères dont le bénéfice ne sera pas rapatrié (ou le sera sous les régimes de faveur des sociétés mères ou des plus-values sur titres de participation).

Certaines données tirées de l’exploitation des liasses fiscales tendent à crédibiliser cette hypothèse.

Globalement, la somme des charges financières de l’ensemble des entreprises étudiées excède la somme de leurs produits financiers, d’où un résultat financier négatif de 130,7 milliards d’euros, résultat qui est, naturellement, un solde net de situations individuelles diverses.

En examinant des sous-populations des entreprises étudiées, on relève qu’un solde négatif supérieur est constaté au seul titre des sociétés intégrées fiscalement (dont le solde des résultats financiers s’établit à – 151,5 milliards d’euros) et l’on constate surtout que les sociétés appartenant à des groupes dont la somme des résultats d’exploitation des sociétés membres est positive présentent un solde des résultats financiers encore plus négatif (– 215,4 milliards d’euros). Ce montant correspond à 56 % du solde des résultats d’exploitation des mêmes sociétés.

Il est possible et même vraisemblable que ce résultat puisse s’expliquer par des différences réelles de situations économiques, par exemple par le fait que les groupes dégageant un résultat d’exploitation positif sont ceux ayant le plus investi et qu’ils supportent en conséquence un endettement élevé.

On notera toutefois que la situation des entreprises indépendantes (entendues comme celles n’appartenant pas à un groupe fiscal) dont le résultat d’exploitation est positif est sensiblement différente puisque le solde négatif de leurs résultats financiers représente moins de 8,5 % du solde de leurs résultats d’exploitation. Il est donc également possible que ce résultat traduise, au moins en partie, une optimisation des charges financières dans les groupes ayant une « matière fiscale » à effacer à raison d’un résultat d’exploitation positif.

Le niveau élevé du taux facial français tend, en effet, non seulement à faire fuir des produits hors de France mais également à attirer en France des charges. En d’autres termes, le taux français « attrait » sur notre base fiscale, sur des produits dégagés en France, des charges qui ne leur sont pas nécessairement liées. Or, les charges financières sont probablement parmi celles dont la localisation est la plus aisément maîtrisée par les contribuables.

Une entreprise présente dans un État où le taux d’IS est plus faible qu’en France et se développant dans cet État, par exemple par une opération de croissance externe, aura ainsi systématiquement intérêt (dès lors qu’elle a un bénéfice imposable en France) à faire supporter par une entité française le financement de cette opération. Il est possible que notre système fiscal ait eu vocation à organiser ainsi une forme de subvention fiscale à l’expansion internationale des entreprises françaises, mais la nécessité d’un tel avantage n’est probablement plus établie.

À l’extrême, on peut même imaginer des opérations dont la rentabilité serait totalement conditionnée par le « levier fiscal » résultant de l’écart de taux entre la France et un État étranger. Une entreprise empruntant à 5 % pour acquérir une obligation dont le rendement est de 4 % supportera ainsi une charge nette après IS de 3 1/3 % si la dette est « logée » en France pour un rendement net après IS (étranger) de 3,5 % si le revenu de l’obligation est perçu en Irlande (46).

Il est bien évident que c’est le niveau élevé de notre taux facial qui rend opportunes de telles optimisations. Toutefois, même dans l’hypothèse d’une baisse de ce taux, elles resteront possibles dès lors qu’un différentiel de taux continuera à exister avec d’autres États.

Il convient de noter que cette question de la déductibilité des charges financières est, en pratique, liée à celle des régimes d’exonération des dividendes (en mère-fille et, a fortiori, en intégration) et des plus-values (sur des titres de participation)

Comme cela a été rappelé, l’exploitation des liasses fiscales établit que la somme des dividendes perçus par ces groupes en régime mère-fille et versés par des entreprises n’appartenant pas au groupe s’élève à 62 milliards d’euros, ce qui constitue la fourchette haute du montant des dividendes rapatriés de filiales à l’étranger (47). Ces produits étant imposés sous le régime mère-fille, ils ne représentent qu’une assiette imposable (au titre de la quote-part) d’un peu plus de 3 milliards et donc un produit maximal brut (au taux normal) de l’ordre du milliard.

