17 septembre 2021

Abus de droit fiscal et sévère responsabilité contractuelle du conseil fiscal (CA Versailles 10.12.19 )

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La cour d appel de Versailles vient de rendre une décision sur la responsabilité d’un conseil fiscal dont le client avait fait l objet d’un lourd redressement pour abus de droit

Considérant que le défaut de prudence dans la formulation de son avis tant sur le plan juridique que fiscal excluant tout risque encouru par le montage sur lequel elle était consultée caractérise un manquement au devoir de conseil de la société d’avocats';

La Cour statuant par arrêt contradictoire   ;

INFIRME le jugement en ce qu’il a condamné la société d’avocats XYZ à payer à M. et Mme X la somme de 2.975.905 euros à titre de dommages-intérêts et rejeté la totalité des autres demandes de ceux-ci,

Statuant à nouveau de ces chefs':

CONDAMNE la société d’avocats XYZ à payer à M. et Mme X la somme de 4.959.843 euros à titre de dommages-intérêts,

CONDAMNE la société d’avocats XYZ à payer à M. et Mme X la somme de 25.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral,

Cour d'appel de Versailles, 1re chambre 1re section,
10 décembre 2019, n° 18/03753

La procedure  fiscale d abus de droit 
Jersey et l'usufruit temporaire abusif de PPR (Cass 9.07.13)

Par acte du 13 décembre 1999, M. et Mme C…. ont cédé pour la somme de 34 437 743,02 FF à la société X, dont le siège est à Jersey, l’usufruit temporaire, pour une durée de 5 ans et 4 mois de 875 000 actions de la société Y. La société X…… avait été constituée le 8 décembre précédent par M. et Mme C…, seuls associés. Le capital de 35 000 F était assorti d’une prime d’émission de 34 965 000 F.

Par acte du 16 décembre 1999, les époux C…. ont placé dans un trust relevant également du droit de Jersey la totalité des titres de la société X….

 L’administration a considéré, eu égard aux conditions de l’opération du 13 décembre 1999 que la cession d’usufruit temporaire était fictive et était donc inopposable à l’administration. Le Comité observe que le prétendu prix de cession payé aux époux C…. par la société X… a été dans les faits, financé par M. C… au moyen d’un emprunt. Cette somme a été, en effet, empruntée puis apportée par M. C… à la société X pour le règlement de la prime d’émission avant d’être reversée aux époux C… au titre du paiement de l’usufruit transféré. Le Comité considère donc que la vente de l’usufruit temporaire des titres intervenu le 13 décembre 1999 doit être regardée comme fictive et ne peut être opposée à l’administration.

Le comite consultative des abus de droit a confirme la position de l administration sous le titre « Cession de l’usufruit temporaire de titres afin d’échapper à la taxation des dividendes et de diminuer la base imposable à l’ISF »

SUR LA RESPONSABILITÉ DE L AVOCAT CONSEIL FISCAL

Les contribuables  ont alors demandé à leur conseil , initiateur de ce schema de leur rembourser leur prejudice.

La Cour d' appel  de VERSAILLES a condamné ce cabinet d’avocat à 5.000 .000 de dommages intérets par arrêt du 10 décembre 2019, 

Cour d'appel de Versailles, 1re chambre 1re section,
10 décembre 2019, n° 18/03753

 Sur les fautes reprochées à la société d’avocats XYZ

Considérant qu’il résulte des dispositions de l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable de 1804 à 1916, que l’obligation de conseil qui pèse sur l’avocat lui impose d’analyser les éléments de droit et de fait qui commandent les avis qui sont demandés et que l’absence de vérification d’un élément dont dépend la solution du problème qui lui est soumis caractérise un manquement à son devoir de conseil';

Considérant que l’avocat, conseiller juridique et fiscal, est tenu d’une obligation particulière d’information vis-à-vis de son client qui comporte le devoir de s’informer de l’ensemble des conditions de l’opération pour laquelle son concours est demandé';

Considérant que le défaut de prudence dans la formulation de son avis tant sur le plan juridique que fiscal excluant tout risque encouru par le montage sur lequel elle était consultée caractérise un manquement au devoir de conseil de la société d’avocats'; 

les procedures fiscales 

RAPPORT DU COMITE CONSULTATIF POUR LA REPRESSION DES ABUS DE DROIT ANNEE 2006 
BOI  13 L-1-07 N° 49 du 3 AVRIL 2007

Affaire n° 2006-13 avis du  décembre 2006 page 26

Cession de l’usufruit temporaire de titres à un trust situé à Jersey afin d’échapper à la taxation des revenus distribués
et diminuer temporairement la base imposable à l’ISF

