trusts le rapport CARREZ

Article 6

Imposition des biens ou droits composant un trust à l’impôt de solidarité sur la fortune et aux droits de mutation à titre gratuit

POUR IMPRIMER CLIQUER

texte du projet de loi :1

observations et décision de la commission :5

i.– l’imposition des mutations à titre gratuit7

a.– le nouveau régime spécifique aux trusts. 7

1.– la définition des trusts et de leurs constituants. 7

2.– l’imposition des transmissions des biens et droits placés dans un trust8

3.– la détermination légale d’un « constituant fiscal ». 10

b.– les modifications des règles communes. 11

1.– les règles de territorialité. 11

2.– la présomption de propriété. 11

ii.– l’imposition de la détention du patrimoine. 12

a.– l’inclusion dans l’assiette de l’isf du constituant12

b.– l’obligation de déclaration des trusts. 13

c.– le prélèvement sur les trusts. 14

1.– l’assiette : l’assiette « brute » de l’isf minorée des actifs imposables à l’isf régulièrement déclarés  14

a) l’assiette théorique. 14

b) l’exonération des biens taxables à l’isf régulièrement déclarés. 15

2.– un taux aligné sur le taux marginal de l’isf15

3.– les redevables et les modalités déclaratives et de recouvrement16

iii.– l’exonération des produits réinvestis. 16

iv.– l’entrée en vigueur17

 

 

le projet de loi avec alinea

 

Texte du projet de loi :

I.– Le code général des impôts est ainsi modifié :

A. Le 9° de l’article 120 est ainsi rédigé :

« 9° les produits distribués par un trust défini à l’article 792-0 bis, quelle que soit la consistance des biens ou droits placés dans le trust ; »

B. À l’article 750 ter :

1° Aux 1°, 2° et 3°, après les mots : « parts d'intérêts, » sont insérés les mots : « biens ou droits composant un trust défini à l’article 792-0 bis et produits qui y sont capitalisés, » ;

2° Au 3°, à la première phrase, les mots : « ou le légataire » sont remplacés par les mots : «, le légataire ou le bénéficiaire d’un trust défini à l’article 792-0 bis » ; à la seconde phrase, les mots : « ou le légataire » sont remplacés par les mots : « ou le bénéficiaire d’un trust ».

C. À l’article 752, après les mots : « fondateur ou bénéficiaires », sont insérés les mots : « biens ou droits placés dans un trust défini à l’article 792-0 bis ».

D. Après l’article 792, il est inséré un article 792-0 bis ainsi rédigé :

« Art. 792-0 bis.– I. – 1. Pour l’application du présent code, on entend par trust l’ensemble des relations juridiques créées, dans le droit d’un État autre que la France, par une personne, qui a la qualité de constituant, par acte entre vifs ou à cause de mort, en vue d’y placer des biens ou droits, sous le contrôle d’un administrateur, dans l’intérêt d’un ou de plusieurs bénéficiaires ou pour la réalisation d’un objectif déterminé.

« 2. On entend par constituant du trust, soit la personne physique qui l’a constitué soit, lorsqu’il a été constitué par une personne morale, la personne physique qui y a placé des biens ou des droits.

« II.– 1. La transmission par donation ou succession de biens ou droits placés dans un trust ainsi que des produits qui y sont capitalisés est, pour la valeur vénale nette des biens, droits ou produits concernés à la date de la transmission, soumise aux droits de mutation à titre gratuit en fonction du lien de parenté existant entre le constituant et le bénéficiaire.

« 2. Dans les cas où la qualification de donation et celle de succession ne s’appliquent pas, les biens, droits ou produits capitalisés placés dans un trust, qui sont transmis aux bénéficiaires au décès du constituant sans être intégrés à sa succession ou qui restent dans le trust après le décès du constituant, sont soumis aux droits de mutation par décès dans les conditions suivantes :

« a) Si, à la date du décès, la part des biens, droits ou produits capitalisés qui est due à un bénéficiaire est déterminée, cette part est soumise aux droits de mutation par décès selon le lien de parenté entre le constituant et le bénéficiaire ;

« b) Si, à la date du décès, une part déterminée des biens, droits ou produits capitalisés est due globalement à des descendants du constituant, cette part, nette de la part ou des parts mentionnées au a), est soumise à des droits de mutation à titre gratuit par décès au taux applicable à la dernière tranche du tableau I annexé à l’article 777 ;

« c) La valeur des biens, droits ou produits capitalisés placés dans le trust, nette des parts mentionnées aux a et b, est soumise à des droits de mutation à titre gratuit par décès au taux applicable à la dernière tranche du tableau III annexé à l’article 777.

« Les droits de mutation à titre gratuit mentionnés aux b) et c) sont acquittés et versés au comptable public compétent par l’administrateur du trust dans les délais prévus à l’article 641, à compter du décès du constituant.

« Par exception, lorsque l’administrateur du trust est soumis à la loi d’un État ou territoire non coopératif au sens de l’article 238-0 A ou lorsque, au moment de la constitution du trust, le constituant était fiscalement domicilié en France au sens de l’article 4 B, les droits de donation et les droits de mutation par décès sont dus au taux applicable à la dernière tranche du tableau III annexé à l’article 777.

« 3. Le bénéficiaire est réputé être un constituant du trust pour l’application du présent II, à raison des biens, droits et produits capitalisés placés dans un trust dont le constituant est décédé à la date de l’entrée en vigueur de la loi n° … du … de finances rectificative pour 2011 et à raison de ceux qui sont imposés dans les conditions prévues au 1 et au 2 ».

E. Après l’article 885 G bis, il est inséré un article 885 G ter ainsi rédigé :

« Art. 885 G ter.- Les biens ou droits placés dans un trust défini à l’article 792-0 bis ainsi que les produits qui y sont capitalisés sont compris, pour leur valeur vénale nette au 1er janvier de l’année d’imposition, selon le cas, dans le patrimoine du constituant ou dans celui du bénéficiaire qui est réputé être un constituant en application du II de l’article 792-0 bis : ».

F. L’article 990 J est ainsi rétabli :

« Art990 J.- I. – Les personnes physiques, constituants et bénéficiaires d’un trust défini à l’article 792-0 bis sont soumises à un prélèvement fixé au taux maximum du tarif prévu à l’article 885 U.

« II.– Le prélèvement ne s’applique pas aux trusts constitués en vue de gérer les droits à pension acquis, au titre de leur activité professionnelle, par les bénéficiaires dans le cadre d’un régime de retraite mis en place par une entreprise ou un groupe d‘entreprises.

« III.– Le prélèvement est dû :

« 1° Pour les personnes qui ont en France leur domicile fiscal au sens de l’article 4 B,  à raison des biens et droits situés en France ou hors de France et des produits capitalisés placés dans le trust ;

« 2° Pour les autres personnes, à raison des seuls biens et droits, autres que les placements financiers mentionnés à l’article 885 L, situés en France et des produits capitalisés placés dans le trust.

