24 septembre 2011

Rétroactivité des lois financières et fiscales et la Déclaration de 1789

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l'affaire Noah devant le conseil constitutionnel

« Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». 

 

Rétroactivité et la  Déclaration de 1789

 

les questions fiscales prioritaires de constitutionalité

 

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La Constitution du 4 octobre 1958, ne se borne pas à organiser les pouvoirs publics, définir leur rôle et leurs relations, mais elle est aussi créatrice de droits. Le Préambule renvoie en effet  directement et explicitement à trois autres textes fondamentaux : la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789, le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946  (la Constitution de la IVe République) et la Charte de l'environnement de 2004 

l'affaire Noah devant le conseil constitutionnel

 

La décision du conseil constitutionnel rendu le 23 septembre 2011 dans l’affaire NOAH  marque t elle un raidissement de sa réflexion sur les conditions d’une rétroactivité  de la loi fiscale?


 

Le principe de non-rétroactivité des lois n’a de valeur constitutionnelle, en vertu de l’article 8 de la Déclaration de 1789, qu’en matière répressive.
La jurisprudence du Conseil constitutionnel a néanmoins progressivement encadré la faculté pour le législateur d’adopter des dispositions rétroactives.

 

Un peu d'histoire sur la jurisprudence  sur la rétroactivité


Si le système fiscal de la France est dans l’ensemble favorable à l’investissement industriel, un des reproches qui lui est souvent fait est son instabilité dans le temps , notamment avec le vote de lois rétroactives
Les motivations de l’arrêt  seront  elles gravées dans le marbre à jamais ?

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Suite à l arrêt Dody , l’article 31 III de la  loi  n°96-1182 de finances rectificative pour 1996  a validé les rectifications issues de des contrôles effectués auprès de non résidents sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée  

 

Conseil d'Etat, 8 / 9 SSR, du 10 juillet 1996, 127892 Aff Dody, 

 

Ce texte pouvait  il être rétroactif ? 

 

 

2011-166 QPC

Loi n° 96-1182 du 30 décembre 1996 de finances rectificative

Art. 31, paragraphe 3

Conseil d'État

29/06/11

   

 

 

Le conseil constitutionnel a validé le caractère rétroactif d'une loi de validation d'une procédure de contrôle fiscal

 

 

la décision du conseil constitutionnel  du 23 septembre 2011 

 

Le Conseil constitutionnel a rappelé sa jurisprudence constante selon laquelle le principe de non-rétroactivité des lois n'a de valeur constitutionnelle qu'en matière répressive.
Dès lors le paragraphe III de l'article 31 de la loi du 30 décembre 1996 qui répond aux exigences constitutionnelles relatives à une validation législative, pouvait avoir une portée rétroactive.
Cette disposition, précisément définie, poursuit un but d'intérêt général, la lutte contre l'évasion et la fraude fiscales.

Les principes essentiels issus de ces textes, et qui touchent pour la plupart à des droits fondamentaux, ont véritablement leur place dans le bloc de constitutionnalité. Les justiciables ont le droit  à invoquer leur violation devant le juge judiciaire, le juge administratif soit directement soit par la voie de la question prioritaire de constitutionnalité et le législateur est lui-même tenu de les respecter sous le contrôle vigilant du juge constitutionnel.

Attention,le contrôle de la constitutionnalité des lois ne doit pas être confondu avec le contrôle de la conventionalité des lois . 

Les deux arrêts "contradictoires ?" du conseil d’état  

 

Cette tribune a pour objet d’apporter un éclairage technique -sans tenir compte des jurisprudences de nos deux cours européennes- au lancinant problème de la rétroactivité des lois de finances

Rappel : l'interdiction de la non rétroactivité de la loi prévue par le Code CIVIL est sympathique mais le code civil n'est pas intégré à notre constitution ?!!

L’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, dispose

 

« Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». 

 

Décision n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005
Décision n° 2007−550 DC du 27 février 2007
Décision n° 2009−599 DC du 29 décembre 2009
Décision n° 2010−4/17 QPC du 22 juillet 2010
Décision n° 2010-102 QPC du 11 février 2011
Décision n° 2011-141 QPC du 24 juin 2011 

 

La question sous jacente à ce principe est celui de l’atteinte à une situation légalement acquise c'est-à-dire à la possibilité d’établir une loi rétroactive

Nous connaissons tous le principe de non rétroactivité de la loi pénale ou de la rétroactivité d’une loi pénale plus douce

 

Mais qu’en est-il des lois de nature différente et notamment des lois de finances.

 

Le conseil d etat va t il prochainement poser une QPC dans ce sens???

 

La question est d’autant plus délicate qu’elle met en jeu des considérations économiques, sociales et de la recherche d’un juste équilibre dans notre société.

 

Attention, la non rétroactivité d’une loi ne signifie pas une remise en cause d’une situation de fait existante au jour de la publication de la loi mais une remise en cause d’une situation de fait antérieure à la publication de la loi

 

Un exemple

 

 

a)Mr Jacques a vendu un terrain le 30 juin en exonération légale de plus value, une loi publiée le 8 juillet décide que les plus values réalisées entre le 15 mai et le 9 juillet sont imposables : il y a bien atteinte à une situation légalement acquise antérieurement  à la publication de la loi

b) Mr Jacques vend sont terrain après le 9 juillet, après cette date il n’avait pas de droit légal à être exonéré

 

 

 

 

 

Ce n’est qu’en 2005 que le conseil constitutionnel a commencé à approfondir

l’article 16 de la déclaration de  1789  dans le cadre cette réflexion

 

Décision n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005

 