Ce montant mériterait d’être rapproché de la perte de recettes résultant de la déduction des charges financières afférentes au financement de l’acquisition des participations concernées, charges elles intégralement déduites alors même que les produits correspondants, lorsqu’ils reviennent en France ce qui n’est probablement pas systématique, sont exonérés à hauteur de 95 % de leur montant (à raison du régime mère-fille).

En reprenant l’exemple précédemment cité d’une entreprise française acquérant une société irlandaise dont le seul actif est un portefeuille obligatoire et empruntant à 5 % pour financer cette acquisition alors que le rendement brut des obligations est de 4 %, on arrive, en effet, au résultat fiscal suivant pour une acquisition de 100 :

– la société française déduit de son résultat imposable la charge financière (soit 5) et réduit, dans la limite de ce résultat imposé au taux normal, son IS (français) de 1,666,

– la filiale irlandaise perçoit 4, acquitte un IS (irlandais) de 0,5 et distribue 3,5 à sa mère française,

– ce produit de 3,5 est imposé, sous le régime fiscal des sociétés mères, à hauteur de 5 % (soit 0,175) et produit un IS (français) de 0,06.

On a donc une opération dont l’effet net sur les recettes (françaises) est de – 1,66, soit près de 50 % du montant du dividende perçu, et qui, malgré son absence de rationalité économique propre, est rentable pour des raisons strictement fiscales (la charge totale pour l’entreprise française s’établit à 5,06 – le coût des intérêts majoré de l’imposition sur le dividende « revenant » – tandis que le gain s’élève à 5,16 – le montant du dividende perçu majoré de l’économie d’IS résultant de la déduction des charges financières).

Ce point a été souligné de manière expresse par le Conseil des prélèvements obligatoires dont le rapport de 2010 souligne qu’ « un groupe domicilié en France peut ainsi retirer des produits exonérés d’une acquisition à l’étranger, sous forme de dividendes et de plus-values en cas de revente, alors que les charges liées à cette acquisition lui auront permis de diminuer l’impôt payé » en estimant que « cette asymétrie entre charges déductibles et produits exonérés va à l’encontre de la logique de l’impôt qui veut que chaque charge ait comme contrepartie un produit, les deux étant soumis au même taux » (48).

Le Conseil estimait, à ce sujet, que « le rendement budgétaire lié à la diminution des dépenses fiscales dont bénéficient les grands groupes serait bien inférieur au chiffrage de la dépense fiscale, le risque de délocalisation des holdings et donc des flux de dividendes et de plus-values associés étant très élevé, dès lors que ces entités n’ont qu’une réalité juridique et de gestion et en aucun cas opérationnelle. » (49)

Il convient toutefois de noter que, pour les raisons précédemment exposées, l’enjeu budgétaire principal n’est probablement pas la taxation réduite des produits de participation (dont on peut effectivement estimer illusoire d’attendre une taxation au taux normal de la même assiette), mais la déduction des charges correspondantes.

Plusieurs options sont envisageables pour réduire les risques de fuite de la matière fiscale.

Le Conseil des prélèvements obligatoires a proposé l’instauration d’une règle générale de plafonnement de la déductibilité des intérêts d’emprunt sur le modèle allemand. L’extension par la loi de finances pour 2011 du régime de la sous-capitalisation aux prêts garantis par une entreprise liée s’apparente, dans une certaine mesure, à la création de l’embryon d’un tel plafonnement. Les difficultés concrètes apparues à l’occasion de cette extension – et, en particulier, la question du traitement du stock d’endettement – seraient naturellement posées dans une bien plus grande ampleur dans l’hypothèse d’une généralisation d’un dispositif inspiré du modèle allemand.

Alternativement, il pourrait être envisagé une limitation de la déductibilité des charges financières, par exemple au prorata de la part dans l’actif des titres dont les produits relèvent du régime mère-fille (et/ou des titres constituant des titres de participation) ou dans la limite des produits correspondants imposés (il s’agirait d’une règle de butoir similaire à celle prévue pour l’imputation des crédits d’impôt étrangers) afin de décliner effectivement le principe fiscal de bon sens selon lequel une charge afférente à un produit exonéré ne doit pas être déductible.

3.– Les redevances de brevet

Les produits et plus-values sur les droits de la propriété industrielle bénéficient d’un régime fiscal de faveur puisqu’ils sont imposés sous le régime du long terme, au taux de 15 % pour les entreprises à l’IS.

