HSBC : l'emblématique procès des héritières de Nina Ricci

Le Monde.fr | 17.02.2015 à 01h46 • Mis à jour le 17.02.2015 à 13h46 | Par Isabelle Rey-Lefebvre

 

Note de P MICHAUD j'ai modéré l'identité de l'avocat monteur  par courtoisie 

 

C'est le premier procès emblématique de l'affaire HSBC, née de la divulgation au fisc, en 2009, d'une liste comportant, notamment, les noms de 3 000 clients français de la filiale suisse de cette banque qui auraient dissimulé des avoirs.

 

Lundi 16 février, Arlette Ricci, héritière de la société Nina Ricci et petite-fille de la célèbre couturière, et sa fille, Margot Vignat, comparaissaient devant la 32e chambre du tribunal correctionnel, soupçonnées de fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale. Au premier jour de leur procès qui doit durer jusqu'au jeudi 19, elles étaient bien là toutes les deux, face aux juges, séparées par une chaise vide, ne se regardant pas, ne s'adressant pas la parole, mais faisant tout de même avocat commun.

 « Je ne me sens coupable de rien et si je suis là, c'est que je n'ai pas, comme beaucoup d'autres, accepté de transiger avec le fisc en “cellule de dégrisement” », explique Arlette Ricci, faisant référence à la procédure de régularisation, ouverte en 2009 au ministère des finances par Eric Woerth, alors ministre du budget.

Lire (édition abonnés) : « SwissLeaks » : la famille Ricci, « Nestor » et le tribunal

LE FISC PARTIE CIVILE

« Je veux être jugée », insiste cette femme qui porte allègrement ses 73 ans, « l'administration fiscale s'est jetée sur cette liste Falciani [du nom du cadre d'HSBC qui a livré les fichiers] qui comporte des erreurs grossières », soutient-elle, sans doute renforcée dans cette idée par le non-lieu obtenu, dans un procès antérieur, par ses deux fils, John et Scott Mitchell, poursuivis pour les mêmes motifs.

A ses côtés, en tant que prévenu, figure Bertrand-Charles Leary, ancien patron des Moulins de Strasbourg – lui-même client d'HSBC ayant, depuis, régularisé sa situation fiscale – et gestionnaire des comptes de la famille Ricci.

Face à eux, le fisc s'est porté partie civile et est représenté par la Direction générale des finances publiques et son avocat, Me Pierre de Fabrègues.

Lire : Gad Elmaleh, Jacques Dessange, Arlette Ricci : trois visages de la fraude fiscale

La justice reproche à Mme Ricci et à sa fille d'avoir dissimulé des avoirs dans des paradis fiscaux, la première par le biais de la société Parita, basée à Panama (22 millions de dollars soit 19,4 millions d'euros), la seconde par celui de la société Myr Associates, sise aux Iles Vierges britanniques (1,8 million de dollars, soit 1,6 million d'euros).

INSOLVABILITÉ ORGANISÉE

Outre la fraude fiscale, ce procès comporte un second volet concernant l'organisation frauduleuse d'insolvabilité qu'aurait mise en place Mme Ricci avec le concours d'un avocat fiscaliste, (modéré par EFI). Ce dernier a également été mis en examen pour complicité, son cabinet perquisitionné, et il a été placé en garde à vue, ce qui a soulevé les protestations de la profession et de son bâtonnier. C'est une première et le fisc semble vouloir désormais s'attaquer non seulement aux fraudeurs mais aussi à leurs conseils.

Mxxx avait, en effet, conseillé à Mme Ricci de transférer deux biens dans des sociétés civiles immobilières, un appartement dans le XVe arrondissement de Paris et une maison en Corse. Le montage consistait à vendre ces biens à deux SCI montées pour l'occasion qui empruntaient 110 % de la valeur des immeubles pour en couvrir le prix et les frais de transaction. Il s'agissait de prêts dits « in fine », c'est-à-dire à différé total de remboursement du capital en fin de prêt, les mensualités ne couvrant que les intérêts, et ils ont été souscrits en 2010 auprès de BNP Paribas Genève.