 

En ce qui concerne l impôt sur le revenu  confirmation

Cour administrative d'appel de Douai, 3e chambre  , 07/08/2013, 11DA00392,  

En ce qui concerne  l’impôt de solidarité sur la fortune confirmation 

Mais attendu que l'arrêt constate que les demandeurs se prévalaient de la sortie temporaire des titres de leur patrimoine, en raison du caractère irrévocable du contrat de trust, tandis que, dans ses conclusions d'appel, l'administration contestait la motivation du jugement admettant le caractère irrévocable de ce trust et soutenait que la cession temporaire d'usufruit était fictive ; qu'il retient que, dans sa proposition de rectification du 23 juin 2005, l'administration évoquait la possibilité pour M. X... d'emprunter 80 % des avoirs du trust avec l'accord du trustee et relève l'absence d'obligation de remboursement du vivant des demandeurs ; que la cour d'appel a pu en déduire que l'administration avait ainsi mentionné l'un des éléments tendant à établir l'absence de dépossession irrévocable en sorte qu'elle ne faisait état d'aucun élément de fait ou de droit nouveau et que la procédure fiscale était régulière ; que le moyen n'est pas fondé

 

SUR LA RESPONSABILITE D UN NOTAIRE SUITE A UN REDRESSEMENT FISCAL

Civ. 1re, 20 déc. 2017, FS-P+B, n° 16-13.073

Attendu que le notaire est tenu d’informer et d’éclairer les parties, de manière complète et
circonstanciée, sur la portée et les effets, notamment quant aux incidences fiscales, de
l’acte auquel il prête son concours ;

RESPONSABILITE DES EXPERTS COMPTABLES

Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 8, 29 janvier 2019, n° 17/09183

Ainsi que le relève le jugement, il résulte de ces éléments que Fidéliance, tenue à une obligation de conseil à l’égard de sa cliente, a fait une interprétation erronée des dispositions fiscales applicables, lui conseillant un régime de TVA inapplicable aux opérations qu’elle effectuait, opérations dont l’expert-comptable avait parfaitement connaissance.

Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 6 février 2007, 06-10.109,

L'expert comptable qui accepte d'établir une déclaration fiscale pour le compte d'un client doit, compte tenu des informations qu'il détient sur la situation de celui-ci, s'assurer que cette déclaration est, en tout point, conforme aux exigences légales

 

 

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Cour d'appel de Versailles, 1re chambre 1re section,
10 décembre 2019, n° 18/03753

 

 Sur les fautes reprochées à la société d’avocats XYZ

Considérant qu’il résulte des dispositions de l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable de 1804 à 1916, que l’obligation de conseil qui pèse sur l’avocat lui impose d’analyser les éléments de droit et de fait qui commandent les avis qui sont demandés et que l’absence de vérification d’un élément dont dépend la solution du problème qui lui est soumis caractérise un manquement à son devoir de conseil';

Considérant que l’avocat, conseiller juridique et fiscal, est tenu d’une obligation particulière d’information vis-à-vis de son client qui comporte le devoir de s’informer de l’ensemble des conditions de l’opération pour laquelle son concours est demandé';

Considérant que le défaut de prudence dans la formulation de son avis tant sur le plan juridique que fiscal excluant tout risque encouru par le montage sur lequel elle était consultée caractérise un manquement au devoir de conseil de la société d’avocats'; 

Considérant que son devoir de conseil s’exerce dans la limite de la mission qui lui a été confiée';

Considérant qu’en l’espèce, le mandat confié par les époux X à la société XYZ était d’émettre un avis sur les aspects juridiques et fiscaux du projet qui lui a été transmis par ses mandants';

Considérant qu’il ne ressort d’aucun élément que la société d’avocats XYZ est le rédacteur des actes ultérieurs soit de l’acte ayant fondé la société Julius et Perle Ltd ou de la charte du trust Julius et Perle'; que les pièces produites ne démontrent pas davantage qu’elle a été impliquée dans la mise en 'uvre du montage lui-même';

Considérant que sa responsabilité doit donc être examinée au seul regard de l’opinion émise par elle sur les aspects juridiques et fiscaux du projet transmis par les époux';

Considérant que celui-ci a été mis en 'uvre'; que la société intimée n’allègue pas que le montage réalisé est différent de celui qu’elle a analysé':

Considérant que l’administration fiscale a estimé que la convention de cession temporaire d’usufruit des titres PPR, qui donne ouverture à des droits d’enregistrement moins élevés, présentait un caractère fictif et était constitutive d’un abus de droit au sens des dispositions de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales';