45. Considérant, en second lieu, qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux−ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions ; que, ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ;

qu'en particulier, il méconnaîtrait la garantie des droits proclamés par l'article 16 de la Déclaration de 1789 s'il portait aux situations légalement acquises une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant ;

46. Considérant, en l'espèce, que l'article 7 ne concerne que des plans d'épargne arrivés à échéance ; qu'il n'a pas d'effet rétroactif ; qu'il n'affecte donc pas une situation légalement acquise dans des conditions contraires à la garantie des droits proclamée par l'article 16 de la Déclaration de 1789

 

Depuis cette décision, Le Conseil constitutionnel confirme sa jurisprudence constante et claire en matière d’atteinte aux situations légalement acquises :

 

« Il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions. Ce faisant, le législateur ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles. En particulier, il méconnaîtrait la garantie des droits proclamés par l’article 16 de la Déclaration de 1789 s’il portait aux situations légalement acquises une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d’intérêt général suffisant ».

 

 

Décision n° 2007−550 DC du 27 février 2007

 

 

4. Considérant qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux−ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions ; que, ce faisant, il ne saurait priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ; qu'en particulier, il méconnaîtrait la garantie des droits proclamée par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 s'il portait aux situations légalement acquises une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant ; qu'en outre, si l'article 13 de la même Déclaration n'interdit pas de faire supporter, pour un motif d'intérêt général, à certaines catégories de personnes des charges particulières, il ne doit pas en résulter de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ;

 

 

Décision n° 2009−599 DC du 29 décembre 2009

 

85. Considérant que, selon les requérants, cet article porte atteinte de façon rétroactive aux situations légalement acquises et méconnaît le droit à réparation des victimes d'accident du travail ainsi que le principe d'égalité devant les charges publiques sans considération des capacités contributives des personnes assujetties ; qu'ils dénoncent en particulier la différence de traitement avec le régime applicable aux indemnités journalières des personnes en affection de longue durée ;

86. Considérant, en premier lieu, qu'en vertu du II de l'article 85, le nouveau dispositif n'est applicable qu'aux indemnités journalières versées à compter du 1er janvier 2010 ; qu'ainsi, le grief tiré de l'atteinte aux situations légalement acquises manque en fait ;

 

Décision n° 2010−4/17 QPC du 22 juillet 2010

 

SUR LA GARANTIE DES DROITS : 14. Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ;

15. Considérant, d'une part, qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux−ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions ; que, ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ; qu'en particulier, il méconnaîtrait la garantie des droits proclamés par l'article 16 de la Déclaration de 1789 s'il portait aux situations légalement acquises une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant ;

16. Considérant, de même, que, si le législateur peut modifier rétroactivement une règle de droit ou valider un acte 25.03.2011 Conseil administratif ou de droit privé, c'est à la condition de poursuivre un but d'intérêt général suffisant et de respecter tant les décisions de justice ayant force de chose jugée que le principe de non−rétroactivité des peines et des sanctions ; qu'en outre, l'acte modifié ou validé ne doit méconnaître aucune règle ni aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf à ce que le but d'intérêt général visé soit lui−même de valeur constitutionnelle ; qu'enfin, la portée de la modification ou de la validation doit être strictement définie ;

17. Considérant que le plafonnement et l'écrêtement de l'indemnité temporaire de retraite institués par les paragraphes III et IV de l'article 137 de la loi du 30 décembre 2008 n'affectent pas le montant de la pension civile ou militaire de retraite ; qu'ils ne portent que sur un accessoire de cette pension, variable selon le lieu de résidence du pensionné ; qu'ils ne sont entrés en vigueur qu'à compter du 1er janvier 2009 ;

qu'ils ne revêtent donc aucun caractère rétroactif et n'affectent pas une situation légalement acquise

 

Décision n° 2010-102 QPC du 11 février 2011

 

 

3. Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ;

4. Considérant qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux−ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions ; que, ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ; qu'en particulier, il méconnaîtrait la garantie des droits proclamés par l'article 16 de la Déclaration de 1789 s'il portait aux situations légalement acquises une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant ;

 

Décision n° 2011-141 QPC du 24 juin 2011

 

 

− SUR LA GARANTIE DES DROITS :

5. Considérant qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux−ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions ; que, ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ; qu'en particulier, il méconnaîtrait la garantie des droits proclamée par l'article 16 de la Déclaration de 1789 s'il portait aux situations légalement acquises une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant ; que, de même, il ne respecterait pas les exigences résultant des articles 4 et 16 de la même Déclaration s'il portait aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un tel motif ;

 

 

 

 

docoRétroactivité et la Déclaration de 1789.doc

 

 

Commentaires

Le petit problème, c'est que la personne n'est pas faite pour l'intérêt général, mais l'intérêt général pour la personne.

Ainsi porter atteinte à un droit acquis au nom d'un intérêt général "suffisant", même très important, est contraire, selon moi, aux droits fondamentaux de l'homme. L'intérêt général ne peut jamais être suffisant "suffisant", car il est d'un autre ordre, d'un ordre inférieur à celui des droits fondamentaux de l'homme.

D'ailleurs ce critère de "intérêt général suffisant" n'est mentionné dans aucun texte positif. En revanche la déclaration du 26 août 1789 proclame comme droit fondamental de l'homme la "sûreté" sans restriction. Et je ne vois pas à quel titre le Conseil viendrait introduire un critère restrictif dans une législation positive qui ne l'édicte à aucun moment.

La société est faite pour l'homme et non l'homme pour la société.

Merci, maître, d'avoir fait le point sur la question avec une grande clarté.

Écrit par : Denis Merlin | 24 octobre 2011

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