AGREMENT DE PLEIN DROIT ET AGREMENT DISCRETIONNAIRE

 

AGREMENT DE PLEIN DROIT ET AGREMENT DISCRETIONNAIRE

Par Olivier Fouquet

Président de Section (h) au Conseil d’Etat

Sur CE 7 mars 2012 Aff. STAR

Le ministre peut-il subordonner l'octroi d'un agrément pour bénéficier d'une aide fiscale à la condition que cette aide ait à l'égard du bénéficiaire un effet incitatif le conduisant à agir différemment?

 

Avril 2012

La décision du Conseil d’Etat du 7 mars 2012 n°337529, ministre du budget c/ Société de transport et d’assainissement de la Réunion (STAR), rendue aux excellentes conclusions de Vincent Daumas, pose une nouvelle fois la question de la dialectique de l’agrément fiscal de plein droit opposé à l’agrément discrétionnaire.

Nous avons consacré à cette question plusieurs conclusions et articles (voir notamment nos conclusions à la RJF 3/88 p.149 sur CE 24 février 1988 n°76603, min. c/ Sté de gestion et de participation du Rouvray, où nous avons explicité les critères de distinction entre les deux catégories d’agrément), et plus récemment la rubrique « Les agréments fiscaux » dans la dernière édition des grands arrêts de la jurisprudence fiscale, thème n°54.

La décision du 7 mars 2012 nous paraît emblématique des difficultés que rencontre l’administration dans la mise en œuvre des agréments de plein droit, dans la mesure où la sécurité juridique peut s’opposer à l’efficacité économique.

La définition de l’agrément en cause. 1

La question posée au conseil d’etat. 2

juridiquement, le ministre se battait à front renversé. 3

 

La définition de l’agrément en cause

1) L’agrément en cause devant le Conseil d’Etat était celui de l’article 217 undecies du CGI  (version 2005)qui permet aux entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés de déduire de leurs résultats imposables  une somme égale au montant, net de subvention, des « investissements productifs »  qu’elles réalisent dans certains secteurs d’activité des départements d’outre- mer. La Sté STAR a demandé au ministre un agrément  pour déduire de son résultat imposable (exercice 2005) une somme de 875 344€, correspondant à l’achat de biens d’équipement mobiliers destinés à être exploités  dans le cadre de son activité de collecte de déchets. Le ministre lui a délivré un agrément ne l’autorisant à déduire que 265 000€, au motif que, compte tenu de la situation financière favorable de l’entreprise, l’aide fiscale n’aurait pour elle aucun caractère incitatif.

La position du ministre était conforme à la doctrine administrative (instruction 4 H-2-07, BOI n°15 du 30 janvier 2007) qui précisait que « l’intérêt économique [de l’investissement] s’apprécie également au regard de l’effet incitatif de l’aide fiscale : celle-ci doit être nécessaire à la réalisation de l’investissement ». Autrement dit l’aide fiscale n’est accordée que dans la mesure où, en son absence, l’investissement envisagé n’aurait pas été réalisé.

Toutefois, la condition de l’effet incitatif de l’aide ne figure pas parmi les  nombreuses conditions auxquelles l’article 217 undecies du CGI subordonne l’octroi de l’agrément. Dès lors, le refus partiel du ministre, fondé sur une condition non prévue  par le législateur, était-il légal ? Saisi d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision de refus partiel d’agrément, le tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion, approuvé en appel par la cour administrative d’appel de Bordeaux, a annulé la décision du ministre en tant qu’elle limitait à 265000€ le montant déductible des investissements productifs. A vrai dire, nous ne sommes pas certain que la  formulation du dispositif du jugement soit orthodoxe, dans la mesure où l’agrément formant un tout indivisible (CE 16 avril 2010 n°322260: RJF 7/10 n°660), le juge aurait dû annuler le refus partiel d’agrément, à charge pour le ministre de se ressaisir du dossier et d’accorder l’agrément sollicité. Mais la question de l’indivisibilité de l’agrément n’ayant pas été soulevée devant les juges du fond, elle ne pouvait l’être d’office par le Conseil d’Etat qui s’est borné à qualifier en cassation l’agrément en cause.

 

La question posée au conseil d’etat

2) Le Conseil d’Etat a donc été saisi de la question de savoir si l’agrément de l’article 217 undecies du CGI était entièrement de plein droit ou comportait éventuellement un aspect discrétionnaire autorisant le ministre à se fonder son appréciation sur l’effet incitatif que l’aide fiscale avait en l’espèce.