« Toutefois, le prélèvement n’est pas dû à raison des biens, droits et produits capitalisés lorsqu’ils ont été :

« a) Inclus dans le patrimoine, selon le cas, du constituant ou d’un bénéficiaire pour l’application des dispositions de l’article 885 G ter ;

« b) Déclarés en application de l’article 1649 AB, dans le patrimoine d’un constituant ou d’un bénéficiaire réputé être un constituant en application du 2 du I de l'article 792-0 bis, dans les cas où le constituant, ou le bénéficiaire, n’est pas redevable de l’impôt de solidarité sur la fortune compte tenu de la valeur nette taxable de son patrimoine, celui-ci incluant les biens, droits et produits capitalisés placés dans le trust.

« Le prélèvement est assis sur la valeur vénale nette au 1er janvier de l’année d’imposition des biens et droits et produits capitalisés composant le trust.

« La consistance et la valeur des biens, droits et produits capitalisés placés dans le trust sont déclarées et le prélèvement est acquitté et versé au comptable public compétent par l’administrateur du trust au plus tard le 15 juin de chaque année. À défaut, le constituant et les bénéficiaires, autres que ceux mentionnés aux a) et b) du présent article, ou leurs héritiers, sont solidairement responsables du paiement du prélèvement.

« Le prélèvement est assis et recouvré selon les règles et sous les sanctions et garanties applicables aux droits de mutation par décès. »

G. Après l’article 1649 AA, il est inséré un article 1649 AB ainsi rédigé :

« Art. 1649 AB.- L’administrateur d’un trust défini à l’article 792-0 bis dont le constituant ou l’un au moins des bénéficiaires a son domicile fiscal en France, ou qui comprend un bien ou un droit qui y est situé, est tenu d'en déclarer la constitution, la modification ou l'extinction, ainsi que le contenu de ses termes.

« Il déclare également la valeur vénale au 1er janvier de l’année des biens, droits et produits entrant dans le champ du prélèvement mentionné à l’article 990 J.

« Les modalités d'application du présent article sont fixées par décret. »

H. Après le IV de l'article 1736, il est inséré un IV bis ainsi rédigé :

« IV bis. Les infractions aux dispositions de l'article 1649 AB sont passibles d'une amende de 10 000 € ou, s'il est plus élevé, d'un montant égal à 5 % des biens ou droits placés dans le trust ainsi que des produits qui y sont capitalisés. »

I.– Le V de l’article 1754 est complété par un 8 ainsi rédigé :

« 8. Le constituant et les bénéficiaires qui sont dans le champ du prélèvement de l’article 990 J sont solidairement responsables avec l’administrateur du trust du paiement de l'amende prévue au IV bis de l'article 1736. »

II.– À l’article L. 19 du livre des procédures fiscales, après le mot : « créances », sont insérés les mots : « ainsi que des biens ou droits placés dans un trust défini à l’article 792-0 bis et des produits qui y sont capitalisés. »

III.– Les B, C et D du I et le II s’appliquent aux donations consenties et pour des décès intervenus à compter de la publication de la présente loi.

Exposé des motifs du projet de loi :

Le présent article vise à confirmer et compléter le régime fiscal des trusts et des institutions juridiques de droit étranger comparables en matière de droits de mutation à titre gratuit et d’impôt de solidarité sur la fortune.

Compte tenu de la singularité des concepts mis en œuvre par les droits étrangers qui connaissent le trust, le régime fiscal de ce dernier n’est pas toujours clair. Certes, la jurisprudence reconnaît la validité de trusts constitués à l’étranger, mais il n’est pas toujours possible de qualifier les relations juridiques caractéristiques du trust au regard des catégories juridiques de droit interne pour en déduire la fiscalité applicable.

Cette situation est source d’insécurité juridique pour les personnes qui ont constitué un trust et / ou qui en sont bénéficiaires, notamment pour celles qui souhaitent s’installer en France et qui ont eu recours à un trust pour organiser la gestion ou la transmission de leur patrimoine.

Par ailleurs, les éléments d’incertitude sur le régime fiscal des trusts sont de nature à faciliter les usages de cet instrument à des fins d’évasion fiscale. Il en résulte un traitement inéquitable des contribuables selon le mode de gestion de leur patrimoine.

La situation actuelle est donc très insatisfaisante, tant du point de vue du contribuable que de l’effectivité de l’imposition du patrimoine.

Au vu de ces constats, le présent article propose de :

1° préciser le régime fiscal des transmissions à titre gratuit réalisées via un trust, d’une part en confirmant les règles de taxation actuellement applicables, d’autre part en créant des règles de taxation pour certaines situations spécifiques.

Ainsi, le présent article :

– confirme que les transmissions à titre gratuit réalisées via un trust et qui peuvent être qualifiées de donation ou succession sont soumises aux droits de mutation existants (selon le cas : droits de donation ou de succession) compte tenu du lien de parenté existant entre le constituant et le bénéficiaire. Cette règle de taxation s’applique aux biens et droits ainsi qu’aux produits capitalisés dans le trust et transmis par donation ou succession ;

La présomption de propriété posée par l’article 752 du code général des impôts est complétée pour tenir compte des actifs détenus dans un trust.

– crée une règle de taxation aux droits de mutation par décès, applicable au décès du constituant. Lorsque la qualification de donation ou succession ne peut pas être retenue et qu’en conséquence les droits de mutation à titre gratuit ne peuvent pas être appliqués selon les règles de droit commun, des droits de mutation par décès spécifiques seraient désormais appliqués, que les biens, droits ou produits capitalisés soient transmis au décès du constituant ou à une date postérieure.

Il s’agirait d’une règle fiscale sans incidence sur la qualification de la transmission intervenant au décès ou à une date postérieure et dont les modalités dépendraient de la part revenant aux bénéficiaires vivants ou futurs du trust :

– lorsqu’à la date du décès, la part d’un bénéficiaire est déterminée, elle serait taxée aux droits de mutation par décès en fonction de son lien de parenté avec le constituant défunt ;

– dans le cas où la part revenant aux bénéficiaires ne peut pas être déterminée pour chacun d’entre eux à la date du décès, des droits de mutation à titre gratuit sui generis seraient dus au décès du constituant, au taux maximum applicable en ligne directe sur la part des biens, droits et produits capitalisés qui a vocation à être transmise à des descendants du constituant et au taux de 60 % sur les autres biens, droits et produits restant dans le trust. Dans ce cas, les droits de mutation par décès seraient acquittés par le trustee.

En application de l’article 750 ter du CGI, ces droits seraient dus soit lorsque le défunt a son domicile fiscal en France au sens de l’article 4 B, soit lorsque les biens mis en trust sont situés en France.

Par la suite, si les biens et droits restent dans le trust de génération en génération, la taxation est opérée selon les mêmes modalités entre les bénéficiaires successifs.