Le montant total de ces produits déduits du résultat fiscal s’élève à 6,4 milliards d’euros, les moins-values nettes correspondantes réintégrées étant d’un milliard d’euros.

Ce montant est important, ce qui cohérent puisqu’il s’agit d’une des dépenses fiscales d’IS les plus élevées, chiffrée au titre de 2009 à 760 millions d’euros par le PLF pour 2011 et à 800 millions d’euros au titre de chacun des deux exercices suivants.

Ce dispositif (50) a fait l’objet d’une analyse attentive dans le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires de 2010 qui souligne son coût et l’extrême concentration de son bénéfice au profit des plus grandes entreprises. Le Conseil relevait également à juste titre que « se pose la question de la déductibilité au taux normal de 33  % des charges liées à l’élaboration d’un brevet, notamment les frais de R&D supportés, alors que le produit associé sera lui taxé à 15 %. »

Ces observations sont fondées et méritent même d’être prolongées.

Soit une entreprise industrielle développant un procédé brevetable réduisant un coût de fabrication. Le coût de développement de ce procédé est de 100. Il est déductible au taux normal et ouvre droit, au surplus, au crédit d’impôt recherche (supposé acquis au taux normal de 30 % sur une assiette supposée égale au coût de développement). Le coût net après IS du développement du procédé s’établit donc à 36,66.

L’entreprise peut conserver la propriété du procédé et l’exploiter. Elle en tirera un avantage qui est la réduction de ses coûts. Cet avantage, donc le supplément de résultat qui en découle, sera, en principe, imposé au taux normal. Le gain de productivité, qui se trouve avoir été partiellement financé sur fonds publics, conduit logiquement à une majoration du profit imposable.

L’existence d’un taux réduit sur les produits de la propriété industrielle rend toutefois cette option très sous-optimale. Il est fiscalement bien préférable d’externaliser le brevet correspondant en le confiant à une filiale ou, mieux encore, en le faisant développer par une filiale dédiée.

En l’état du droit (51), et en supposant la filiale rémunérée par une redevance dont le niveau équivaut au bénéfice (à l’économie, au cas d’espèce) qu’aurait tiré l’entreprise de l’exploitation directe du procédé, l’externalisation aboutit :

– pour l’entreprise industrielle, à équilibrer le gain tiré de l’exploitation du procédé (l’économie en résultant) par la charge constituée par la redevance, pour un résultat fiscal net de l’opération nul malgré un gain économique réel,

– pour la filiale de recherche, à percevoir une redevance taxée à taux réduit, dont le résultat net reviendra, le cas échéant, à la mère sous le régime fiscal des sociétés mères.

On a donc un dispositif désincitant manifestement les entreprises industrielles à internaliser leurs dépenses de recherche et à exploiter directement leurs inventions, compte tenu du traitement fiscal de faveur des produits de concession.

Au surplus, il convient de noter que ce dispositif organise également une taxation au taux réduit des plus-values de cession des droits de propriété industrielle sous réserve qu’il n’existe pas de lien de dépendance entre l’entreprise cédante et l’entreprise cessionnaire (52).

Dans l’exemple précédemment évoqué, il a été, dans un souci de simplification, fait l’hypothèse du développement du procédé par une filiale dédiée. Si le procédé avait été développé par l’entreprise industrielle elle-même, elle aurait dû le vendre (ou l’apporter) à cette filiale pour procéder au montage précédemment décrit et elle aurait, à cette étape, été, en principe, imposée sur une plus-value, taxable au taux normal. La taxation aurait, en revanche, été appliquée au taux réduit en l’absence de lien de dépendance.

Or, comme on le sait, le crédit d’impôt recherche est, en principe, conditionné à la réalisation en France de dépenses de recherche (sous la réserve, et elle est importante, des dépenses de sous-traitance qui peuvent être confiées à des organismes étrangers de sorte qu’une entreprise commerciale étrangère peut bénéficier en France du CIR au titre de la recherche réalisée à l’étranger par sa maison mère).

Le résultat éventuellement brevetable de la recherche devra donc être cédé si le contribuable souhaite qu’il soit exploité par une entreprise éventuellement liée sise à l’étranger. L’imposition au taux réduit de la plus-value correspondante facilite donc manifestement le départ hors de France des résultats de la recherche subventionnée par le CIR.