Deux raisons militaient dans les sens de l’agrément de plein droit, comme l’a jugé le Conseil d’Etat.

La première tient à la rédaction de l’article 217 undecies qui, dans sa structure assez complexe, utilise l’indicatif pour indiquer que « la déduction s’applique … si les conditions suivantes sont réunies » ou encore que « l’agrément est délivré  lorsque l’investissement » répond à un certain nombre de conditions. Dans la grille d’analyse que nous avions proposée dans nos conclusions précitées (RJF 3/88 p. 149), ce type de rédaction ne laisse aucun espace à l’appréciation discrétionnaire du ministre : rapprocher CE 24 février 1988 n°76603 ; Sté de gestion et de participation du Rouvray : RJF 3/88 n°341 préc. ou CE 23 février 1994 n°124644, min c/ Sté Seram : RJF 5/94 n°611, ou encore CE 27 mars 1991 n°81655, SARL SOPAV : RJF 5/91 n°669.

La seconde raison tient au tournant qu’a pris la jurisprudence du Conseil d’Etat sous l’influence de la décision du Conseil constitutionnel du 30 décembre 1987, 87-237 DC. Cette décision avait  sans doute été inspirée par l’un de ses membres éminents du Conseil à l’époque, M. Simonnet  qui, dans un article antérieur sur « le contrôle juridictionnel des incitations fiscales » (AJDA 1968.275), avait fortement critiqué le caractère discrétionnaire des agréments. Selon le Conseil constitutionnel « l’exigence d’un agrément n’a pas pour conséquence de conférer à l’autorité ministérielle le pouvoir qui n’appartient qu’à la loi en vertu de l’article 34 de la Constitution, de déterminer le champ d’application d’un avantage fiscal ».

Il en résulte que même si le législateur n’a pas défini de façon précise les conditions de l’agrément, il revient au ministre, sous le contrôle du juge, de s’assurer que l’opération pour laquelle l’agrément est demandé, répond à l’objectif du législateur. Avec cette lecture neutralisante, l’agrément discrétionnaire disparait dans son principe, même s’il est clair que la marge d’interprétation du ministre est d’autant plus grande que le texte est moins précis.

Le Conseil d’Etat quant à lui n’a jamais renoncé au concept d’agrément discrétionnaire, dans la mesure où, à la différence du Conseil constitutionnel, il n’est pas juge de la constitutionnalité des lois. Cependant, saisi d’un recours contre un refus d’agrément discrétionnaire, il a tendance à « encadrer » celui-ci, conformément aux vœux du Conseil constitutionnel.

En se référant à l'objectif poursuivi par le législateur, il donne une interprétation économique de l’agrément qui ne résulte pas de la lettre des textes législatifs qui l’instituent: CE 29 novembre 2000 n°197319, SA Frappaz, RJF 2/01 n°162, chron. J. Maïa p. 99, concl. E. Mignon BDCF 2/01 n°23, obs. H. Bardet BGFE 1/01 p.11 ; CE 28 mai 2001 n°224807, min c/ Sté d’exploitation hôtelière de Bourbon : RJF n°8-9/01 n°1114, concl. G. Bachelier BDCF 8-9/01 n°114, obs. H. de Feydeau BGFE 4/01 p.5. Compte tenu de cette orientation jurisprudentielle, il y avait peu de chances que le Conseil d’Etat reconnaisse une marge discrétionnaire au ministre dans le cas d’un agrément rédigé incontestablement comme un agrément de plein droit.

juridiquement, le ministre se battait à front renversé

3) La thèse du ministre était cependant loin d’être absurde économiquement. A une époque où la RGPP (revue générale des politiques publiques) cherche à accroître l’efficacité des interventions économiques des personnes publiques, il parait  raisonnable de réserver les aides fiscales aux seuls projets qui ne verraient pas le jour sans leur octroi. Mais juridiquement, le ministre se battait à front renversé.

Alors qu’en matière d’agrément discrétionnaire le Conseil d’Etat invente des conditions économiques à l’octroi de l’agrément en se référant à l’objectif du législateur, le ministre demandait en l’espèce à la Haute juridiction d’inventer également une condition économique à ajouter, pour un agrément de plein droit, aux  seules conditions prévues par le législateur.

 Le non possumus du Conseil d’Etat est purement juridique.

Car on voit bien qu’au-delà de la dialectique  agrément de plein droit et agrément discrétionnaire, il existe un conflit entre la sécurité juridique et l’efficacité économique.

 

OLIVIER FOUQUET Avril 2012

 

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