Enfin, dans le cas particulier de trusts constitués selon le régime juridique prévu par la loi d’un État ou territoire non coopératif, ou lorsque le constituant était domicilié en France lors de la constitution du trust, le tarif applicable aux donations et au titre des droits de mutation par décès serait un taux unique de 60 %.

2° concernant l’imposition de la détention du patrimoine :

– créer une règle de taxation sui generis du constituant et des bénéficiaires sur l’ensemble des biens, droits ou produits capitalisés composant le trust.

Ce prélèvement serait dû, au taux de 0,50 % prévu pour l’ISF, par les bénéficiaires du trust et le constituant et il serait acquitté et versé au comptable public compétent par le trustee. En cas de défaillance du trustee, le constituant et les bénéficiaires seraient solidairement responsables du paiement de l’impôt ;

– prévoir que ce prélèvement sui generis n’est pas applicable à raison des biens, droits ou produits capitalisés placés dans le trust qui ont été inclus dans le patrimoine du constituant ou d’un bénéficiaire pour l’imposition à l’ISF, quand le constituant ou le bénéficiaire est redevable de l’ISF, ou ont été régulièrement déclarés, quand le constituant ou le bénéficiaire n’est pas redevable de l’ISF, y compris après que les biens, droits et produits capitalisés concernés ont été intégrés dans le patrimoine.

Il est précisé que, dans ce cas, le constituant du trust bénéficie des régimes de faveur prévus en matière d'ISF, notamment celui prévu pour les nouveaux résidents de France qui n’ont pas été domiciliés en France pendant les cinq années précédant leur installation. Ces derniers sont imposables à raison de leurs seuls biens situés en France pendant les cinq années suivant celle de leur installation en France.

Observations et décision de la Commission :

Né, d’après certaines sources, afin d’organiser la gestion du patrimoine des chevaliers britanniques partis à la croisade et inspiré d’une institution du droit islamique, le waqf, elle-même héritière du droit romain, le trust est une institution juridique constituée par l’ensemble des relations juridiques résultant de la décision (irrévocable ou pas) d’une personne créant le trust (le constituant ou settlor) de confier des biens à un tiers (le gestionnaire ou trustee) qui les contrôle (de manière discrétionnaire ou encadrée) dans l’intérêt d’un bénéficiaire (ou dans un but déterminé, par exemple caritatif) éventuellement avant d’en transférer la propriété, et éventuellement sous conditions, à un attributaire (une même personne pouvant être constituant, bénéficiaire et/ou attributaire).

Le trust n’est pas une entité juridique et n’a pas de personnalité morale. Il ne s’agit pas non plus d’un contrat dont il diffère notamment parce qu’il ne suppose pas d’acceptation du bénéficiaire et parce qu’il ne permet, en principe, pas au constituant d’agir en justice contre le gestionnaire, possibilité dont bénéficie, en revanche, le bénéficiaire.

Le trust est fréquemment utilisé, dans le monde anglo-saxon, non seulement pour raisons fiscales, mais également pour transmettre un patrimoine, notamment des parts d’une entreprise familiale, en en assurant le maintien dans le cercle familial sur plusieurs générations (alors qu’un « vrai » legs permettrait notamment aux légataires d’aliéner les biens). Outre ces trusts dits familiaux ou dynastiques, une autre utilisation traditionnelle est le trust caritatif qui se distingue de la fondation (qui suppose une donation classique) notamment parce qu’il permet au constituant de conserver à son profit (ou à celui d’un tiers qu’il choisit) des revenus issus des biens placés dans le trust.

Reconnus par de nombreux droits étrangers, les trusts n’ont pas d’équivalent réel dans notre droit. La fiducie du droit français, créée en 2007 et inspirée des trusts, se distingue, en effet, fondamentalement de ceux-ci par le fait qu’il s’agit, en principe, d’un contrat, accepté par le bénéficiaire et par l’interdiction, qui est d’ordre public, des contrats de fiducie procédant d’une intention libérale au profit du bénéficiaire (article 2013 du code civil). Les trusts étrangers n’ont, au surplus, pas de reconnaissance légale en droit français (39).

Pour autant, les trusts existent, détiennent des biens et versent des revenus et le droit fiscal français ne pouvait donc pas ne pas en tenir compte.

Le législateur fiscal s’est donc saisi à plusieurs reprises de la question. Outre des dispositions de portée générale visant toute forme d’entité et notamment les trusts (par exemple, la règle d’imposition en transparence de bénéfices de certaines entités soumise à un régime fiscal privilégié figurant à l’article 123 bis du code général des impôts ainsi que la règle comparable s’agissant des entreprises figurant à l’article 209 B), les trusts sont spécifiquement visés par deux dispositions du code général des impôts :

– l’article 238 bis-0 I qui concerne la fiscalité des entreprises et prévoit, sous certaines conditions, d’intégrer dans le résultat imposable les résultats provenant de la gestion ou de la disposition d’actifs transférés hors de France et notamment ceux placés dans un trust,

– l’article 120 qui qualifie de revenus de capitaux mobiliers de source étrangère les « produits des " trusts " quelle que soit la consistance des biens composant ces trusts ».

Ces dispositions concernent donc l’imposition des revenus ou des bénéfices. En revanche, il n’existe pas de disposition législative spécifique s’agissant de l’imposition de la propriété. Pourtant, c’est notamment à cet égard que l’existence des trusts, dont le propre est justement de ne pas rentrer dans nos catégories juridiques en matière de droit de propriété, crée une difficulté pour notre droit fiscal qui taxe la détention (au titre de l’impôt de solidarité sur la fortune) et le transfert (au titre des droits de mutation à titre gratuit) de la propriété.

Jusqu’à présent, l’administration a cherché à résoudre cette difficulté de manière pragmatique en recherchant, sous le contrôle du juge, dans quelle mesure des opérations faisant intervenir un trust pouvaient être considérées comme des opérations taxables au regard des catégories traditionnelles de notre droit.

Le présent article vise, d’une part, à conforter les solutions ainsi dégagées s’agissant de ce que l’on peut appeler les cas « simples » où la présence du trust ne fait pas obstacle à l’application des règles actuelles de notre droit fiscal et, d’autre part et surtout, à traiter les cas plus complexes par la création de régimes d’imposition spécifiques au titre de la détention et de la transmission des patrimoines placés dans des trusts.

À cette fin, il comprend principalement trois ensembles de dispositions :

– des dispositions relatives aux mutations à titre gratuit (alinéas 4 à 18),

– des dispositions relatives à l’imposition de la détention des biens placés dans un trust, au titre, d’une part, de l’impôt sur la fortune et, d’autre part, d’un prélèvement ad hoc nouveau (alinéas 19 à 32),

– des obligations déclaratives nouvelles (alinéas 33 à 38).

I.– L’IMPOSITION DES MUTATIONS À TITRE GRATUIT

Le présent article propose, d’une part, de créer, au sein du code général des impôts, un nouvel article 792-0 bis créant un régime de taxation spécifique des mutations à titre gratuit concernant des biens placés dans un trust et, d’autre part, de modifier les règles générales de territorialité et de présomption de propriété en matière de droits de mutation à titre gratuit (DMTG).