Ainsi, la propriétaire – qui s'est, à cette occasion, domiciliée en Suisse – retirait des liquidités de cette vente, les plaçait dans la même banque genevoise et en tirait des revenus imposables en Suisse, plus en France. Elle éludait, au passage, l'impôt sur la fortune sur ces biens immobiliers, puisque les parts d'une SCI ainsi endettée à 100 % de son patrimoine, ne valent pas grand-chose. « C'est un montage ingénieux, habituel et parfaitement légal, nous confiait MFleurance, j'ai fait mon travail et je suis serein sur l'issue de ce procès. »

TOUT FAIRE POUR REPOUSSER LE PROCÈS

Au cours de cette première demi-journée de procès, les avocats de la défense ont fait feu de tout bois pour obtenir un ajournement. MThierry Marembert, avocat de Me .xxx  déplorait d'abord l'absence de cinq des six témoins dont il avait demandé la comparution, en particulier des fonctionnaires de Bercy – dont Philippe Parini, directeur général des finances, Jean-Patrick Martini, de la direction nationale des enquêtes fiscales, interlocuteur privilégié de M. Falciani, et le ministre Woerth lui-même, qui a décliné l'invitation. Renvoi rejeté.

Puis ce fut au tour de MJean-Marc Fedida, pour les dames Ricci, de poser une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) qui, si elle est prise en compte, bloque le procès jusqu'à avis de la Cour de cassation. L'avocat a tenté de démontrer que les droits de la défense avaient été bafoués puisqu'il avait demandé une expertise judiciaire que la juge d'instruction, Claire Thépaut, lui avait refusée, et que la chambre d'instruction de la cour d'appel lui avait finalement accordée, mais trop tard, à six jours près. Cette expertise portait sur la lecture d'un CD-ROM dont six fichiers n'avaient pu être ouverts et lus par la défense « car ils étaient corrompus ». Or, ce CD-ROM est une pièce maîtresse de la procédure, car il contient les écoutes téléphoniques de d'Arlette Ricci, dont des conversations compromettantes. On y entend, par exemple, Mme Ricci dire à sa fille :

« Ça fait presque trois ans [durée de la prescription fiscale, en France], donc je pense que je suis entièrement libérée de toutes sortes de contrôles (…) J'ai gardé ma maison de Corse et de Paris, mais tout ça en société civile immobilière, donc ça ne m'appartient plus (…) Je crois que j'ai fait ce qu'il fallait faire, et je n'ai jamais eu de nouvelles de Bercy, donc tout va bien (…) Tout le monde a été alpagué mais pas moi (…) Parce que tout ça est très illégal, quand même. »

Une nouvelle copie de ce CD-ROM a bien été fournie par le parquet à MFedida, « mais c'est une preuve reconstituée, ce qui est un peu ennuyeux », a-t-il argué, exigeant une expertise. Sa QPC a finalement été rejetée, la présidente expliquant que les juges comme les parties peuvent demander des éléments supplémentaires en cours de procès et la procureure rappelant que la défense, loin d'être passive au cours de l'instruction, avait déjà demandé quatorze de ces compléments.

À CHARGE ET À DÉCHARGE

Deux avocats de la défense ont encore fait valoir des demandes de nullité au motif que l'ordonnance de renvoi, rédigée par la juge d'instruction, ne mentionnerait pas les éléments à décharge.

La procureure a balayé l'argument d'un revers de manche, montrant qu'ils étaient bien mentionnés et elle a proposé, avec ironie, de « faire, à l'avenir, deux colonnes, l'une avec les éléments à charge, l'autre avec ceux à décharge, pour que tout le monde s'y retrouve ». Les demandes de nullité ne sont pas jugées sur le champ mais jointes au procès qui peut, donc, commencer ce mardi 17 février.

Lire l'intégralité de nos révélations : SwissLeaks, tout savoir sur ce système international de fraude fiscale

 

image: http://s2.lemde.fr/image/2015/02/16/534x0/4577410_6_8476_ill-4577410-c6eb-qsqsqsqs_26474fa5190eae10fb7ae9298433c67f.jpg

 

·                                 Isabelle Rey-Lefebvre 
Journaliste au Monde

 


En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/economie/article/2015/02/17/avec-les-heritieres-nina-ricci-le-systeme-hsbc-pour-la-premiere-fois-devant-la-justice_4577702_3234.html#Vv7ECj32lCTcrrXU.99

Les commentaires sont fermés.