22 février 2023

Liberté de circulation des capitaux et amende pour non déclaration des comptes etrangers (CJUE 27/01/21)

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patrickmichaud@orange.fr

La CJUE  vient de juger que la législation nationale obligeant les résidents fiscaux espagnols à déclarer leurs biens ou leurs droits situés à l’étranger est contraire au droit de l’Union tant t au niveau de la prescription qu au niveau du montant de l amende 

Le communique de presse 

C-788/19 Arrêt  27/01/2022 Commission / Espagne

 (Obligation d’information en matière fiscale) Libre circulation des capitaux 

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRIK SAUGMANDSGAARD

 

LA POSITION DE LA COMMISSION 

 

 Le présent recours en manquement concerne une réglementation en matière fiscale mise en place en 2012 par le Royaume d’Espagne ayant pour finalité de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales en ce qui concerne des avoirs situés en dehors du territoire espagnol. Cette réglementation comprend, d’une part, une obligation pour les résidents fiscaux en Espagne de déclarer certains de leurs biens et droits situés à l’étranger (obligation à laquelle il est satisfait en Espagne au moyen du « formulaire 720 ») et, d’autre part, une série de conséquences liées au non‑respect de cette obligation.

Ces conséquences comportent,

-premièrement, la qualification des avoirs en tant que gains patrimoniaux non justifiés et leur intégration dans la base d’imposition générale indépendamment de la date d’acquisition des avoirs concernés,

-deuxièmement, l’imposition d’une amende proportionnelle de 150 % et,

--troisièmement, l’imposition d’amendes forfaitaires.

 La Commission européenne estime que ces trois conséquences et leurs modalités d’application constituent des restrictions disproportionnées qui portent atteinte à plusieurs libertés de circulation prévues par le TFUE et l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) en particulier à la libre circulation des capitaux (article 63 TFUE et article 40 de l’accord EEE).

Selon la Commission, le caractère disproportionné tient notamment à ce que les trois conséquences sanctionnent l’inexécution de l’obligation d’information par le contribuable d’une manière très sévère sans prendre en compte le fait que l’administration fiscale espagnole disposerait déjà des informations concernées, ou pourrait en disposer, en vertu du régime d’échange d’informations dans le domaine fiscal prévu par la directive 2011/16/UE (2), telle que modifiée par la directive 2014/107/UE (3) (ci‑après la « directive 2011/16 »). Elle demande donc à la Cour, par le présent recours en manquement, de constater que le Royaume d’Espagne, en prévoyant ces trois conséquences, a manqué aux obligations qui lui incombent, notamment, en vertu de l’article 63 TFUE et de l’article 40 de l’accord EEE.

LA POSITION DE LA COUR

Selon la Cour, la présomption d’obtention de « gains patrimoniaux non justifiés » instituée par le législateur espagnol n’apparaît pas disproportionnée par rapport aux objectifs de garantie de l’efficacité des contrôles fiscaux et de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, dès lors, notamment, qu’elle peut être renversée par le contribuable.

 En revanche, les choix faits en matière de prescription sont disproportionnés au regard de ces objectifs, dans la mesure où ils permettent à l’administration fiscale de procéder sans limitation dans le temps au redressement de l’impôt dû au titre des sommes correspondant à la valeur des biens ou des droits situés à l’étranger et non déclarés, ou déclarés de manière imparfaite ou tardive, au moyen du « formulaire 720 ».

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La Cour relève que l’infliction de d’une amende de 150 % des capitaux non declarés est directement liée à la méconnaissance d’obligations déclaratives, puisqu’en sont seuls passibles les contribuables qui n’ont pas respecté l’obligation d’information. Ce non-respect suffit à entraîner le constat de l’existence d’une infraction fiscale, considérée comme très grave et punie de l’infliction de l’amende de 150 % du montant de l’imposition éludée, ce taux n’étant pas formulé comme un taux plafond.

La Cour relève également que le taux très élevé de cette amende lui confère un caractère extrêmement répressif, et que le cumul de cette amende avec les amendes forfaitaires prévues par ailleurs peut aboutir, dans nombre de cas, à porter le montant total des sommes dues par le contribuable à plus de 100 % de la valeur de ses biens ou de ses droits à l’étranger. Cela constitue une atteinte disproportionnée à la libre circulation des capitaux.

En troisième lieu, la Cour juge que le législateur espagnol a également méconnu les obligations qui lui incombent en vertu de la libre circulation des capitaux en assortissant l’inexécution ou le respect imparfait ou tardif de l’obligation d’information relative aux biens et aux droits situés à l’étranger d’amendes forfaitaires dont le montant est sans commune mesure avec les sanctions prévues pour des infractions similaires dans un contexte purement national et dont le montant total n’est pas plafonné. Le montant de ces amendes est de 5 000 euros par donnée ou catégorie de données manquante, incomplète, inexacte ou fausse, avec un minimum de 10 000 euros, et d’un montant de 100 euros par donnée ou catégorie de donnée déclarée tardivement ou n’ayant pas été déclarée par la voie dématérialisée alors que cela était requis, avec un minimum de 1 500 euros.

La Cour relève à cet égard que la loi espagnole sanctionne la méconnaissance de simples obligations déclaratives ou purement formelles par l’infliction d’amendes forfaitaires très élevées, puisqu’elles s’appliquent à chaque donnée ou catégorie de données concernée, qu’elles sont assorties, selon le cas, d’un montant plancher de 1 500 ou 10 000 euros et que leur montant total n’est pas plafonné.

La Cour tient également compte du fait que ces amendes forfaitaires se cumulent avec l’amende proportionnelle de 150 % et note que leur montant est sans commune mesure avec celui des amendes qui sanctionnent la méconnaissance d’obligations similaires dans un contexte purement interne à l’Espagne. Par conséquent, ces amendes forfaitaires instituent une restriction disproportionnée à la libre circulation des capitaux.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête :

– En prévoyant que l’inexécution ou le respect imparfait ou tardif de l’obligation d’information relative aux biens et aux droits situés à l’étranger entraîne l’imposition des revenus non déclarés correspondant à la valeur de ces avoirs en tant que « gains patrimoniaux non justifiés », sans possibilité, en pratique, de bénéficier de la prescription ;

– en assortissant l’inexécution ou le respect imparfait ou tardif de l’obligation d’information relative aux biens et aux droits situés à l’étranger d’une amende proportionnelle de 150 % de l’impôt calculé sur les sommes correspondant à la valeur de ces biens ou de ces droits, pouvant être cumulée avec des amendes forfaitaires, et

– en assortissant l’inexécution ou le respect imparfait ou tardif de l’obligation d’information relative aux biens et aux droits situés à l’étranger d’amendes forfaitaires dont le montant est sans commune mesure avec les sanctions prévues pour des infractions similaires dans un contexte purement national et dont le montant total n’est pas plafonné,

le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 63 TFUE et de l’article 40 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992.

 

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