Considérant qu’elle a considéré que cette cession d’usufruit lui était inopposable et donc que les époux X avaient conservé la pleine propriété de ces titres';

Considérant que les juridictions saisies ont rejeté les contestations émises par M. et Mme X';

Considérant que la responsabilité de la société d’avocats XYZ ne peut être engagée qu’au titre d’un manquement à son devoir de conseil- incluant l’obligation de déconseiller l’opération- qui est une obligation de moyen et non de résultat';

Considérant que la société affirme notamment, dans son analyse juridique, que la faculté de prêt ne dénature en rien la structure trustale, qu’il ne peut y avoir d’abus de droit, que le dessaisissement n’est pas fictif et qu’il n’est pas provisoire mais définitif'; que, dans son analyse fiscale, elle déclare que les époux ne seront pas redevables de l’ISF sur les biens trustaux et pas imposables en France, au titre de l’impôt sur le revenu, sur les résultats du trust et de sa holding';

Considérant, par conséquent, que si elle a procédé à une analyse juridique et fiscale du projet, elle s’est montrée particulièrement affirmative, comme l’a relevé le tribunal, sur les conséquences du montage envisagé tant sur l’incidence du prêt que les époux X étaient susceptibles de contracter auprès du trust, dont il est rappelé dans l’avis qu’il ne le dénature pas, que sur le caractère irrévocable de ce trust et sur l’absence de caractère fictif de celui-ci';

Considérant qu’elle critique même «'certains praticiens'» qui «'font montre d’une certaine frilosité'» en craignant que l’administration ne cherche à démontrer que la dépossession est fictive’et qualifie, sans la moindre réserve, cette crainte de non fondée';

Considérant qu’elle reconnaît elle-même dans ses conclusions que son raisonnement juridique était étayé au regard de dispositions très limitées existant en matière de trust';

Considérant que M. N O-P, notaire, relate qu’en 1996, le trust était un sujet nouveau, complexe et source d’incertitudes'; qu’il n’est nullement démontré que tel n’était plus le cas en 1999';

Considérant qu’elle devait donc assortir ses conseils de réserves si elle estimait ne pas être en possession des éléments d’appréciation suffisants et indiquer que son analyse était soumise à un certain aléa'; que les seules réserves émises ont trait à l’évolution éventuelle de la législation ;

Considérant que le défaut de prudence dans la formulation de son avis tant sur le plan juridique que fiscal excluant tout risque encouru par le montage sur lequel elle était consultée caractérise un manquement au devoir de conseil de la société d’avocats';

Considérant que ce défaut de prudence est d’autant plus avéré que son analyse elle-même était erronée nonobstant le ton particulièrement assuré de M. B-qui n’était plus employé par l’intimée- dans une réponse à l’administration fiscale';

Considérant que les diverses décisions prononcées ont donné raison à l’administration et, donc, considéré que l’analyse de la société n’était pas pertinente';

Considérant que ces décisions ne sont pas motivées par une évolution de la législation';

Considérant que, fondées sur les dispositions en vigueur au jour de la consultation, elles démontrent que la société a commis des erreurs dans son analyse qui ont conduit à l’imposition pratiquée';

Considérant que, formulée sans réserve, la consultation rédigée le 1 er décembre 1999 caractérise donc des manquements de la société XYZ à son obligation de conseil';

Considérant, en outre, que la société, interrogée quelques jours plus tard par les époux, a «'confirmé'», dans une lettre du 6 décembre, que ses opinions et analyses contenues dans sa lettre précitée engageaient sa «'responsabilité professionnelle'» sauf en ce qui concerne son sentiment sur l’évolution de la législation';

Considérant, ainsi, que la société a réitéré que sa responsabilité était engagée au titre de ses analyses, dépourvues de toute réserve, sur la faisabilité de l’opération'; qu’un tel courrier n’a pu qu’accroître la confiance des époux et les conforter dans leur choix de la réaliser ;

Sur les conséquences

Considérant qu’en manquant à son devoir de conseil, la société n’a pas mis en mesure M. et Mme X de prendre une décision totalement éclairée au mieux de leurs intérêts';

Considérant qu’ils ont ainsi perdu une chance de ne pas recourir, dans ces conditions, à un trust et,donc, de ne pas devoir supporter des intérêts de retard et des pénalités';

Considérant que cette perte de chance doit s’apprécier au regard de la finalité du projet des époux';