A.– LE NOUVEAU RÉGIME SPÉCIFIQUE AUX TRUSTS

Les alinéas 8 à 18 du présent article créent un nouvel article 792-0 bis comprenant deux paragraphes, le premier définissant les trusts et leur constituant et le second réglant l’imposition des biens ou droits qui sont placés au titre des DMTG.

1.– La définition des trusts et de leurs constituants

L’alinéa 9 propose de définir le trust au sens du droit fiscal français. Le trust est défini comme « l’ensemble des relations juridiques créées, dans le droit d’un État autre que la France, par une personne, qui a la qualité de constituant, par acte entre vifs ou à cause de mort, en vue d’y placer des biens ou droits, sous le contrôle d’un administrateur, dans l’intérêt d’un ou de plusieurs bénéficiaires ou pour la réalisation d’un objectif déterminé ».

La définition proposée reprend celle figurant à l’article 2 de la convention de La Haye du 1er juillet 1985 relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance, qui n’a pas été ratifiée par la France et n’appelle pas de commentaire particulier.

L’alinéa 10 définit, pour sa part, le constituant du trust. Il s’agit de la personne physique ou, lorsqu’il a été constitué par une personne morale, de la personne physique qui a placé dans le trust des biens ou des droits.

L’objet de cet alinéa, et le seul intérêt de la définition qu’il propose, est de permettre à l’administration d’appréhender la réalité économique d’un trust sans qu’une apparence juridique puisse lui être opposée. En pratique, il s’agit de viser le cas où le constituant d’un trust, seul à apparaître dans l’acte de trust, est une personne morale, par exemple une société de gestion de patrimoine, et où celle-ci agit, en réalité, comme mandataire d’une personne physique du patrimoine de laquelle sont issus les biens placés, directement ou indirectement, dans le trust.

2.– L’imposition des transmissions des biens et droits placés dans un trust

Les alinéas 11 à 18 organisent la taxation des actifs placés dans un trust au décès de son constituant.

L’alinéa 11 rappelle l’état du droit dans les cas où la transmission des biens et droits placés dans un trust constitue, au regard du droit fiscal français, une donation ou une mutation par décès.

Dans ce cas, le patrimoine transmis, incluant les produits capitalisés des biens initialement placés dans le trust, sera taxé à sa valeur vénale nette à la date de la transmission dans les conditions de droit commun, à un taux dépendant du lien de parenté liant le constituant et le bénéficiaire.

Dans le cas où le bénéficiaire serait, par ailleurs, un héritier ou un légataire du constituant du trust, il conviendrait, pour éviter tout effet d’aubaine, que cette disposition soit interprétée comme organisant le rapport fiscal de l’actif du trust transmis à la part taxable « de droit commun » de l’héritier (afin de maintenir la progressivité du barème et de ne pas faire jouer à deux reprises les abattements personnels).

Les alinéas 12 à 17 règlent les autres cas, à savoir ceux où la donation ou la transmission par décès ne peut être établie. Ces alinéas établissent le décès du constituant comme le fait générateur d’une nouvelle imposition ad hoc qui vise, en quelque sorte, à « approximer » le droit commun des successions. Il convient de noter que cette solution écarte implicitement une voie alternative qui aurait été de présumer une donation à la constitution.

Trois cas sont distingués.

a) la transmission d’une part déterminée à un bénéficiaire unique

Est visé le cas où la part due à un bénéficiaire est déterminée à la date du décès. L’alinéa 13 prévoit alors l’imposition aux droits de mutation par décès applicables au regard du lien de parenté entre le constituant et le bénéficiaire.

Comme dans le cas précédent, il conviendrait également, dans un souci d’équité, de comprendre ce renvoi aux droits de mutation par décès comme ayant pour effet d’ajouter les sommes concernées à l’éventuelle part taxable du bénéficiaire héritier.

b) la transmission d’une part indivise à plusieurs bénéficiaires du constituant

Le deuxième cas est celui dans lequel une part déterminée à la date du décès est due « collectivement » à des descendants sans qu’elle soit individualisée (et donc sans qu’il soit possible de la répartir entre eux pour l’application du barème), cas dans lequel l’alinéa 13 prévoit l’imposition au taux marginal du barème en ligne directe (que le présent projet de loi propose de porter à 45 %).

Il convient de noter que la rédaction ne couvre que le cas où les bénéficiaires seraient des descendants du constituant. Les autres hypothèses, y compris celles où le bénéficiaire serait un époux ou ascendant du constituant, seront donc couvertes par le troisième cas.

c) la taxation par défaut du solde de l’actif

Ce troisième cas, qui est, en quelque sorte, l’hypothèse « balai » de taxation par défaut de l’actif net du trust correspondra, en pratique :

– soit à l’hypothèse où il n’y a pas de transmission et où les biens restent dans le trust au décès du constituant,

– soit à l’hypothèse où il y a transmission sans part individuelle déterminée (cas 1) à des bénéficiaires autres que des descendants du constituant (cas 2).

Il est alors prévu la taxation au taux marginal des droits de succession applicables en ligne collatérale et entre non-parents (soit 60 %).

Ces règles sont présentées de manière synthétique dans le tableau ci-après.

       

Sort des actifs au décès du constituant

Taxation

Actif transmis

Part déterminée d’un bénéficiaire

Constituant une donation ou une succession

DMTG de droit commun

Ne constituant pas une donation ou une succession

DM par décès de droit commun

Part déterminée « collective » de plusieurs descendants

45 %

Autres cas

60 %

Actif demeurant le trust

 

60 %

Un exemple permettra d’illustrer le fonctionnement de ces nouvelles règles. Soit un trust dont l’actif net (biens, droits et capitalisés qui y sont placés) vaut 1 000 à la date du décès de son constituant :

– un bénéficiaire A enfant du constituant reçoit 100. Il est, par ailleurs, héritier du constituant et les biens reçus du trust s’ajoutent à sa part successorale. La taxation dépend du montant de celle-ci (application de l’alinéa 11 – règles normales de succession),

– un bénéficiaire B sans lien de parenté avec le constituant et qui n’en est pas héritier reçoit 100. Cette somme, minorée de l’abattement de 1 594 euros, est taxée à 60 % (application de l’alinéa 13 – taxation ad hoc selon les règles des droits de mutation applicables en fonction du lien de parenté),

– le bénéficiaire A et sa soeur bénéficiaire C reçoivent, de manière indivise, 200. Cette somme est taxée à 45 % (application de l’alinéa 14 – part déterminée due globalement à des descendants),

– les bénéficiaires A et C et leur mère, épouse du constituant, bénéficiaire D, reçoivent de manière indivise, 200. Cette somme est taxée à 60 % (application de l’alinéa 15 – taxation par défaut en l’absence d’autre règle applicable),

– le solde de l’actif, soit 400, demeure dans le trust ou est transmis à un bénéficiaire indéterminé. Cette somme est taxée à 60 % (application de l’alinéa 15 – taxation par défaut en l’absence d’autre règle applicable).