Un point supplémentaire sur lequel l’attention mérite d’être appelée est l’extension du bénéfice du régime du long terme aux sous concessions par la loi de finances pour 2011. La combinaison de cette extension et de la suppression de la restriction de la déductibilité des redevances à des entreprises liées pourrait ouvrir des possibilités d’optimisation importantes.

Une entreprise dégageant un résultat en France et liée à une entreprise étrangère détenant des brevets (on peut imaginer le cas où l’entreprise française est la filiale de distribution française d’une entreprise étrangère comme dans le cas où une entreprise industrielle française a acquis une entreprise concurrente à l’étranger) pourra, en effet, obtenir de cette entreprise étrangère la concession d’un de ces brevets puis en sous-concéder l’exploitation.

La redevance de concession sera déductible au taux normal, la redevance de sous-concession sera imposée au taux réduit et, par une opération qui s’apparente presque à un simple jeu d’écriture (53), le bénéfice taxable en France sera réduit de 18 1/3 % du montant de la redevance.

Comme cela a été rappelé, les redevances pour concession de brevets, dont le produit est imposé au taux réduit chez le concédant, n’étaient déductibles chez les concessionnaires qu’à proportion de ce taux réduit jusqu’à la loi de finances pour 2011. Il a été considéré que cette limitation incitait à concéder l’exploitation de brevets à des filiales étrangères pour lesquelles la limitation du droit à déduction ne joue pas et elle a été supprimée par la loi de finances pour 2011.

Les redevances de concession et désormais de sous-concession sont donc désormais déductibles au taux plein, y compris lorsqu’elles sont versées à des entreprises liées, d’où les risques majeurs d’optimisation précédemment rappelés. Il conviendrait donc de réexaminer cette mesure, étant rappelé que sa justification (le risque que soient privilégiées des concessions à des entreprises étrangères ne subissant pas la restriction de l’imputation de la charge afférente à la redevance) n’est probablement pas systématiquement établie (il reste préférable de déduire au taux réduit de 15 % en France que de déduire au taux normal de 12,5 % en Irlande). Une alternative pourrait consister à maintenir l’état du droit sur les charges (déductibilité dans tous les cas, y compris entreprises liées) en réservant le bénéfice du taux réduit aux opérations réalisées avec des tiers.

On rappellera enfin, pour mémoire, le caractère particulièrement favorable du régime d’amortissements des brevets dont l’administration admet, par décision doctrinale de 1996, l’amortissement sur cinq ans, indépendamment de la période de validité restant à courir.

Le régime des revenus de la propriété industrielle mériterait donc d’être globalement réexaminé. Le renforcement massif du CIR, postérieur à sa création, rend moins nécessaires les avantages qu’il accorde et dont le pendant mécanique est d’ouvrir des possibilités d’optimisation auxquelles il convient de mettre un terme.

C.– LES AVANTAGES FISCAUX DIVERS DONT L’OPPORTUNITÉ POURRAIT ETRE RÉÉVALUÉE

1.– Les amortissements fiscaux dérogatoires

Les amortissements dits dérogatoires, comptabilisés en résultat exceptionnel, constituent l’excédent d’amortissement résultant des règles fiscales par rapport aux amortissements dits techniques résultant des règles comptables qui sont comptabilisés en charges d’exploitation.

Outre des règles particulières à certains biens, l’amortissement fiscal est généralement plus favorable pour les raisons suivantes :

– la base d’amortissement fiscal n’est pas réduite de la valeur résiduelle que l’entreprise peut espérer tirer du bien à la fin de cette période d’utilisation,

– l’amortissement fiscal peut être pratiqué sur la durée d’usage et non sur la durée réelle d’utilisation, le contribuable conservant, au surplus, la possibilité de s’écarter des usages en justifiant les circonstances particulières le conduisant à retenir une durée d'amortissement inférieure et une tolérance doctrinale prévoyant que ne sont pas remises en cause les durées d'amortissement retenues par les entreprises en raison de ces circonstances particulières ne s’écartant pas de plus de 20 % des usages professionnels,

– il peut être pratiqué, pour certains biens, un amortissement dégressif, indépendamment du rythme réel attendu de consommation de leurs avantages économiques (qui détermine l’amortissement comptable).

Comme le rappelait le Conseil des prélèvements obligatoires en 2009, il en résulte que « la France présente un avantage comparatif par rapport à ses partenaires européens au regard des possibilités d’amortissements offertes aux entreprises » (54).

