Affaire n° 2014-13 Un LBO luxembourgeois non abusif

 

Séance du 23 septembre 2014 : avis rendus par le comité de l’abus de droit fiscal commentés  par l'administration (CADF/AC n° 6/2014).

 

Affaire n° 2014-13 Un LBO luxembourgeois non abusif 

 

Au cours de l’année 2004, le groupe E a fait l’objet d’un rachat dans le cadre d’une opération de “ leverage buy out ” (LBO) par le groupe W.

Dans ce contexte, le groupe W a mis en place un dispositif permettant aux cadres du groupe E par l’intermédiaire de la société A, d’acquérir des actions à bons de souscription d’actions dites “ ABSA Ratchet ” d’une des sociétés holding du groupe W, la société B, intervenant dans le financement de cette opération de LBO. 

Préalablement à sa souscription au capital de la société A, M. T a accepté le 29 septembre 2004 les conditions du pacte d’actionnaires relatif à cette société fixées par l’associé unique, la société luxembourgeoise C, appartenant au groupe W. Ce pacte comprend un droit de cession obligatoire au profit du groupe W en cas de cession de contrôle du groupe E. Il prévoit aussi un droit de cession conjoint au profit des cadres de E des actions de la société A en cas de cession de contrôle du groupe E et en l’absence d’exercice par le groupe W de son droit de cession obligatoire. Il stipule également qu’aucun titre de la société A ne peut être cédé sans l’accord du groupe W conformément à l’article 9 des statuts de cette société. En outre le groupe W s’engage à examiner de bonne foi toute demande d’agrément déposée dans le cadre d’une cession de titres envisagées par un dirigeant au profit d’une société holding constituée à des fins patrimoniales, cet agrément étant subordonné à la satisfaction de plusieurs conditions cumulatives.

Le même jour, M. T, président directeur général de la SA E, a signé au profit du groupe W une promesse unilatérale d’achat et de vente de ses actions de la société A en cas de cessation de ses fonctions au sein du groupe E, quelles que soient les circonstances de son départ ou de violation d’une disposition importante des accords qu’il a conclus.

Le 20 octobre 2004, la société luxembourgeoise D, créée deux jours auparavant par M. T, souscrit à l’augmentation de capital de la société A à hauteur de 350 000 actions pour un prix unitaire de 2 euros, soit un montant global de 700 000 euros. Cette souscription est financée à l’origine à hauteur de 500 000 euros par un emprunt contracté par la société D auprès de la banque X France, le solde étant financé par un apport de son associé. Préalablement, par un courrier du 26 mai 2005, le groupe W s’est engagé à verser une somme nette d’impôts et de charges à M. T de 500 000 euros par la prise en charge indirecte du coût de l’emprunt contracté pour financer les titres de la société A, gagé par ces mêmes titres. Le 22 décembre 2005, par un acte de donation-partage, M. T transmet les 500 actions de la société D à ses enfants et se réserve l’usufruit.

Le 26 juin 2006, l’emprunt de 500 000 euros contracté par la société D est remboursé. La banque X France consent à la société D une nouvelle ligne de crédit d’un montant de 2 500 000 euros gagée par les titres de la société A. Cette ligne de crédit est portée le 22 janvier 2008 à 3 500 000 euros. Cette trésorerie est utilisée par la société D pour réaliser des investissements en valeurs mobilières de placement.

Le 20 mai 2008, la société C exerce le droit de cession obligatoire prévu par le pacte d’actionnaires relatif à la société A et acquiert ainsi le 23 mai 2008 les actions de la société A détenues par la société D sur la base du prix offert par la société cessionnaire du groupe E, soit à un prix unitaire de 32,34 euros par action.

La plus-value réalisée sur la cession des 350 000 actions par la société D n’a fait l’objet d’aucune taxation, cette société bénéficiant du régime luxembourgeois d’exonération des plus-values de cession sur les titres de participation.

Par une proposition de rectification en date du 14 décembre 2012, substitutive à celle adressée le 5 décembre 2011, l’administration a considéré que, sous le couvert d’une gestion patrimoniale, l’interposition de cette société luxembourgeoise était constitutive d’un montage artificiel qui n’avait eu d’autre motif que de faire échapper à toute imposition le gain réalisé lors de cette cession. Elle a mis en œuvre la procédure d’abus de droit sur le fondement de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales pour remettre en cause ce montage et ainsi imposer ce gain entre les mains de M. T.

Le Comité a entendu ensemble le conseil de M. T, ainsi que les représentants de l’administration.

Le Comité rappelle en premier lieu qu’il n’entre pas dans ses attributions de se prononcer sur la question de la prescription invoquée par M. T dans ses observations écrites.

Il souligne en second lieu que la seule question qui lui est soumise porte sur le point de savoir si en interposant une société holding de droit luxembourgeois, le contribuable a procédé à un montage poursuivant un but exclusivement fiscal. La réponse à cette question dépend de l’existence ou non d’une véritable substance pour cette société patrimoniale.

A cet égard, le Comité relève que la société D, qui n’est pas fictive, a effectivement une substance. Elle dispose en effet d’un patrimoine propre constitué dans un premier temps des actions de la société A et de valeurs mobilières de placement acquises au moyen des lignes de crédit obtenues par le nantissement des titres de cette société, puis du placement des liquidités provenant de la cession des titres de la société A, ayant vocation à terme à être transmis aux enfants du contribuable à raison du démembrement de propriété opéré sur ces titres.

Le Comité estime que les circonstances alléguées par l’administration tirées du fait que, d’une part, les actions de la société A détenues par la société holding de droit luxembourgeois ne pouvaient pas être cédées en dehors des conditions prévues par le pacte d’actionnaires de sorte que les organes dirigeants de cette société ne pouvaient prendre aucune décision pendant la durée de ce pacte et, d’autre part, cette société holding domiciliée au siège de la banque X au Luxembourg ne détenait aucune compétence propre, ne sauraient à elles seules caractériser une absence de substance de cette société patrimoniale. Il en déduit que, si elle a bien poursuivi un objectif fiscal, l’interposition de cette société ne peut être regardée comme ayant été motivée par un but exclusivement fiscal.

En conséquence, au vu des pièces du dossier et faute d’avoir pu, lors de l’audition, disposer d’éléments portant sur les modalités particulières du financement de l’investissement réalisé par M. T et sur leurs conséquences, le Comité émet l’avis que l’administration n’était pas fondée en l’espèce à mettre en œuvre la procédure de l’abus de droit fiscal prévue à l’article L. 64 du livre des procédures fiscales. 

Nota : l’administration a décidé de ne pas se ranger à l’avis émis par le Comité. L’administration estime que la circonstance que les organes dirigeants de la société interposée ne pouvaient prendre aucune décision pendant la durée du pacte (et donc jusqu’à la cession des actions détenues par ladite société) caractérise l’absence de substance de cette société patrimoniale.

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