L’alinéa 16 précise que les droits de mutation ad hoc créés par le présent article codifié (dans les cas où il n’y a pas transmission d’une part déterminée au profit d’un bénéficiaire) doivent être acquittés par l’administrateur du trust dans les délais déclaratifs de droit commun des droits de mutation par décès (six mois en cas de décès en France métropolitaine, un an dans les autres cas).

À la différence des dispositions du présent article relatives à l’amende en cas de défaut de déclaration des trusts et au paiement du nouveau prélèvement sur les trusts, il n’est pas prévu de responsabilité solidaire des bénéficiaires pour le paiement de ces droits alors même que l’administrateur sera, par construction, résident d’un État étranger et que cet État ne sera pas nécessairement lié à la France par une convention d’assistance en matière de recouvrement.

L’alinéa 17 prévoit que, par dérogation aux dispositions précédentes, le taux marginal des droits de succession applicables en ligne collatérale et entre non-parents (soit 60 %) s’applique, dans tous les cas, si :

– soit le trust est administré depuis un État ou territoire non coopératif ;

– soit le constituant du trust était, au moment de la constitution, fiscalement domicilié en France.

3.– La détermination légale d’un « constituant fiscal »

Comme on l’a vu, il est prévu de taxer au décès du constituant l’actif restant dans le trust. Dans l’hypothèse d’un trust « dynastique », cette taxation, qui se substitue aux DMTG de droit commun, doit intervenir à chaque génération. Afin de le garantir, l’alinéa 18 prévoit de considérer, pour l’application de la taxation proposée, le bénéficiaire d’un trust dont le constituant originel est décédé comme le « nouveau » constituant.

Deux cas de figure sont envisagés.

Pour l’avenir, il est prévu de considérer le bénéficiaire d’un trust dont les produits auront été imposés en application du nouveau dispositif proposé (ce qui, par construction, suppose le décès du constituant) comme devenant « constituant à la place du constituant ».

Pour le stock, c’est-à-dire les trusts dont le constituant est déjà décédé (à la date d’entrée en vigueur de la présente loi de finances rectificative), il est également prévu d’assimiler le bénéficiaire au constituant. Il convient de noter qu’il en résulte que la transmission dont a, par construction, bénéficié cet actuel bénéficiaire au décès du « vrai » constituant et qui n’a, en principe, pas été taxée puisque l’actif est demeuré dans le trust, ne le sera donc jamais. En d’autres termes, il n’est pas prévu de taxer rétroactivement les transmissions résultant du décès de constituants de trusts intervenus avant l’entrée en vigueur de la loi.

Sur le plan pratique, on peut s’interroger sur le fonctionnement de cette règle dans l’hypothèse, probablement fréquente, d’une pluralité de bénéficiaires dont découlera une pluralité de « constituants par détermination de la loi » et, à la lettre du texte, une taxation à 60 % de l’actif demeurant dans le trust au décès de chacun d’entre eux, décès qui provoquera, au surplus, la création de « constituants par détermination de la loi » supplémentaires.

B.– LES MODIFICATIONS DES RÈGLES COMMUNES

1.– Les règles de territorialité

Les alinéas 4 à 6 adaptent aux trusts les règles de territorialité applicables en matière de DMTG qui figurent à l’article 750 ter du code général des impôts.

Il est rappelé que les DMTG s’appliquent, sous réserve des conventions fiscales :

– sur les biens français et étrangers des donateurs ou défunts domiciliés fiscalement en France,

– sur les biens français des donateurs ou défunts non-résidents,

– sur les biens français et étrangers reçus par les héritiers, donataires ou légataires domiciliés fiscalement en France à la condition qu’ils l’aient été pendant au moins six des dix années précédant celle au cours de laquelle ils reçoivent les biens.

Le présent article propose deux modifications.

La première, prévue par l’alinéa 5, précise que les biens et droits composant un trust (y compris les produits capitalisés) font partie des biens auxquels s’appliquent ces règles de territorialité.

La seconde, opérée par l’alinéa 6, rend les DMTG applicables à raison de la résidence fiscale en France du bénéficiaire d’un trust, y compris donc quand il ne peut être considéré comme un héritier ou un donataire. Cette disposition conditionne l’application des nouvelles règles de taxation des actifs maintenus dans les trusts ou transmis selon des modalités qui ne peuvent être assimilées à une donation ou à une succession.

2.– La présomption de propriété

L’alinéa 7 vise à étendre la présomption de propriété posée par l’article 752 du code général des impôts aux biens ou droits placés dans un trust.

En l’état du droit, cet article dispose que les valeurs mobilières dont le défunt « a eu la propriété ou a perçu les revenus ou à raison desquelles il a effectué une opération quelconque moins d’un an avant son décès » sont présumées faire partie de sa succession jusqu’à preuve contraire.

Par coordination, l’alinéa 41 modifie l’article L. 19 du livre des procédures fiscales pour étendre symétriquement le champ du contrôle des actes de succession par l’administration.

II.– L’IMPOSITION DE LA DÉTENTION DU PATRIMOINE

En matière d’impôt sur la fortune, les trusts posent des difficultés juridiques substantielles compte tenu des incertitudes qu’ils créent sur le propriétaire des biens, droits et produits capitalisés qui y sont placés.

L’état du droit, qui résulte des solutions dégagées par des jurisprudences récentes (40), aboutit à :

– exclure le rattachement des biens placés dans le trust au patrimoine du bénéficiaire lorsque l’administration n’est pas en mesure d’apporter la preuve qu’il détient des droits réels sur ces biens,

– rattacher les biens placés dans le trust au patrimoine du constituant lorsqu’il s’agit d’un trust révocable et que l’acte de trust permet au constituant de rentrer en possession de biens placés dans le trust à tout moment.

En pratique et a contrario, ces solutions jurisprudentielles, dont la logique n’est pas contestable à l’égard de notre droit, conduisent à ne rattacher les actifs ni au patrimoine du bénéficiaire, ni à celui du constituant dans le cas d’un trust irrévocable et discrétionnaire.

Il en résulte un état du droit ouvrant des possibilités importantes d’évasion fiscale, y compris au titre de biens dont le constituant ne se dessaisit en réalité pas mais conserve la propriété réelle au travers de conventions avec l’administrateur du trust dissimulées à l’administration.

Le présent article propose, en conséquence, trois modifications :

– le rattachement des biens placés dans un trust au patrimoine du constituant par détermination de la loi,

– la création d’une nouvelle obligation de déclaration des trusts,

– la création d’une taxation ad hoc ayant, de fait, vocation à constituer une incitation à la déclaration régulière des biens placés dans un trust.

