OLIVIER FOUQUET REPOND A PATRICK MICHAUD

SCISSION ET BRANCHE COMPLETE D’ACTIVITE :

 A la question posée par Patrick Michaud sur son blog dont je suis un lecteur attentif, je répondrai sans hésitation : la décision CE 30 janvier 2013, n°346683, Sté Ambulances de France, n’est pas un revirement de jurisprudence. Le Conseil d’Etat avait le choix entre deux sécurités juridiques, il a choisi la plus importante.

La solution avait été d’ailleurs annoncée à l’avance par S. Austry et D. Gutmann dans le commentaire aux FR Lefebvre (37/11 inf.13 p.17) qu’ils ont consacré à la décision  CE 17 juin 2011 n°341667 et n°324392 relative aux fusions.

La question posée est celle du champ d’application de la jurisprudence CJCE Leur-Bloem dont le pragmatisme rejoint à certains égards l’inspiration de la jurisprudence du Conseil d’Etat, Cercle militaire mixte de la Caserne Mortier, sur « l’interprétation neutralisante ».

Le législateur transpose par un texte UNIQUE, applicable aussi bien aux opérations franco-françaises qu’aux opérations transfrontalières, la directive fusion, en indiquant (travaux parlementaires) que les premières opérations seront traitées comme les secondes

Mais voilà qu’en matière de scission, le texte de la CGI s’écarte de la directive en posant une condition relative à l’existence d’une branche autonome chez l’auteur de la scission et chacun des bénéficiaires , qui n’existe pas dans la directive.

Le Conseil d’Etat devait-il écarter la condition de branche autonome au motif qu’elle ne figurait pas dans la directive ? Pour ce faire, il aurait dû interpréter le texte contrairement à sa lettre.

Or, il est principe fondamental d’interprétation des textes, défendu brillamment par le Président Odent dans son célèbre Cours de contentieux administratif, selon lequel un texte clair se suffit à lui-même. Quand un texte est clair, on ne va pas chercher les travaux parlementaires pour l’interpréter différemment. Le législateur s’est trompé de bonne foi dans la rédaction du texte clair qu’il adopte : tant pis ! Le juge applique le texte clair. Où serait la sécurité juridique, si le juge acceptait de faire dire à un texte le contraire de ce qu’il dit ? Cela ressemblerait à la doctrine administrative d’autrefois qui disait le contraire de la loi quand celle-ci ne lui convenait pas.

Le Conseil d’Etat n’est évidemment pas tenu par les dispositions d’une directive lorsqu’il applique un texte national qui n’est pas dans le champ de celle-ci. Certes, la décision du Conseil d’Etat fait, en l’espèce, ressortir la non-conformité à la directive du texte français pour les opérations transfrontalières, mais uniquement cette non-conformité.

La jurisprudence Leur-Bloem ne s’applique que lorsqu’ il y a matière à interprétation. Le champ  de cette interprétation est large (cf. conclusions de Pierre Collin sur les décisions CE 17 juin 2011 précitées). Le juge est tenu, en effet, d’interpréter le texte français qui n’est pas, à la lettre, contraire au droit communautaire, contrairement à la présente espèce, conformément à la directive. Quand il existe un texte unique, comme pour le régime des fusions ou le régime mère-fille, il ne peut pas recevoir deux interprétations différentes : donc dans ce cas l’interprétation européenne prévaut. Tout espoir d’harmonie n’est donc pas perdu.

Entre la sécurité du texte clair et la sécurité Leur-Bloem, le Conseil d’Etat a fait logiquement prévaloir la première. Mais, pourrait-t-on se dire dans cette affaire, un gouvernement quelconque a trahi la parole donnée (d’appliquer le même régime aux opérations franco-française et aux opérations transfrontalières), mais aussi son engagement de transposer fidèlement la directive ? Et alors ? Ce ne sera pas la première fois. Ce que nous regrettons, c’est l’indifférence générale dans laquelle ce genre de trahison est accueilli.

Olivier Fouquet

Président de Section (h) au Conseil d’Etat

 

 

 

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