Cet avantage peut être évalué à partir des travaux conduits sous l’égide de la Commission européenne pour estimer l’impact qui résulterait de la création de l’assiette commune consolidée d’impôt sur les sociétés (ACCIS) qu’elle propose. Cette assiette comprendrait naturellement des règles d’amortissement (55). À l’échelle de l’Union, les travaux réalisés pour le compte de la Commission (56) évaluent à 4,47 % l’augmentation de l’assiette taxable résultant de la substitution de ces nouvelles règles d’amortissement aux règles nationales existantes dans le cas des grandes entreprises. Pour la France, l’augmentation est de 9,89 %, ce qui est, de très loin, la plus élevée des grands États membres (l’augmentation étant de l’ordre de 2,5 % pour l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Espagne et de 5 % pour l’Italie).

Le Conseil des prélèvements obligatoires note que cet avantage « atténue l’impact de la taxation des équipements productifs au titre de la TP » (57). On peut naturellement, après la suppression de la taxe professionnelle, s’interroger sur la nécessité du maintien de ces avantages.

La répartition intersectorielle de l’utilisation des amortissements dérogatoires remet, en outre, en cause l’idée selon laquelle l’industrie en tirerait un bénéfice prédominant. À la demande du Rapporteur général, l’administration a, en effet, ventilé les dotations aux amortissements dérogatoires selon le secteur d’activité de la nomenclature NES16 de l’entreprise les réalisant. Cette ventilation fait apparaître que les entreprises appartenant aux cinq secteurs industriels de cette nomenclature (58) ne représentent que 32 % du total des dotations réalisées.

En outre, la remise en cause de ces avantages ne représenterait qu’un surcoût transitoire pour les contribuables (les mesures de faveur en matière d’amortissement n’ont qu’un effet de trésorerie) d’ampleur limitée. Sur l’ensemble de la population d’entreprises étudiées, l’accroissement net de la provision pour amortissements dérogatoires, c’est-à-dire l’excédent des dotations aux amortissements dérogatoires sur les reprises, ne s’est, en effet, élevé qu’à 5,8 milliards d’euros. Par comparaison, l’accroissement au cours de l’exercice des amortissements techniques, c’est-à-dire comptables, s’établit à 91,7 milliards d’euros.

Enfin, il convient de rappeler que les amortissements dégressifs ont été supprimés en Allemagne en 2008. Ils ont toutefois été rétablis, à titre exceptionnel, dans le cadre du plan de relance allemand, pour les investissements de 2009 et 2010 (59), ce qui illustre d’ailleurs l’intérêt conjoncturel d’une règle normale d’amortissement strict laissant, en période de crise, des marges de manœuvre à un assouplissement exceptionnel, comme la Cour des comptes l’a d’ailleurs souligné en regrettant la « moindre réactivité à la conjoncture » du système français (60).

2.– Les régimes de report

L’impôt sur les sociétés français permet un report en avant illimité des déficits ainsi qu’un report en arrière. Par rapport au système allemand, ces deux règles sont très favorables comme l’a rappelé la Cour des comptes (61).

Le report en arrière allemand est, en effet, limité à un an (ce qui est également le cas au Royaume-Uni) et plafonné à 511 500 euros.

Le report en arrière français peut s’exercer sur les bénéfices des trois exercices précédents et n’est pas plafonné. Il crée une créance sur l’État, utilisable pour le paiement de l’IS mais aussi des autres impôts affectés au budget de l’État et recouvrés par la DGFIP et, à défaut, remboursable à l’issue d’une période de 5 années civiles à compter de l’exercice d’origine du déficit imputé.

Le report en arrière permet donc à un contribuable qui ne paiera plus d’IS de bénéficier d’un versement net du Trésor lui remboursant l’IS passé à raison des déficits qu’il a enregistrés, y compris à raison de charges supportées au bénéfice d’entreprises qui lui sont liées (62).

Il convient de noter qu’il s’agit d’un mécanisme qui présente, par rapport au report en avant, un intérêt particulier pour les groupes internationalisés en préservant un éventuel bénéfice sur lequel des crédits d’impôt non restituables et non reportables nés de la perception de revenus de source étrangère pourront être imputés, la créance de report en arrière étant, elle, reportable.