A.– L’INCLUSION DANS L’ASSIETTE DE L’ISF DU CONSTITUANT

L’alinéa 20 crée un nouvel article 885 G ter au sein du code général des impôts, prévoyant que les biens placés dans un trust, y compris les produits capitalisés, sont compris dans le patrimoine du constituant (et, le cas échéant, du bénéficiaire « constituant par détermination de la loi ») pour leur valeur vénale nette au 1er janvier de l’année d’imposition.

Cette règle, très similaire à celle prévue par l’article 885 G bis s’agissant des biens transférés dans un patrimoine fiduciaire, a le mérite d’une grande simplicité, notamment parce qu’elle rend l’assiette de l’impôt totalement indépendante du contenu de l’acte de trust. Il ne s’agit, en effet, pas d’une présomption de propriété simple, qui pourrait, le cas échéant, être combattue notamment au regard de l’acte de trust, mais d’une présomption irréfragable (ou plus précisément d’une détermination légale de l’assiette).

Il convient de noter que cette disposition aura, en revanche, pour conséquence a contrario de ne jamais permettre le rattachement des biens placés dans un trust au patrimoine du bénéficiaire (sauf lorsqu’il sera, au décès du constituant originel, assimilé à un constituant), y compris dans les circonstances où la réalité de la gestion du trust conduirait à pouvoir établir la propriété du bénéficiaire.

Compte tenu des règles de territorialité applicables en matière d’ISF et sous réserve des conventions fiscales, il en résultera :

– la taxation à l’ISF des biens placés dans un trust dont le constituant est résident fiscal français, quel que soit le lieu de situation de ces biens ou des actifs sous-jacents,

– la taxation à l’ISF des biens (à l’exception des placements financiers) situés en France et placés dans un trust dont le constituant n’est pas résident fiscal français.

B.– L’OBLIGATION DE DÉCLARATION DES TRUSTS

Les alinéas 33 à 36 créent une nouvelle obligation fiscale de déclaration des trusts, codifiée dans un nouvel article 1649 AB et sanctionnée par les alinéas 37 à 38 qui créent une amende en cas de défaut ou d’omission de déclaration.

L’obligation déclarative pèse sur l’administrateur d’un trust dès lors que les biens qui y sont placés peuvent être taxables par la France, ce qui est possible dans trois cas :

– la résidence fiscale en France du constituant (au titre de l’année de déclaration) ;

– la résidence fiscale en France de l’un des bénéficiaires (également au titre de l’année de déclaration) ;

– l’existence dans son actif de biens ou droits situés en France.

La déclaration porte sur :

– la constitution, la modification ou l’extinction du trust ;

– le contenu de ses termes (qu’il convient de comprendre comme le contenu de l’acte de trust et, le cas échéant, des éventuelles stipulations complémentaires régissant le fonctionnement du trust) ;

– la valeur vénale au 1er janvier de l’année de certains des biens et droits placés et de leurs produits capitalisés.

Les biens et droits devant être déclarés sont ceux entrant dans le champ du nouveau prélèvement sur les trusts (lequel exclut paradoxalement de son assiette certains biens déclarés dans le cadre de la présente obligation déclarative, l’articulation entre les deux dispositifs apparaissant donc perfectible).

L’alinéa 38 sanctionne les infractions aux dispositions régissant cette obligation déclarative (donc le défaut de déclaration ou les omissions déclaratives) d’une amende égale à 10 000 euros ou, si ce montant est plus élevé, à 5 % de l’actif du trust.

L’alinéa 40 dispose que cette amende est due solidairement par l’administrateur et par le constituant et les bénéficiaires du trust.

Cette amende constitue une incitation extrêmement forte à la révélation complète à l’administration des trusts, compte tenu de son niveau (le taux de 5 % étant le décuple du taux marginal de l’ISF) et de son assiette (l’intégralité de l’actif du trust, indépendamment de toute considération quant à la nature et à la situation des biens – notamment sur leur caractère taxable ou non à l’ISF du point de vue de la territorialité ou des règles d’exonération propres à cet impôt – et quant à la répartition éventuelle des droits sur le trust entre les personnes intéressées).

C.– LE PRÉLÈVEMENT SUR LES TRUSTS

Les alinéas 21 à 36 créent, au sein du code général des impôts, un nouvel article 990 J instituant une taxation spécifique sur les biens placés dans des trusts.

Ce nouvel impôt est qualifié de prélèvement mais n’est pas davantage nommé. Dans un souci de précision, le présent rapport le qualifie de prélèvement sur les trusts.

Le prélèvement sur les trusts a pour objet de principal de se substituer à l’ISF en sanctionnant (comme une majoration spécifique de droits aurait pu également le faire) le défaut de révélation au titre de l’ISF des biens placés dans un trust. Il en résulte une assiette originale définie pour l’essentiel « en creux » de l’assiette régulièrement déclarée au titre de l’ISF.

1.– L’assiette : l’assiette « brute » de l’ISF minorée des actifs imposables à l’ISF régulièrement déclarés

a) L’assiette théorique

L’assiette du prélèvement sur les trusts sera :

– l’ensemble des biens (situés en France et hors de France), y compris les produits capitalisés placés dans le trust pour les constituants et bénéficiaires résidents fiscaux français,

– les biens placés dans le trust (autres que les placements financiers au sens de l’assiette de l’ISF) situés en France et les produits capitalisés pour les constituants et bénéficiaires non-résidents.

Cette assiette correspond à celle résultant des règles de territorialité de l’ISF. Les exonérations applicables en matière d’assiette de l’ISF (en particulier, les exonérations dépendant de la nature des biens) ne seront, en revanche, pas applicables s’agissant du prélèvement sur les trusts dont l’assiette s’apparente à une assiette ISF « brute ».

Une exonération spécifique est toutefois introduite par l’alinéa 23 au titre des trusts constitués en vue de gérer les droits à pension acquis dans le cadre de leur activité professionnelle par des bénéficiaires. Cette hypothèse correspond aux trusts créés par des entreprises au bénéfice de leurs dirigeants et salariés et de leurs anciens dirigeants et salariés. Il convient de noter que les biens et droits correspondants demeurent naturellement imposables à l’ISF.

L’assiette du prélèvement sur les trusts sera évaluée comme en matière d’ISF, à la valeur vénale nette des biens au 1er janvier.

b) L’exonération des biens taxables à l’ISF régulièrement déclarés

Le prélèvement sur les trusts ne sera pas dû à raison de la fraction de l’assiette :

– retenue dans l’assiette de l’ISF d’un constituant ;

– déclarée (dans le cadre de la nouvelle déclaration spécifique des trusts dont la création est proposée par le présent article, cf. ci-dessus) et non taxable à l’ISF.

En d’autres termes, le prélèvement n’a vocation à frapper que des biens qui n’auront pas été régulièrement déclarés à l’administration.

Compte tenu de cette intention, il conviendra d’interpréter les dispositions proposées :

– d’une part, comme n’excluant de l’assiette que les biens inclus dans le patrimoine taxable au titre de l’ISF déclaré spontanément par lui (à l’exclusion, donc, des cas où la taxation résulte de la révélation postérieure de l’existence du trust) ;

– d’autre part, comme excluant de l’assiette les biens des trusts régulièrement déclarés et non taxables à l’ISF, y compris lorsqu’ils ne seraient pas soumis à cet impôt à raison de ses règles de territorialité (c’est-à-dire dans le cas de biens situés hors de France d’un trust dont le constituant n’est pas résident fiscal français).

