L’avis de Philippe Martin

L’avis de Philippe Martin Président de Section

par Myriam HUBERMAN Responsable secteur Fiscalité EFE 

Philippe Martin analyse l’arrêt « Sté Artémis » : des dividendes transitant par un « general partnership » du Delaware ne bénéficient pas du régime mère-fille

Philippe Martin  Président de Section
Conseil d’État

La décision rendue par la plénière fiscale du Conseil d’État dans l’affaire Artémis, aux conclusions d’Emmanuelle Cortot-Boucher, apporte des précisions intéressantes sur l’application du régime mère-fille à des dividendes transitant par une société de personnes et enrichit la jurisprudence sur les questions de principe concernant la prise en compte du droit étranger et la portée des conventions fiscales internationales.

Dans cette affaire, une société américaine avait distribué des dividendes à un « general partnership » de l’État du Delaware dont la société française Artémis détenait l’essentiel des parts. Le problème posé était l’applicabilité, pour ces dividendes, du régime français mère-fille (articles 145 et 216 du CGI).

En droit interne, le Conseil d’État précise que le régime français mère-fille suppose une participation directe. Pour contourner cet obstacle, la société Artémis a soutenu qu’en raison de l’article 238 bis K du CGI, selon lequel la quote-part de bénéfice, dans une société de personnes, d’un associé soumis à l’IS doit suivre les règles de l’IS, le régime mère-fille devait être appliqué, pour les besoins du calcul de la quote-part de l’associé soumis à l’IS, au niveau de la société de personnes. Selon cette thèse posant une question nouvelle, les conditions de l’article 145, y compris la participation, devraient dans ce cas être appréciées au niveau de la société de personnes, les règles de l’IS étant en quelque sorte transposées à son niveau. Mais le Conseil d’État rejette cette argumentation au motif que l’article 238 bis K n’est pas un régime d’imposition de la société de personnes et ne change rien au fait que la société de personnes, n’étant pas soumise à l’IS, n’est pas éligible au régime mère-fille en vertu de l’article 145 du CGI.

L’affaire apporte par ailleurs une clarification intéressante en matière de prise en compte du droit étranger pour l’application du droit fiscal français. Un « general partnership » du Delaware est doté de la personnalité juridique mais est fiscalement transparent. Cette transparence fiscale était invoquée pour soutenir que les dividendes devaient être considérés comme versés directement à la société Artémis. Le Conseil d’État écarte cette thèse au motif qu’il ne faut pas tenir compte du régime fiscal de l’entité étrangère, mais de son régime juridique. Et le Conseil d’État l’assimile donc à une société de personnes française régie par l’article 8 du CGI.

Cette solution est dans la ligne du précédent « Superseal Corporation » (CE 27 mai 2002 n° 125959 : RJF 8-9/02 n° 900), par lequel le Conseil d’État avait tenu compte du droit des sociétés canadien pour estimer si une dissolution sans liquidation de droit canadien générait une plus-value pour l’application du droit fiscal français.

L’arrêt Artémis complète cette jurisprudence en indiquant expressément que le droit fiscal étranger ne doit pas être pris en compte pour l’application du droit fiscal français.

Cette précision peut avoir une incidence sur l’appréciation des conséquences de l’arrêt « Diebold » (CE 13 octobre 1999 n° 191191 : RJF 99 n° 1492) rendu pour l’application de l’article 12 de la convention fiscale franco-néerlandaise excluant une retenue à la source française sur les redevances payées à un résident des Pays-Bas.

L’arrêt « Diebold » tient compte de la transparence juridique et fiscale, en droit néerlandais, d’une CV néerlandaise. La décision Artémis permet de penser que c’est la transparence (ou la personnalité) juridique qui est déterminante, non la transparence fiscale.

 

Sur le terrain de la convention fiscale franco-américaine du 31 août 1994, la décision Artémis apporte une intéressante précision sur l’interprétation de son article 7§4, et plus généralement sur la portée des conventions fiscales internationales.

L’article 7§4 traite spécifiquement des partnerships en stipulant que : « Un associé d’un partnership est considéré comme ayant réalisé des revenus (…) dans la mesure de sa part du partnership telle qu’elle est prévue par l’accord d’association (…). Le caractère – y compris la source et l’imputabilité à un établissement stable – de tout élément de revenu (…) attribuable à un tel associé est déterminé comme si l’associé avait réalisé ces éléments de revenu (…) de la même manière que le partnership les a réalisés ou en a bénéficié ».

Le Conseil d’État juge que cette clause ne concerne que la répartition du pouvoir d’imposer entre les États et n’affecte pas l’application du régime mère-fille français. L’effet de cette clause est donc seulement de déterminer que le dividende en cause est un dividende de source américaine versé à un résident français pour l’application des règles de répartition posées par la convention. Cette analyse est intéressante sur la portée des conventions fiscales, en posant en principe que, sauf indication expresse visant le droit interne, une clause de convention fiscale doit être lue comme ne concernant que la répartition du pouvoir d’imposer.

 

 

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