Une autre caractéristique rendant ce mécanisme particulièrement intéressant dans les groupes est qu’il permet au groupe de bénéficier de la créance (soit pour le paiement de l’IS du groupe dans la limite de l’IS théorique qu’aurait versé la filiale si elle avait été imposée séparément, soit en en obtenant le remboursement), y compris lorsqu’elle a été acquise au titre du report de déficits antérieurs à l’intégration (par construction, sur des bénéfices également antérieurs).

Les créances nées du report en arrière des déficits des exercices clos jusqu'au 30 septembre 2009 ont, dans le cadre du plan de relance, fait l'objet d'un remboursement anticipé en 2009.

Selon les informations apportées par le Gouvernement au Rapporteur général, plus de 43 100 créances ont été remboursées pour un montant total de 5,2 milliards d’euros.

Les reports en avant sont, en France comme en Allemagne, illimités mais l’Allemagne prévoit :

– d’une part, une règle de plafonnement de l’imputation du déficit reportable à 60 % de la fraction du bénéfice de l’exercice excédant un million d’euros,

– d’autre part, la déchéance des déficits en cas de changement de contrôle de la société (déchéance totale lorsque plus de 50 % des parts de la société sont cédées dans les cinq ans et partielle lorsque plus de 25 % des parts sont cédées).

Il convient de noter que ces mécanismes de report sont particulièrement utilisés par les grandes entreprises. L’étude du Trésor précédemment citée estimait ainsi que l’écart d’utilisation par les PME et par les grandes entreprises expliquait pour 5 points l’écart de leurs taux implicites d’imposition respectifs.

Le compte général de l’État annexé au projet de règlement pour 2010 précise que les grandes entreprises relevant du régime normal d’imposition « pèsent pour près de 70 % du stock de déficit déclaré, pour 62 % des créations de déficits annuels et pour 71 % des consommations de déficit annuel » (63). En sens inverse, le compte général de l’État annexé au projet de règlement pour 2009 notait que « les petites et moyennes entreprises relevant du régime simplifié d’imposition, qui représentent en moyenne 57 % des entreprises françaises en nombre, ont en réalité pesé moins de 3 % du stock de déficit déclaré, et de l’ordre de 6 % des créations de déficit annuel et de 4 % des consommations de déficits annuels. » (64)

Le compte général de l’État annexé au projet de règlement pour 2010 estime le « stock final de déficit reportable en avant susceptible de générer à terme une moindre imposition » à « 160 milliards d’euros en base, soit 53 milliards d’euros de droit brut théorique » (65). Une part du stock total de déficit reportable en avant (que le même document estime à 315 milliards d’euros au 31 décembre 2010) est, en effet, détenue par des entreprises qui n’en tireront jamais parti, soit parce qu’elles disparaîtront, soit parce qu’elles sont chroniquement déficitaires.

Ces chiffres illustrent l’importance de l’enjeu puisque l’impact sur les droits du stock de déficits reportés en avant ayant vocation à s’imputer sur des résultats représente une à deux années de produit net de l’IS.

On notera, en outre, la dérive du montant du stock de déficit. Entre le 1er janvier 2007 (première estimation du montant des déficits reportables par le compte général de l’État) et le 31 décembre 2010, ce stock a, en effet, augmenté de 73 milliards d’euros.

En supposant une évolution homothétique de la fraction de ce stock susceptible de générer à terme une moindre imposition, on peut estimer à 37 milliards d’euros l’augmentation du stock de déficit susceptible de générer à terme une moindre imposition (et à 12,35 milliards d’euros les droits bruts théoriques correspondants).

La moitié de cette augmentation est intervenue au titre de l’exercice 2009, le plus marqué par la crise. Il n’en reste pas moins une tendance structurelle inquiétante à l’évolution du stock de déficits comme l’atteste le tableau ci-après.

(en milliards d’euros)

 

2007

2008

2009

2010 (p)

Solde net des déficits en report

+ 4

+ 10

+ 36

+ 23

Source : compte général de l’État.

Il est rappelé que le report en avant était, jusqu’à la loi de finances pour 2004, limité à cinq ans (66). Le Gouvernement avait alors chiffré le coût du passage à un droit illimité de report à 70 millions d’euros par an en année pleine.

Ce chiffre mériterait très certainement d’être sensiblement réévalué, les données du compte général de l’État établissant, de 2007 à 2010, une consommation annuelle du stock de déficit de début d’année de l’ordre de 10 % (67).

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