2.– Un taux aligné sur le taux marginal de l’ISF

Le taux sera le taux marginal de l’ISF, que le projet de loi propose de ramener à 0,5 % à compter de 2012 qui sera la première année au titre de laquelle le prélèvement sur les trusts sera dû.

S’agissant d’un prélèvement ayant vocation, pour les raisons précédemment indiquées, à frapper des contribuables dissimulant des biens à l’administration, le taux retenu peut être comparé à celui qui sera applicable au titre de l’ISF en cas de manquement aux obligations déclaratives au titre de cet impôt. Compte tenu des majorations prévues par l’article 1729 en cas d’insuffisance de déclaration – soit 40 % en cas de manquement délibéré de droit commun et 80 % en cas de manœuvre frauduleuse –, il peut être appliqué, au titre de l’ISF, un taux pouvant aller jusqu’à 0,9 %.

3.– Les redevables et les modalités déclaratives et de recouvrement

Les redevables du prélèvement sur les trusts seront les constituants et les bénéficiaires d’un trust.

Le prélèvement devra toutefois être, en principe, liquidé et acquitté par l’administrateur du trust.

À cet effet, l’alinéa 31 introduit une obligation spécifique de déclaration et de liquidation à la charge de l’administrateur dans les conditions applicables en matière d’ISF (auto-liquidation avant le 15 juin).

Cette obligation déclarative sera, sans doute, souvent théorique. Dans la grande généralité des cas, la déclaration « normale » (soit au titre de l’ISF, soit au titre de la nouvelle déclaration des trusts) sera, en effet, plus favorable (puisqu’elle permettra de bénéficier des règles d’exonération de l’assiette de l’ISF et, éventuellement, de la première tranche de son barème) de sorte que l’on voit mal pourquoi il serait procédé à la déclaration au titre du prélèvement sur les trusts s’il n’est pas procédé à la déclaration du trust et de l’actif correspondant au titre de l’ISF.

Il convient de noter qu’il est prévu, pour le paiement du prélèvement sur les trusts, une responsabilité solidaire de l’administrateur, des constituants et des bénéficiaires autres que ceux ayant satisfait à leurs obligations déclaratives propres.

Le prélèvement sur les trusts sera assis et recouvré, comme l’ISF, selon les règles et sous les sanctions et garanties applicables aux droits de mutation par décès.

III.– L’EXONÉRATION DES PRODUITS RÉINVESTIS

Comme cela a été rappelé, l’article 120 du code général des impôts qualifie de revenus de capitaux mobiliers de source étrangère les « produits des " trusts " quelle que soit la consistance des biens composant ces trusts ».

Les alinéas 2 et 3 proposent de modifier cette disposition. Outre des modifications de coordination, il est proposé de limiter l’imposition aux produits distribués, donc d’exonérer les produits réinvestis, dont la rédaction actuelle (qui, selon les informations apportées au Rapporteur général par le Gouvernement, n’est pas appliquée sur ce point) prévoit la taxation.

Du point de vue de l’imposition de leurs revenus, les trusts seraient ainsi assimilables, en quelque sorte, à des SICAV ou à des fonds communs de capitalisation (ou des contrats d’assurance-vie) dont les produits capitalisés ne sont pas imposables.

Sur le plan pratique, cette disposition pose toutefois la question de la distinction, au sein des versements provenant d’un trust, entre la part éventuellement prélevée sur l’actif (qu’il serait cohérent de ne pas taxer puisque sa transmission à titre gratuit l’a, en principe, été) et celle issue des produits (qu’il est prévu de taxer). On peut craindre que l’identification de ces parts soit, s’agissant de trusts, délicate et que l’exonération des produits capitalisés aboutisse, en pratique, au moins dans certains cas, à une exonération pure et simple des produits.

Il convient toutefois de noter que l’imposition des produits capitalisés resterait possible dans un cas particulier. Cette imposition en transparence est, en effet, prévue de manière générale, au titre des bénéfices des entités soumises à une fiscalité privilégiée, rédaction de portée générale comprenant les trusts. Cependant, l’article 123 bis suppose que la personne physique imposée en transparence détienne au moins 10  % de l’entité, disposition qui, en pratique, s’applique mal (voire pas) aux trusts.

Seul le cas particulier des constituants des trusts implantés dans un État ou territoire non coopératif (ETNC) pourrait donc être couvert par l’article 123 bis dans la mesure où celui-ci prévoit, pour les entités implantées dans ces États, que la condition de détention de droits précédemment exposée est présumée satisfaite lorsqu’un contribuable a transféré des biens et droits à l’entité (c’est-à-dire, en pratique, pour le constituant d’un trust installé dans un tel État ou territoire).

IV.– L’ENTRÉE EN VIGUEUR

L’alinéa 42 prévoit d’appliquer les dispositions du présent article relatives aux droits de mutation à titre gratuit aux donations consenties et aux décès intervenus à compter de la publication de la présente loi de finances.

Il n’est pas prévu de disposition particulière d’entrée en vigueur pour les autres dispositions.

S’agissant des dispositions relatives à l’imposition de la détention du patrimoine (ISF et prélèvement sur les trusts) et à l’obligation déclarative nouvelle des trusts, il en résulte que l’application effective interviendra en 2012 puisque ces dispositions

– soit doivent être appliquées au 1er janvier (prélèvement sur les trusts, obligation déclarative),

– soit concernent l’assiette de l’ISF qui est appréciée à la même date.

S’agissant de la disposition relative à l’imposition des produits des trusts, l’entrée en vigueur sera immédiate et concernera donc les produits perçus ou distribués à compter de la publication de la loi.

V.– LE RENDEMENT DE LA MESURE

L’évaluation préalable du présent article estime son rendement attendu à 30 millions d’euros par an, à compter de 2012, « au vu des dossiers dont a eu connaissance l’administration fiscale ».

*

* *

La Commission est saisie des amendements CF 179, CF 180 et CF 181 du rapporteur général, et de l’amendement CF 13 de M. Daniel Garrigue.

M. le rapporteur général. L’article 6 vise à compléter le régime fiscal des trusts en matière de droits de mutation à titre gratuit et d’ISF. Entre le constituant du trust, le bénéficiaire et l’administrateur, on ne sait pas toujours, en l’état du droit, qui est redevable de l’impôt.

Mon amendement CF 179 vise à permettre d’appréhender le trust en transparence lorsque son constituant est une personne physique agissant à titre professionnel comme le projet le prévoit lorsqu’il s’agit d’une personne morale.

L’amendement CF 180 propose de rendre solidaires les bénéficiaires, non seulement pour l’ISF, mais aussi pour les droits de mutation en cas de décès du constituant du trust.

