Les propositions de Yann Galut par Anne Michel (le monde)

"Il faut obliger banquiers et avocats à déclarer leurs montages"

Par Anne Michel  le monde du 22

Yann Galut est député PS du Cher, rapporteur du projet de loi contre la fraude fiscale.

Comment réagissez-vous au refus de Bercy de créer une "cellule de régularisation fiscale" ?

Ce que le gouvernement ne veut pas, c'est faire des cadeaux aux fraudeurs fiscaux ! Or, la création d'une cellule de régularisation, parce qu'elle fait référence à la cellule opaque mise en place par l'ex-ministre du budget, Eric Woerth, de 2009 à 2010, aurait été interprétée comme tel.

J'approuve en tous points l'actuel ministre du budget, Bernard Cazeneuve quand il déclare que le droit commun doit s'appliquer aux personnes souhaitant rapatrier des avoirs détenus illégalement à l'étranger. Et qu'il n'y a pas d'amnistie possible. Les fraudeurs doivent acquitter les impôts dûs, mais aussi les pénalités et les intérêts de retard. Il n'est pas pensable de reprendre la méthode Woerth, où les avocats arrivaient avec des dossiers pour négocier un rabais, et ne révélaient le nom de leurs clients que si la transaction leur convenait.

Sans "carotte" fiscale, alors que le contexte international est propice à la régularisation, la France ne se prive-t-elle pas d'une occasion historique de rapatrier des fonds ? La sémantique est importante. S'il n'y a pas de cellule de régularisation à proprement parler, je pense qu'il y aura bien un dispositif de régularisation fondé sur le droit commun.

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Ce qui est important, c'est le message adressé par le gouvernement aux fraudeurs. En annonçant qu'il va durcir la loi et leur livrer une lutte implacable, le gouvernement les encourage à rapatrier leur argent.

S'ils se dénoncent, ils échapperont à des poursuites pénales renforcées dans le cadre du projet de loi, à sept ans de prison et 2 millions d'euros d'amende. En réalité, les fraudeurs n'ont pas le choix.

Combien d'argent la France peut-elle espérer récupérer, alors que le manque à gagner fiscal annuel atteint 60 à 80 milliards d'euros ?

Il est impossible d'établir un chiffrage. Mais jamais le climat n'a été aussi favorable à la régularisation. Nous sommes à un tournant de la lutte contre la fraude. Entre la loi américaine Fatca , les affaires UBS et HSBC et les révélations de l'OffshoreLeaks sur les paradis fiscaux, avec ces listes de fraudeurs circulant d'un bout à l'autre de la planète, ça craque de partout !

La récession conduit tous les Etats à s'attaquer à la fraude et l'évasion fiscales. Voyez David Cameron, en pointe sur le sujet alors que son pays est celui de la City et abrite sous son pavillon nombre de paradis fiscaux.

En France, l'affaire Cahuzac a servi de détonateur. Du point de vue des fraudeurs, l'effet est puissant. Ils réalisent que si un responsable politique aussi puissant a été pris dans la nasse, personne n'est protégé.

Le projet de loi contre la fraude, centré sur les particuliers, examiné par le Parlement à partir de mi-juin, vous satisfait-il ?

Ce texte prévoit trois mesures fondamentales : la création du délit de fraude fiscale en bande organisée, qui renforcera les moyens d'enquête des policiers, des douaniers et de la police fiscale, avec possibilités d'infiltrations de réseaux et de mises sur écoutes ; la légalisation de l'utilisation de fichiers volés ; et la création d'un parquet national spécialisé, à même de dialoguer avec le parquet européen chargé du sujet.

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Je proposerai d'y ajouter, dans le cadre d'un débat avec le gouvernement, la création d'un statut de "lanceur d'alerte" pour protéger les citoyens qui mettent en garde contre des pratiques frauduleuses, ainsi qu'un dispositif permettant une meilleure coopération entre les ministères de l'économie et de la justice. Le fait qu'aujourd'hui, seul Bercy peut porter plainte dans des affaires de fraude n'est pas satisfaisant.

Faudrait-il étendre aux entreprises l'obligation de déclaration de comptes ouverts à l'étranger, réservée aux individus dans le projet de loi ?

J'y réfléchis. Une grande part de la fraude fiscale se fait par le biais des trusts, des véhicules juridiques permettant justement à une personne physique d'adopter le statut de personne morale, ou de sociétés civiles immobilières (SCI), qui n'ont pas d'obligation de déclaration de comptes à l'étranger.

Quid des intermédiaires, banquiers, avocats d'affaires, qui conseillent les montages fiscaux ?

Ils sont aussi dans mon viseur. Je présenterai un amendement qui obligera ces intermédiaires à déclarer ces montages, souvent complexes, à l'administration fiscale, comme c'est le cas aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. La frontière entre optimisation et fraude étant ténue, ils seront ainsi mis en garde. Mon pronostic, c'est qu'ils reviendront à l'obligation de prudence.

Anne Michel

 

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