CAA Nantes, 1re ch., 26 déc. 2013, n° 12NT02481, CRCAM de Normandie

 

 

CAA Nantes, 1re ch., 26 déc. 2013, n° 12NT02481, CRCAM de Normandie

 

 Une analyse sur la proportionalite des sanctions vue par le conseil constitutionnel

 

 

Source les cahiers de la jurisprudence de la CAA de NANTES N°9

 

26 décembre 2013 – 1ère chambre – n° 12NT02481 – Caisse régionale du Crédit Agricole Mutuel (CRCAM) de Normandie.

 

Infractions financières – Etablissements de crédit – « Amende fiscale » sanctionnant l’interdiction d'ouvrir ou de maintenir ouverts dans des conditions irrégulières des comptes bénéficiant d'une aide publique, notamment sous forme d'exonération fiscale, ou d'accepter sur ces comptes des sommes excédant les plafonds autorisés (articles 1739 du code général des impôts et L. 312‐3, devenu L. 221‐35 du code monétaire et financier) – Régularité de la procédure d’établissement de l’amende : oui – Compatibilité avec l’article 6§1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : oui.

 

I. Sont au nombre des « agents des administrations financières », compétents pour constater les infractions aux dispositions des articles 1739 du code général des impôts et L 221‐35 du code monétaire et financier et signer les procès‐verbaux, au sens et pour l’application des dispositions de l’article L. 221‐36 du même code, les inspecteurs de la direction des vérifications nationales et internationales (DVNI).

La circonstance qu’une telle infraction a été révélée par les traitements informatiques, prévus à l’article L. 47 A du livre des procédures fiscales, mis en oeuvre à l’occasion de la vérification de la comptabilité de la société requérante, ne vicie pas la procédure d’établissement de l’amende.

 

II. Si l'amende prévue à l’article 1739 du code général des impôts constitue une « accusation en matière pénale » au sens de l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, elle n’est pas incompatible avec les exigences de cet article.

 

Il est interdit aux établissements bancaires d'ouvrir ou de maintenir ouverts dans des conditions irrégulières des comptes bénéficiant d'une aide publique, notamment sous forme d'exonération fiscale (tels que le Livret A), ou d'accepter sur ces comptes des sommes excédant les plafonds autorisés. C’est ce que prévoient les dispositions identiques des articles 1739 du code général des impôts et L. 312‐3 devenu L. 221‐35 du code monétaire et financier, les infractions à ces dispositions étant punies, sans préjudice des sanctions disciplinaires qui peuvent être infligées par l'Autorité de contrôle prudentiel ou la Commission bancaire, « d'une amende fiscale dont le taux est égal au montant des intérêts payés, sans que cette amende puisse être inférieure à 75 euros ».

 

Ces infractions sont « constatées comme en matière de timbre » par « les comptables du Trésor » ou « les agents des administrations financières », les procès‐verbaux étant dressés « à la requête du ministre chargé de l’économie » en vertu de l’article L. 221‐36 du code monétaire et financier.

Saisie d’un appel contre le jugement par lequel le tribunal administratif de Caen avait rejeté la contestation de la Caisse régionale du Crédit Agricole Mutuel (CRCAM) de Normandie dirigée contre l’amende d’un montant de 332 180 euros qui lui avait été infligée en application de ces dispositions, la cour, estimant –implicitement– que cette amende revêtait les caractéristiques d’une sanction administrative dont le contentieux ressortit à la compétence du juge administratif et dont la contestation relève du plein contentieux (CE, Assemblée, 16 février 2009, Société Atom, n° 274000), a confirmé la décision des premiers juges.

 

D’autres cours sont saisies de jugements, aux solutions contrastées1, des tribunaux administratifs de Montreuil, Montpellier, Limoges et Clermont Ferrand, mais aucune n’a encore statué.

 

La question de fond posée par cette affaire était celle de la compatibilité d’une telle sanction avec les exigences de l'article 6§1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, aux termes duquel « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien‐fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (…) », s’agissant d’une pénalité à taux unique.

 

La cour a d’abord constaté que l’amende litigieuse constitue bien une « accusation en matière pénale » dès lors qu'elle présente le caractère d'une punition tendant à empêcher la réitération des agissements qu'elle vise à réprimer et n'a pas pour objet la seule réparation d'un préjudice, même si le législateur a laissé le soin de l’établir et de la prononcer à l'autorité administrative.

 

Puis, pour rejeter le moyen qui lui était soumis, la cour a, comme le tribunal administratif de Montreuil dans son jugement du 20 décembre 2012 (n° 1103406, CRCAM du Morbihan), fait application des critères dégagés par l’arrêt rendu par la CEDH le 7 juin 2012 dans l’affaire 4837/06, 5ème sect., Segame c/ France, qui confirme l’interprétation donnée par le Conseil d’Etat de ces stipulations dans sa décision du 27 juin 2008, Sté Segame, n° 301343, et relevé que :

 

‐ le juge administratif, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, décide, dans chaque cas, selon les résultats de ce contrôle, soit de maintenir l'amende infligée par l'administration, soit d'en prononcer la décharge et dispose, ainsi, d'un pouvoir de pleine juridiction ;

‐ les dispositions de l'article 1739 proportionnent le taux de l’amende, égal au montant des intérêts payés, à l’infraction que constitue le défaut de contrôle par l’établissement des conditions d’ouverture des comptes bénéficiant d'une aide publique ;

‐ eu égard à son objet, le montant de l’amende est nécessairement limité, d’une part, aux intérêts produits par les sommes placées sur des comptes ouverts ou maintenus ouverts dans des conditions irrégulières, et, d’autre part, aux intérêts produits par la part des placements qui excède le plafond autorisé sur ces comptes ;compte‐tenu de l’assiette ainsi retenue, le montant de cette amende ne revêt pas un caractère excessif, alors même que toute infraction constatée donnerait lieu à une amende d’un minimum de 75 euros, montant modeste au regard de la finalité de la sanction.

 

Cet arrêt a été frappé d’un pourvoi en cassation.

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