20 novembre 2012

Michel Cicurel, l’avis d’un paysan évolutionnaire

cicurel.jpg Nous aimons bien Michel Cicurel pour son indépendance iconoclaste qui sait avec courtoisie sortir de la pensée unique

« Sans réformes, le répit que nous accordent les marchés ne durera pas »


Par Nicolas BarrÉ | 20/11 | les échos 

l'analyse de Moody s         

MOODYS.pdf

La planète finance danse sur un fil par Michel CICUREL

Que pensez-vous de la décision de Moody's ?

AFP

La décision était depuis plus d'un an, dans les cours, elle n'aura qu'un impact limité car les investisseurs avaient anticipé la perte du triple A. Ils continuent de préférer la dette française à des obligations espagnoles ou italiennes risquées, voire même aux allemandes qui ne rapportent rien.

L'urgence est de bien utiliser ce répit que les marchés nous accordent. Car il ne durera pas. Deux ou trois mois tout au plus si nous ne menons pas les réformes dont parle Moody's dans les attendus de sa décision. Ces réformes, c'est ce qu'attendent les investisseurs et j'y adhère. La France est devenue le 2e pays le plus imposé d'Europe. Nous avons 8 points de PIB soit 150 milliards d'euros d'impôts en trop par rapport à l'Allemagne et 10 points de PIB de dépenses publiques en trop, soit 200 milliards. Il y a longtemps que l'on a dépassé le point haut de la courbe de Laffer à partir duquel la pression fiscale est excessive. On sait depuis l'impôt sur les portes et fenêtres qu'il y a un moment où l'excès de prélèvement modifie les comportements : de la même manière que les architectes avaient limité le nombre de portes et fenêtres, certaines bases taxables vont disparaître...


 

Les investisseurs risquent-ils de se délaisser de notre dette ?

Oui si nous n'envoyons pas des signaux beaucoup plus forts sur la compétitivité et la réforme du marché du travail. La France n'a que quelques semaines devant elle. Si les mêmes investisseurs sont plus tolérants vis-à-vis de l'Italie, c'est parce qu'ils voient bien que le gouvernement prend les choses en main. Ce n'est pas encore le cas ici. Bien sûr, le plan français sur la compétitivité n'est pas un non-événement. Mais ce n'est pas non plus suffisant. Le compte n'y est pas. C'est un plan de 20 milliards dont la moitié n'est pas financée alors qu'il faudrait arriver au moins à 30 milliards. Et en 2013 on rendra aux entreprises 10 milliards, à peine ce qu'on vient de leur prendre.

C'est un premier pas...

Mais qui ne suffit pas. Je trouve un peu courtisan de voir déjà en Hollande le nouveau Schröder ! Si ça devient vrai, ce sera la meilleure nouvelle depuis 50 ans ! Il est vital que la gauche française fasse sa révolution économique. C'est à la gauche que l'on doit les contresens de la retraite à 60 ans et des 35 heures. Le monde patronal est trop légitimiste. Ce n'est pas parce que la marâtre cesse un moment de froncer les sourcils qu'elle est devenue une mère. Les chefs d'entreprise doivent exiger plus. D'ailleurs, le patronat ne rend pas service à ce gouvernement lorsqu'il est trop complaisant. Chacun son rôle !

« Demander plus », c'est à dire ?

Depuis trente ans, en privilégiant le consommateur sur le travailleur, la France a fait le choix de jouer passivement la mondialisation. Nous profitons de produits importés peu cher et nous avons laissé notre appareil productif se dégrader. Ce pays a privilégié les vieux rentiers consommateurs au détriment de la partie la plus dynamique de la population alors que l'Allemagne vieillissante a fait l'inverse.

La France est évidemment capable d'innover. Nous avons les meilleurs ingénieurs. Mais cela ne peut se faire que si l'on redonne des marges aux entreprises pour qu'elles puissent soutenir cette innovation et investir. Or nos marges sont au plus bas depuis trente ans. Il faut alléger les coûts, engager une vraie reconquête de notre compétitivité, réformer le marché du travail, introduire plus de flexibilité et favoriser les capitaux à risque. Il est minuit moins une, docteur François !

Quel est le scénario si on ne le fait pas ?

Quand les marchés ont un pays en ligne de mire, ses conditions de financement se dégradent très vite. Or 70% de la dette française est détenue par l'extérieur. Cette dépendance ne nous laisse guère de choix. Nos coûts d'emprunt peuvent se renchérir de 100 points de base en un clin d'oeil. Mais il y a plus grave : la zone euro éclatera si le couple franco-allemand ne marche pas d'un même pas. Certes pour l'Allemagne, l'euro est vital. Elle fait l'essentiel de son excédent dans la zone euro. Mais elle cessera de jouer le jeu de l'euro si nous ne lui donnons pas des gages. Il faut donc convaincre les marchés et Berlin que nous allons traiter nos problèmes structurels. Reconnaissons que le coût politique est élevé, surtout pour la gauche, car les gènes collectivistes et étatistes français sont profonds. On ne peut pas réduire trop brutalement les dépenses publiques. Mais si on ne tarde pas trop, on peut revigorer très vite nos entreprises.

Voyez-vous beaucoup de gens quitter la France ?

Oui ! Et certains groupes sont également tentés de délocaliser leur siège. La France ne peut s'offrir une exception fiscale massive. Les mesures sur les intérêts d'emprunt, les plus-values, les rémunérations élevées... suscitent des inquiétudes et certains franchissent le pas. Si le siège d'une seule grande entreprise devait déménager, ce serait un signal d'alarme catastrophique. On ne peut empêcher les directions générales d'étudier cette option. Mais il appartient aux pouvoirs publics de convaincre les dirigeants de ne pas la lever car elle n'est pas seulement douloureuse pour la France, elle est aussi bouleversante pour l'entreprise. Le danger existe. Mais je suis convaincu qu'on peut encore le conjurer.

 

20:19 Publié dans Politique fiscale | Lien permanent | Commentaires (0) |  Imprimer | |  Facebook | | | | |

Les commentaires sont fermés.