L’amendement CF 181 est de précision.

M. Daniel Garrigue. Les trusts sont difficiles à cerner, d’autant qu’ils sont constitués à l’étranger. Les dispositions de l’article s’appliqueront-elles aux trusts détenus par des résidents, aux personnes fiscalement domiciliées en France ? Concernent-elles les seuls biens situés sur le territoire français ? Quelles sont les opérations visées ? Lors de notre rencontre avec le Premier ministre de Jersey, hier soir, on a pu voir combien l’institution des trusts nous était étrangère. De fait, l’article reste muet sur la manière d’obtenir les informations nécessaires à sa mise en œuvre.

J’en viens à mon amendement CF 13, qui vise à supprimer deux articles du code général des impôts, relatifs aux fiducies. Lorsque la fiducie est entrée dans notre droit, en 2006, on prétendait la limiter aux personnes morales, et plus précisément aux établissements financiers afin de contrôler l’origine des fonds. Vous avez d’ailleurs, monsieur le rapporteur général, déposé un amendement pour clarifier ce point. La loi de modernisation de l’économie a étendu les fiducies aux personnes physiques et permis aux avocats d’intervenir dans leur gestion.

Le dispositif proposé aujourd’hui me semble très flou. Ne vise-t-il pas, au fond, à régulariser un certain nombre d’opérations qui échappent à notre droit ? N’y a-t-il pas une volonté de banaliser les fiducies, pour en faire des outils comparables aux trusts ?

M. Marc Goua. Une fiducie sert souvent, d’une part, à placer des fonds d’origine douteuse et, d’autre part, à atteindre une situation de monopole sans que cela n’apparaisse. Il ne faut pas que des monopoles puissent se créer à notre insu.

M. le rapporteur général. Permettez-moi un bref rappel historique qui devrait vous rassurer. Le trust trouve son origine dans le droit arabe et ce sont les Croisés qui s’en sont les premiers inspirés, afin de protéger leurs biens qu’ils abandonnaient pour de longues années lorsqu’ils partaient en croisade avec un risque non négligeable de ne jamais revenir. La trace de cet outil juridique a été soigneusement conservée à Jersey, demeurée de droit normand, et depuis des siècles, l’île s’est spécialisée dans la gestion des trusts.

L’article 6 – lequel traite exclusivement des trusts, en aucun cas des fiducies – va dans le bon sens, précisant le régime d’imposition à l’ISF et aux droits de mutation à titre gratuit des biens composant un trust, que son constituant ou son bénéficiaire soit ou non résident fiscal français – les résidents étant redevables au titre des biens du trust en France. Cet article instaure une obligation de déclaration et prévoit, en cas de non-respect de cette obligation, des sanctions financières d’un montant pouvant aller jusqu’à 5 % des biens ou droits composant le trust. L’ISF sera dû dans les conditions du droit commun et, à défaut de déclaration, un prélèvement spécifique est prévu au taux de 0,5 %. Les droits de mutation, quant à eux, s’appliqueraient selon le barème en vigueur lorsque le bénéficiaire de la transmission est connu et au taux marginal de 60 % dans le cas contraire.

Il faut distinguer les trusts et les fiducies. La déclaration des fiducies est d’ores et déjà obligatoire et celles-ci sont aujourd’hui imposées à l’ISF. Pour le reste, il est interdit de créer une fiducie pour organiser une donation. Il est vrai que le rapporteur général du Sénat souhaiterait qu’on étende le rôle des fiducies mais nous n’avons pu en CMP surmonter notre désaccord sur ce point. Nous demeurons attachés à des critères très stricts.

M. Daniel Garrigue. Les trusts n’existent pas seulement à Jersey, mais d’une manière générale dans les pays de droit anglo-saxon. Cet outil permet à certaines places financières de s’affranchir de règles normales de gestion, notamment en recourant à des paradis fiscaux. On institue une obligation de déclaration, mais quid si elle n’est pas respectée ? Nous n’aurons aucun moyen d’obtenir des renseignements. Jersey, comme cela nous a été confirmé, ne communique d’informations que si l’on est en mesure de donner l’identité du constituant ou du bénéficiaire d’un trust et si l’on sait auprès de quel établissement celui-ci a été constitué.

Je ne peux me défaire de l’impression qu’on cherche à régulariser certaines opérations irrégulières et plus généralement, avec les fiducies, à développer un outil comparable aux trusts. Souhaite-t-on concurrencer les pays anglo-saxons ?

M. le président Jérôme Cahuzac. Reconnaissez que cet article, même s’il n’est pas parfait, tente d’améliorer notre législation nationale.

La Commission adopte successivement les amendements CF 179, CF 180 et CF 181 (amendements n°s 1244, 1245, 1246).

Sur avis défavorable du rapporteur général, elle rejette l’amendement CF 13.

La Commission adopte l’article 6 ainsi modifié.

*

* *

Après l’article 6

La Commission est saisie de plusieurs amendements portant articles additionnels après l’article 6.

Elle examine d’abord l’amendement CF 129 de M. Pierre-Alain Muet.

M. Jean Launay. Nul n’a oublié que, lors de la crise financière qui a précédé la crise économique, l’État est venu au secours des banques, les recapitalisant largement, selon des modalités que nous avions d’ailleurs en leur temps critiquées. En effet, les contribuables, bien que mis à contribution, n’ont pas pu retirer les bénéfices de ces opérations comme ils l’auraient dû.

Par souci à la fois de justice sociale et de responsabilité financière, nous proposons aujourd’hui d’instituer une taxe additionnelle à l’impôt sur les sociétés de 15 % sur les établissements de crédit, qui ont pour le moins rétabli leurs résultats.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur général, la Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CF 139 de M. Pierre-Alain Muet.

M. Pierre-Alain Muet. Cet amendement propose de supprimer le régime du bénéfice mondial consolidé, comme l’a lui-même proposé le Conseil des prélèvements obligatoires, jugeant que l’utilité économique du dispositif n’avait pas été démontrée.

M. le président Jérôme Cahuzac. Cherchant à me renseigner sur les entreprises bénéficiant de cet avantage fiscal, j’ai appris que l’une d’entre elles avait fait état dans un document officiel présenté en assemblée générale d’un avantage à son seul profit supérieur au coût pour l’État de cet avantage fiscal pour l’ensemble des entreprises bénéficiaires. Il faudrait vraiment savoir ce qu’il en est.

M. le rapporteur général. Nous aurons ce débat lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2012. Je ne cherche nullement à l’esquiver. J’aborderai d’ailleurs la question dans un prochain rapport mais nous ne disposons pas pour l’heure de toutes les données nécessaires. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CF 134 de M. Pierre-Alain Muet.

M. Pierre-Alain Muet. Cet amendement vise à moduler le taux de l’impôt sur les sociétés en fonction de l’affectation des bénéfices, afin de favoriser les investissements.

Sur avis défavorable du rapporteur général, la Commission rejette l’amendement.

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