Considérant que les époux entendaient, selon les termes non contestés de la lettre du 1er décembre 1999, «'constituer dans l’intérêt des bénéficiaires un patrimoine à l’abri des revers de fortune éventuels en en confiant la propriété, la possession et la gestion aux trustees'»'; qu’il s’agissait donc d’un objectif présenté comme patrimonial'; que le schéma validé par la société ne doit pas, toutefois, les exposer à des redressements fiscaux';

Considérant que, mieux conseillés et mis en garde contre les aléas fiscaux du montage envisagé tant au titre de l’imposition sur le revenu que sur la fortune, ils auraient pu faire le choix de soumettre ces titres à l’impôt malgré l’existence du trust';

Considérant que la faute commise leur a fait perdre une chance de décider de déclarer ces sommes à l’administration fiscale et, ainsi, d’éviter d’avoir à supporter les majorations et intérêts notifiés par l’administration';

SUR L EVALUATION DE LA PERTE DE CHANCE

Considérant qu’au regard de leur choix de s’adresser à un spécialiste réputé et promouvant le recours aux trusts afin que celui-ci examine les aspects juridiques et fiscaux de leur projet et du but alors poursuivi selon cette consultation cette perte de chance sera évaluée à 50%';

Considérant que, compte tenu du montant des majorations et pénalités acquittées, il leur sera alloué une somme de 4.959.843 euros';

Considérant qu’il incombe aux époux, s’agissant du deuxième poste de préjudice invoqué, de rapporter la preuve que cette faute leur a également fait perdre, à tout le moins, une chance d’optimiser leur fiscalité soit de recourir à un montage plus efficace';

Considérant qu’ils doivent donc établir qu’il existait alors, comme ils le prétendent, un procédé leur permettant de recourir à un trust sans qu’ils aient à s’acquitter de l’imposition principale';

Considérant que leur rappel des fautes commises par l’intimée ne suffit pas à démontrer cette alternative';

Considérant qu’ils établissent qu’il était possible, selon des conseils situés à Jersey, au regard de la loi de Jersey, de procéder à un transfert direct de l’usufruit au trustee du trust';

Considérant qu’ils ne versent toutefois pas aux débats de document ou d’étude établissant que ce transfert et/ou l’absence de recours au prêt selon les modalités arrêtées leur auraient permis d’échapper à l’imposition principale';

Considérant qu’ils ne se prévalent pas d’autres montages- juridiquement admissibles- leur permettant d’échapper à l’impôt';

Considérant qu’ils ne rapportent donc pas la preuve que d’autres schémas, conformes à l’objectif mentionné dans la consultation, leur auraient permis d’échapper à l’impôt';

Considérant que leur demande d’indemnisation du préjudice causé par la perte d’une chance «'d’optimiser'» leur fiscalité sera donc rejetée';

Considérant que M. et Mme X ont dû faire face à des contentieux puis à des procédures- dues aux fautes de l’intimée- qui leur ont causé d’incontestables désagréments'; qu’ils ont dû nantir une partie de leur patrimoine';

Considérant qu’ils ont donc subi pendant de nombreuses années un préjudice moral justifiant le paiement d’une somme de 25.000 euros’étant précisé qu’ils ne démontrent pas que le nouveau contrôle auquel ils ont été soumis est imputable à la faute de la société ;

Considérant qu’il leur sera alloué la somme de 10.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel, le jugement étant confirmé de ce chef'; que, compte tenu du sens de la présente décision, la demande aux mêmes fins de la société intimée sera rejetée';

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition ;

INFIRME le jugement en ce qu’il a condamné la société d’avocats XYZ à payer à M. et Mme X la somme de 2.975.905 euros à titre de dommages-intérêts et rejeté la totalité des autres demandes de ceux-ci,

Statuant à nouveau de ces chefs':

CONDAMNE la société d’avocats XYZ à payer à M. et Mme X la somme de 4.959.843 euros à titre de dommages-intérêts,

CONDAMNE la société d’avocats XYZ à payer à M. et Mme X la somme de 25.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral,

Y ajoutant':

CONDAMNE la société d’avocats XYZ à payer à M. et Mme X la somme de 10.000 euros titre de l’article 700 du code de procédure civile,

REJETTE toutes autres demandes plus amples et contraires,

CONDAMNE la société d’avocats XYZ aux dépens,

AUTORISE la Selarl K L, agissant par Maître K L, avocat à recouvrer directement à son encontre les dépens qu’elle a exposés sans avoir eu provision ;

— prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

— signé par Monsieur Alain PALAU, président, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,

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