Premiers commentaires par Mathieu LE TACON

La portée de la décision de Ruyter au regard de l’assujettissement aux prélèvements sociaux des non-résidents percevant des revenus et gains immobiliers de source française

Par Mathieu LE TACON, Delsol Avocats

Paradoxalement, l’arrêt rendu le 25 février par la CJUE était attendu autant par des personnes se trouvant dans la même situation que celle jugée en l’espèce, c’est-à-dire des résidents fiscaux français percevant des revenus du patrimoine assujettis à des relèvements sociaux à la fois en France (i.e. la CSG, CRDS et autres cotisations additionnelles au taux global de 15,5%) et dans une autre Etat membre, que par des personnes se trouvant dans une situation diamétralement opposée.

En effet et comme chacun le sait, depuis la loi de finance rectificative pour 2012 les non-résidents fiscaux français se trouvent  assujettis aux prélèvements sociaux sur leurs revenus immobiliers de source française ainsi que sur leurs plus-values immobilières également de source française.

Bien entendu, en dehors de toute considération juridique (sur un sujet au demeurant particulièrement technique), cet assujettissement a fait largement grincer des dents les principaux intéressés qui estiment ne pas avoir à cotiser à la sécurité sociale française dont par hypothèse ils ne bénéficient pas.

Dès lors que la décision de la CJUE a été rendue dans le cadre d’une question préjudicielle posée par le Conseil d’Etat sur une question de fait très éloignée, quelle est la portée réelle de la décision de Ruyter au regard de la « CSG  sur les revenus et gains immobiliers des non résidents » ?

Le 1er enseignement est évidement d’ordre purement technique : la CJUE (suivant en cela le sens des conclusions du Commissaire du Gouvernement) confirme que :

« Les prélèvements sur les revenus du patrimoine, […], présentent, lorsqu’ils participent au financement des régimes obligatoires de sécurité sociale, un lien direct et pertinent avec certaines des branches de sécurité sociale énumérées à l’article 4 de ce règlement n° 1408/71, et relèvent donc du champ d’application dudit règlement, alors même que ces prélèvements sont assis sur les revenus du patrimoine des personnes assujetties, indépendamment de l’exercice de toute activité professionnelle. » 

 

Autrement dit la Cour nous indique expressément que le principe communautaire d’interdiction d’une double cotisation à un régime de sécurité sociale s’applique bien aux prélèvements sociaux français et ce, nonobstant la conception du Conseil constitutionnel français qui rattache la CSG aux impositions de toute nature….

Cette au moins apparente contrariété de jurisprudence entre la CJUE et le Conseil constitutionnel français ne va pas manquer de susciter des débats. Au demeurant on peut se demander si cette contrariété ne résulte pas directement de la nature hybride de la CSG qui explique que, finalement, les positions de la Cour de Luxembourg et de celle du Palais Royal ne sont pas irréconciliables.

 

Il n’en demeure pas moins que la décision de Ruyter constitue un point décisif pour le sort du contentieux en cours mené par de très nombreux non-résidents fiscaux français ayant été soumis aux prélèvements sociaux français au taux global de 15,5% sur leurs revenus et gains immobiliers de source française. 

Sur le fond, il nous semble que l’Administration fiscale aura bien du mal contrecarrer la position de la CJUE sur la nature de la CSG.

De plus, dans un contentieux qui risque de coûter fort cher aux finances de la France (plusieurs centaines de millions d’euros au bas mot), sans doute serait-il judicieux et courageux pour le Gouvernement de limiter les dégâts rapidement et ainsi de ne pas attendre qu’un contentieux communautaire soit procéduralement mené à son terme par un non-résident fiscal français assujetti depuis 2012 à des prélèvements sociaux sur ses revenus immobiliers français.

Reste à savoir la forme que prendra la réaction (à ce stade encore hypothétique) officielle de la France sur la portée la décision de Ruyter en matière de « CSG des bon résidents »  ;

Est-ce que l’Administration va accorder dès à présent les dégrèvements à toutes les réclamations contentieuses qu’elle a d’ores et déjà reçues ?

Les dispositions du CGI seront-elles purement et simplement abrogées dans le cadre d’une prochaine loi de finance ou bien seront-elles simplement modifiées ?

L’un des enjeux principaux de la réaction de Bercy est de savoir si le bénéfice de la décision de Ruyter va être limité aux seuls non résidents fiscaux français établis dans l’UE ou bien si c’est l’ensemble du dispositif de la CSG appliquée aux revenus et gains immobiliers des non résidents (ainsi que le réclame notamment le député Frédéric Lefebvre) qui sera supprimé.

Il va de soit que si Bercy entendait, malgré la décision de Ruyter, continuer à appliquer la CSG aux non-résidents, en particulier à ceux résidant dans des pays tiers à l’UE, le contentieux n’en deviendrait que plus virulent.

A l’heure où sur le fondement de la liberté de circulation des capitaux (et non des personnes comme dans l’affaire de Ruyter) le taux d’imposition des plus-values immobilière vient d’être harmonisé à 19% y compris pour les résidents de pays tiers à l’UE, il serait bien paradoxal que les résidents de pays tiers à l’UE soient à l’avenir les seuls à se voir appliquer de la CSG sur leurs revenus et gains immobiliers de source française.

Enfin, rappelons que d’un point de vue purement contentieux, la décision de la CJUE ne crée en elle-même ni un droit automatique à dégrèvement ni un évènement susceptible de rouvrir un délai de contestation. Au demeurant, hormis le cas des plus-values immobilières réalisées en 2012 par des non-résidents (qui ne sont plus aujourd’hui susceptibles de faire l’objet d’une réclamation contentieuse), le délai de réclamation est encore ouvert pour ceux des non-résidents qui n’auraient pas encore contesté les prélèvements sociaux appliqués à leurs revenus ou gains immobiliers de source française.

 

 

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